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"Evaluation des CP dédoublés : le miracle a-t-il eu lieu ?", par Paul Devin sur son blog Mediapart (28.01.19)

13 février 2019

Evaluation des CP dédoublés : le miracle a-t-il eu lieu ?

Au-delà des annonces sur les effets des CP dédoublés, les prochaines évaluations internationales pourraient apporter une triste déception aux enthousiasmes actuels et nous rappeler à nouveau que les changements en profondeur ne peuvent être portés que par une politique véritablement ambitieuse de formation initiale et continue.

Le ministre de l’Éducation nationale, invité sur TF1 mercredi dernier, a affirmé que le dédoublement des CP avait fait la preuve de son efficacité. La communication politique pro-gouvernementale s’est saisie de l’affirmation affirmant que, grâce au dédoublement, « les élèves les plus en difficulté comblent leur retard ». L’enthousiasme est grand puisqu’on va jusqu’à annoncer la perspective d’une nouvelle justice sociale.

La réduction des effectifs
Il ne fait aucun doute que la réduction du nombre d’élèves par classe constitue un atout permettant une organisation plus performante des apprentissages. Nous avons longtemps revendiqué cette réduction et quand nous le faisions, d’aucuns raillaient ces revendications trop strictement quantitatives et donc excessivement coûteuses ! Nous ne contesterons donc pas que la limitation des effectifs de CP puisse avoir des conséquences positives sur les classes et les élèves concernés. La question est de savoir ce que sera la portée réelle de ces conséquences positives à terme sur les compétences des élèves. Il est donc d’évidence bien trop tôt pour crier victoire…

L’évaluation DEPP
La DEPP vient de publier une brève note qui anticipe sur une future publication. On y lit que le dispositif d’évaluation a été conçu avec l’aide de chercheurs en économie (Marc Gurgand, Julien Grenet), en sciences de l’éducation (Pascal Bressoux) et en psychologie (Peter Blatchford).
On pourrait s’interroger sur la pertinence de confier une telle évaluation à l’École d’économie de Paris, choix qui avait déjà présidé à certaines évaluations de Jean-Michel Blanquer, recteur de Créteil.
Marc Gurgand et Julien Grenet sont les auteurs de l’étude qui avait affirmé en septembre 2017 les influences positives d’une forte réduction des effectifs.(1)

Déclaratifs enseignants
Une partie de l’étude se fonde sur les déclaratifs des enseignants concernés par le dédoublement. Ils expriment une amélioration du climat scolaire dans les classes, de leurs conditions de travail et de la motivation des élèves. Ils ont le sentiment d’une personnalisation accrue des pra-tiques d’enseignement. Nous ne pouvons que nous réjouir de ce sentiment d’amélioration mais reste à engager l’analyse qui, au-delà de ce sentiment déclaré, caractériserait précisément les évolutions des pratiques et mesurerait leurs effets sur les apprentissages. Car l’étude de septembre 2017 reconnaissait tout ignorer de l’articulation réelle entre la réduction des effectifs et les pratiques pédagogiques.

Résultats des élèves
Sur le plan de la mesure des apprentis-sages, la DEPP constate une réduction de l’écart entre les résultats dans les classes à 12 et les résultats dans les autres classes. Mais la note de la DEPP est bien trop succincte pour que l’on puisse connaître les items sur lesquelles s’est opérée cette mesure. C’est évidemment là que devra se vérifier la rigueur scientifique de l’étude, y compris dans sa volonté à évaluer les enjeux à terme sur les compétences de compréhension des écrits et l’appropriation culturelle de leurs usages. Or, il semblerait qu’on soit prêt à se contenter des enjeux immédiats sur les savoirs instrumentaux (décodage, fluence).

« Agir pour l’école »
Un élément de la note DEPP est de ce point de vue inquiétant : celui qui référe aux données de l’expérimentation « Agir pour l’École » dont la note prétend qu’elle a produit des progrès significatifs des élèves. Il faut rappeler que l’étude citée par la note de la DEPP avait attesté de progrès de décodage consécutifs à un en-trainement intensif mais n’avait jamais rien prouvé sur la compétence globale de lecture (2) .
Curieux en effet de vouloir à tout prix citer cette expérimentation qui n’a rien à voir avec les CP dédoublés à moins de vouloir délibérément confondre les résultats positifs du dédoublement avec les choix méthodologiques portés par Agir pour l’École !
Rappelons que la difficulté majeure des élèves français reste la fragilité des compétences d’une partie d’entre eux à traiter les informations les plus complexes d’un texte et donc à pouvoir en appréhender le sens.
Rappelons que pour ceux qui vivent dans des environnements sociaux qui utilisent peu l’écrit, il ne s’agit pas seulement de leur apprendre à décoder mais de leur permettre une appropriation culturelle des usages de l’écrit, tant dans la lecture que dans la production d’écrits. C’est un enjeu fondamental de l’égalité.
Malheureusement la prescription institutionnelle demande à ce que les contenus de formation associés aux CP dédoublés soient essentiellement centrés sur les apprentissages instrumentaux (phonologie, décodage, fluence). Il y a donc fort à craindre que les bénéfices du dédoublement soient gravement handicapés par un tel choix.

La formation
Car si la note de la DEPP constate les progrès de la formation et l’associe au succès de la mise en œuvre du dédoublement, il faut pourtant constater que les volumes de formation sont loin d’avoir été développés et c’est par des consignes contraignantes qu’une partie importante de cette formation (les animations pédagogiques) a du se consacrer exclusivement aux apprentissages fondamentaux et aux choix méthodologiques ministériels. Là encore, il faudrait pouvoir analyser les conséquences réelles d’une telle centration des contenus de formation sur les fondamentaux notamment sur la disparition dans bien des CP de nombreux champs disciplinaires.

Nous ferons dans quelques années le bilan pour ces générations d’élèves qui auront consacré une part majeure de leur temps d’apprentissage de la lecture à la seule acquisition technique des relations graphophonologiques et à l’entraînement de la fluence.

Au-delà des annonces sur les effets des CP dédoublés, les prochaines évaluations internationales pourraient apporter une triste déception aux enthousiasmes actuels et nous rappeler à nouveau que les changements en profondeur ne peuvent être portés que par une politique véritablement ambitieuse de formation initiale et continue.

(1) Adrien BOUGUEN, Julien GRENET, Marc GURGANT, La taille des classes influence-t-elle la réussite scolaire ?
Institut des Politiques Publiques, note n°28

(2) Sur ce sujet voir :
Paul DEVIN, Programmes « Agir pour l’école » : seul le doute devrait s’imposer !
Note publiée sur le site du SNPI : → cliquer ici…

Extrait de mediapart.fr/paul-devin du 28.01.19 : Evaluation des CP dédoublés : le miracle a-t-il eu lieu ?

 

Sur le site OZP,
voir le mot-clé Langue Expérimentations : AGIR, PARLER, ROLL.../

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