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Compte rendu du colloque SNUipp : "Enseigner un métier d’exécutant ou de concepteur ?" Les interventions de Philippe Meirieu et de Roland Goigoux (le Café)

29 novembre 2018

Philippe Meirieu : Enseigner un métier de concepteur ?

"L’enseignant est celui qui ose penser par lui-même. Il ne peut pas être un simple exécutant". Devant 300 enseignants, réunis par le Snuipp, Philippe Meirieu a ouvert la première journée du colloque " Enseigner un métier d’exécutant ou de concepteur ? " organisé par le Snuipp les 27 et 28 novembre. Durant deux journées, chercheurs (P Meirieu et R Goigoux), pédagogues (GFEN), enseignants et syndicalistes réfléchissent aux défis envoyés à la profession par JM Blanquer. Avec un objectif : que le métier ne leur échappe pas.

Menaces sur la professionnalité selon le Snuipp

"On est actuellement menacé sur la professionnalité de notre métier qui n’est pas reconnue par le ministre", nous a dit Francette Popineau, secrétaire générale du Snuipp Fsu lors du colloque. "Il pointe les difficultés de l’école et les attribue aux enseignants. Nous lançons un appel pour dire : nous sommes des concepteurs de notre métier". Le Snuipp s’est notamment insurgé contre la multiplication des injonctions sur les méthodes de lecture, sur les "bons" manuels. Le syndicat le fait d’autant mieux qu’il arrive à opposer des chercheurs aux propos ministériels. "On dit pour les élèves en difficulté de lecture à l’école de renforcer le code, la syllabique. Mais la difficulté c’est la compréhension. C’est ça qu’il faut renforcer. C’est incroyable d’avoir une réponse aussi inadaptée", souligne F Popineau. Le Snuipp souligne aussi toutes les aides dont certains enfants ont besoin et qu’ils n’ont plus du fait des économies. "La pédagogie peut beaucoup mais on a aussi besoin de professionnels pour répondre à certaines situations".

Lire, écrire, compter, respecter

C’est à un vrai travail de déconstruction / reconstruction que se livre durant deux heures Philippe Meirieu. Partant de la maxime de JM Blanquer "lire, écrire, compter, respecter autrui", il remet ces mots dans la perspective de l’école républicaine et de la profession enseignante.

En s’appuyant sur le Dictionnaire de Ferdinand Buisson, qu’il a récemment réédité, P Meirieu met en évidence la distance entre la conception républicaine de l’Ecole et celle de JM Blanquer. "Lire pour F Buisson c’est pouvoir accéder directement aux textes et pratiquer le libre examen... Si les enfants doivent apprendre à lire c’est pour qu’ils n’aient personne à croire sur parole... Quand on renvoie l’obligation de lecture à des impératifs fonctionnels on se trompe complètement sur la finalité de la lecture qui est une finalité d’émancipation", explique-t-il. Savoir lire c’est bien comprendre et non seulement savoir décoder, comme poussent à le croire les récentes évaluations nationales. De même écrire pour F Buisson sert à construire sa pensée, c’est se donner une discipline de pensée.

P Meirieu rappelle que pour F Buisson, "les enseignants laïcs ne peuvent pas aider leurs élèves à séparer savoirs et croyances s’ils enseignent leurs savoirs comme des croyances". Une posture qui prend le contre pied des injonctions ministérielles.

L’enseignant en régulateur

Ainsi P Meirieu dessine une autre vision du métier enseignant. "Enseigner c’est décider.. Aucun geste de l’enseignant n’est neutre. Et ses microdécisions ont un impact sur la réalité de ce qui se passe en classe".

P Meirieu file une autre métaphore : celle de l’enseignant régulateur. L’enseignant "régule son action en conscience des tensions qui structurent l’acte pédagogique". Ce travail tout en finesse ne peut être imposé d’en haut car il repose sur le libre arbitre. "Aucun algorithme peut permettre ce réglage fin". D’où l’idée d’un métier enseignant qui est à la fois un métier d’expert et un métier citoyen "qui refuse la réduction du métier en devenant citoyen acteur de son institution".

Que faire ?
En conclusion, P Meirieu a invité à lutter contre "une prolétarisation" du métier enseignant qui "dévitaliserait l’institution scolaire".

Des propos qui ont aussi attiré des questions assez frontales. Comment faire quand les parents soutiennent les injonctions ministérielles et estiment que l’école doit juste transmettre un métier ? "Ayez confiance !", répond P Meirieu. "Votre activité peut être invisible. Mais elle aura des effets lointains" I invite à "imaginer un autre paradigme éducatif : former des sujets capables de résister... Ne baissez pas les bras !"
François Jarraud

Le programme

Extrait de cafepedagogique.net du 28.11.18 :Philippe Meirieu : Enseigner un métier de concepteur ?

 

Roland Goigoux : Comment le ministère reprend en main les enseignants
"Les évaluations de CP CE1 sont un cheval de Troie". Intervenant lors de la seconde journée du colloque sur le métier enseignant organisé par le Snuipp Fsu, Roland Goigoux a analysé les évaluations nationales et la gouvernance impulsée par JM Blanquer dans un silence impressionnant, celui d’une salle qui est toute ouïe. Le Snuipp devait en conclusion appeler à l’unité pour faire face aux injonctions ministérielles.

"On m’a appris un métier d’exécutant"

Très connu des enseignants par ses travaux sur l’apprentissage de la lecture, notamment son étude Lire Ecrire, et sa collection "Narramus", Roland Goigoux a fait salle comble le 28 novembre. Pendant deux heures il a analysé la gouvernance de l’Education nationale mise en place par JM Blanquer en mettant l’accent sur les évaluations nationales. Un sujet qu’il avait abordé sous l’angle des apprentissages dans cet article ou celui-ci.

Mais dans cette intervention, le chercheur va beaucoup plus loin notamment sur l’aspect politique et aussi sur les options scientifiques faites par le ministre et son conseil scientifique.

R Goigoux a d’abord montré que la conception du métier enseignant a évolué. "En école normale, on m’a appris un métier d’exécutant", a-t-il rappelé. Au début des années 1970, l’école normale apprend les normes d’un métier clairement défini. Enseigner n’est pas un métier de concepteur comme le revendique le Snuipp avec ce colloque. "On a accordé une autonomie aux enseignants quand l’institution s’ets sentie incapable d’imposer un pilotage clair", au moment où elle prend conscience de l’échec scolaire avec le défi du collège unique. "On revient à une mise sous tutelle des enseignants car l’institution croit savoir ce qu’il faut faire. La liberté dont on a joui était conjoncturelle, liée aux difficultés à se mettre d’accord sur des pratiques de référence". R Goigoux pousse un peu plus loin le raisonnement. "Si les enseignants sont prêts à accepter cela c’est parce qu’ils sont traumatisés. Ils ont besoin de dispositifs qui les protègent".

Arnaque dans l’utilisation de la science

Comment le ministère peut-il imposer de "bonnes pratiques" aux enseignants ? Pour Roland Goigoux il y a une "arnaque complète" dans l’utilisation de résultats scientifiques par le ministre. D’abord parce que "les neurosciences ne s’intéressent pas aux pratiques enseignantes et ne les étudient pas" alors que le ministre s’appuie sur elles pour imposer ses vues. Il "laisse confondre deux choses différentes : prendre appui sur les neurosciences et fonder une politique scolaire sur des données probantes... La science a des choses à dire mais elle ne fait pas la classe".

A l’appui de ses déclarations, R Goigoux fait appel à des textes de F Ramus , par exemple cet article très explicite sur la neuroéducation. " On peut considérer que se réclamer des neurosciences pour guider les pratiques pédagogiques est contre-productif. Les enseignants ont sans aucun doute besoin de connaissances scientifiques plus à jour sur les apprentissages de leurs élèves et sur l’efficacité relative de différentes pratiques pédagogiques, mais ces connaissances sont fournies par la psychologie et les sciences de l’éducation. Faire passer les résultats sur l’apprentissage de la lecture ou sur la mémorisation pour des résultats des neurosciences, passé un neuroenchantement transitoire, engendre méfiance et défiance, et risque de ce fait de faire échouer l’intégration de ces résultats cruciaux au sein de la formation des enseignants", écrit F Ramus.

R Goigoux utilise aussi des déclarations de S Dehaene pour mette en évidence le fait que les neuroscientifiques ne connaissent pas grand chose à l’Ecole...

La science et les normes

Il y a aussi les outils développés par le ministère . A commencer par le Guide orange, publié par la Degsco "en court-circuitant le conseil scientifique", précise R Goigoux. "Ce guide est abusif. Il faut dire aux sciences ce qu’elles ne disent pas". Il montre aussi que le guide pêche par omission , par exemple en parlant beaucoup du décodage et pas de l’encodage, aussi important pour apprendre à lire. "Le ministère a transformé en normes des résultats de mon étude", relève R Goigoux. "Depuis quand l’evidence based transforme une étude en normes ?".

Le rôle des évaluations nationales

Enfin il y a les évaluations nationales de CP et CE, sur lesquelles R Goigoux insiste car elles résument bien la situation.

Pour lui, les évaluations instaurent un nouveau mode de pilotage mis en place par JM Blanquer. Puisque les programmes et les évaluations finales ne réussissent pas à imposer des pratiques aux enseignants, le ministre a décidé d’agir par les outils et des méthodes imposées. Les évaluations de rentrée en CP vont être suivies d’évaluations en février. Celles ci ont été conçues en faisant appel à la psychologie expérimentale sans l’adapter à la situation scolaire.

Les évaluations sont faites pour mettre en évidence les 15% d’élèves faibles. Les enseignants devront expliquer aux parents les résultats mais surtout ce qu’ils vont faire en remédiation. Le ministère a publié déjà des outils de remédiation qui vont être imposées par les inspecteurs et par le controle parental. "C’est une méthode de gouvernance très réfléchie", explique R Goigoux.

Les évaluations vont permettre de "réguler l’activité du maitre et des équipes de circonscription en exerçant une pression accrue sur les enseignants". Elles permettront aussi d’évaluer individuellement chaque enseignants dans l’optique d’une rémunération au mérite.

Un modèle importé
Roland Goigoux montre que le modèle suivi par le ministère est celui de l’Ontario. Les élèves faibles sont pris 45 minutes par jour par l’enseignant pour travailler la langue et les maths. Cela se fait au détriment des autres matières. S Dehaene invite d’ailleurs à prendre ces enfants en fond de classe et à les faire travailler sur tablettes pendant que leurs camarades font de l’histoire ou des sciences.

Pour R Goigoux, l’Ecole est menacée de caporalisation alors que partout ailleurs règne le management collaboratif. "L’enjeu c’est l’hégémonie des idées du conseil scientifique créé par JM Blanquer sur nos métiers".

En conclusion de la journée, le Snuipp appelait les enseignants à se réunir. "Il en faut pas se laisser isoler avec les dispositifs de prime qui individualisent. Sachons nous indigner collectivement. Les choses peuvent bouger".

L’Ecole a déjà vécu une tentative de cet ordre sous G de Robien où le ministre avait laché les parents sur les enseignants. Cela avait échoué et pourtant JM Blanquer était déjà aux commandes. Une des clés sera la capacité des enseignants à apporter des réponses aux attentes des parents sur la réussite scolaire.
François Jarraud

Extrait de cafepedagogique.net du 29.11.18 : Roland Goigoux : Comment le ministère reprend en main les enseignants

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