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Vers une réforme de la maternelle (1/2) ? la note boiteuse du CSP (Sébastien Rome)

13 janvier 2021

Vers une réforme de la maternelle (1/2) ? la note boiteuse du CSP
La note du Conseil supérieur des programmes (CSP) sur la maternelle de décembre 2020 suscite de nombreuses réactions. Indigente, peu subtile, elle laisse perplexe quant à son intention. En cherchant à soumettre les apprentissages de maternelle aux tests de CP, elle s’attaque directement aux parents d’élèves mais ignore au passage la capacité de résistance des enfants avant 6 ans.
Sebastien Rome
directeur d’école

La « note d’analyse et de propositions sur le programme d’enseignement de l’école maternelle » de décembre 2020 correspond à une commande de Jean-Michel Blanquer de révision de l’ensemble des programmes de l’école qu’il avait juré de ne pas modifier en arrivant au ministère.

Elle n’est pas sans poser de très nombreux problèmes. Elle laisse l’impression d’un texte imprécis, mal équilibré et peu informé de la réalité des écoles maternelles, avec comme double objectif de discréditer les programmes récemment adoptés en 2015 et réduction de l’école maternelle à une machine à préparer aux tests d’entre au CP. Sans évoquer tous les aspects de la note, dans ce premier billet je retiendrai trois éléments qui permettent de comprendre que les 50 pages ne servent pas une réelle ambition pour l’école maternelle.

1/ Tout d’abord la note est souvent traversée de platitudes si indigentes, que non seulement l’enseignant de maternelle n’y apprend rien, mais surtout le lecteur non enseignant s’interrogera de la nécessité de mettre de l’argent public dans un Conseil dit « supérieur ». Elle a au moins la vertu de laisser le commentateur que je suis dans une situation confortable où la hausse du niveau d’analyse n’est pas nécessaire. Morceaux choisis :

Sur l’importance de l’école maternelle.

« plusieurs études ont montré que les élèves ayant fréquenté un établissement scolaire préélémentaire obtiennent de meilleurs résultats à l’école primaire. » (P.5) Les élèves qui vont à l’école réussissent mieux que ceux qui n’y vont pas. Les études ne sont bien sûr pas citées.

Nous aurions pu aussi aller vérifier au café, mais ceux-ci sont toujours fermés.

Une recommandation pour l’apprentissage de la compréhension

« la pratique fondamentale de la lecture à haute voix [par l’enseignant] est hautement recommandée. » (P.23). Il faut assez peu connaître ce qui se passe en maternelle pour avoir comme « haute » recommandation de lire des livres aux enfants. Bien sûr, il faut qu’il soit écrit dans un « français correct ».

Le conseil supérieur des programmes réalise cet exploit incroyable de lever toute possibilité d’apprentissage des chansons Aya Nakamura en maternelle.

Une recommandation pour l’enseignement des mathématiques :

« Pour que l’enfant comprenne le sens du nombre et développe des capacités authentiques de calcul, les expériences d’apprentissage doivent être pertinentes et menées avec le souci de l’efficacité pédagogique. » Il est donc recommandé contre toute attente que la meilleure des choses à faire pour que les élèves de maternelle apprennent est de les mettre dans des situations où ils apprennent.

Si un enseignant propose une situation où les élèves n’apprennent pas, le conseil supérieur des programmes, bienveillant, rappelle qu’à l’école on doit apprendre.

Le texte est rempli de ces platitudes où rien n’est dit, nous pourrions y passer des heures.

2/ Sans travail scientifique réel sur le développement de l’enfant et sur la connaissance de ce qu’est la maternelle sur le terrain, le conseil « supérieur » fonde son argumentation sur une démonstration d’allégeance. Dans la note les auteurs cités sont tous issus de la proximité du ministre : Boris Cyrulnik, Stanislas Dehaene, Alain Bentolila, Cedric Villani.

Sans rien ôter au travail de ces personnalités, il est tout de même étrange que pas une ligne ne mette en débat ou en perspective ce qui est avancé.

Cela se comprend par le renouvellement d’un argument d’allégeance répété, mais dont aucun élément n’étaye la validité.

L’obligation de l’instruction à trois ans, voire l’obligation scolaire (anticipé avant la loi) à trois ans, impliquerait le changement des programmes de maternelle. Or, si presque tous les enfants allaient à l’école maternelle (plus de 97 % avant l’obligation d’instruction et 100 % aujourd’hui selon l’Insee), en quoi un changement de programme permet-il de mieux répondre aux 20 000 élèves qui n’y allaient pas ? « pas grand chose » selon la note qui se rattrape quelques lignes plus bas en affirmant : « l’instruction obligatoire à 3 ans donne à tous les enfants les mêmes chances d’entrer dans de meilleures conditions à l’école élémentaire » (P.8).

Rien n’est plus faux et plus ignorant de notre société comme le montre, par exemple, le livre de Bernard Lahire, Enfance de classe ou encore les comparaisons internationales. Les enfants sont « inégaux dès le berceau [car] les enfants vivent dans la même société, mais pas dans le même monde ».

Bien évidemment le conseil dit « supérieur » ne peut éluder cette vérité et de se contredire sans rougir en rappelant un peu plus loin. « Nombre d’entre eux arrivent à l’école à l’âge de 3 ans en parlant un français très éloigné de celui qu’ils vont apprendre à lire et à écrire. Il s’agit d’abord d’une pauvreté de vocabulaire et de sa compréhension approximative ou erronée. Il s’agit aussi d’une ignorance des structures de la langue, de son système de temps et de ses articulations logiques » (P.20).

On ne serait mieux dire : ce n’est donc pas l’instruction obligatoire à 3 ans qui donne à tous les enfants les mêmes chances.

Pire, le Conseil attribue cet écart à l’entrée à l’école par un « défaut d’accès au principe alphabétique » où « il est établi que la connaissance des lettres et de leur nom joue un rôle déterminant dans l’apprentissage de la lecture ». Il faudrait donc que les élèves sans être scolarisés sachent déjà lire les lettres de leurs prénoms.

Je confirme ce que dit la note, il est plus facile d’enseigner à des enfants ce qu’ils connaissent déjà surtout quand, dans les faits, cet apprentissage est justement au programme des deux premières années de maternelle.

L’argument de l’instruction obligatoire n’est donc avancé que pour certifier que c’est une bonne mesure du ministre.

Si le ridicule n’a jamais tué, plaire au ministre peut toujours servir.

3/ On retrouve aussi de nombreux passages où on retrouve des formes alambiquées de rhétoriques spécieuses. Le long passage sur la distinction entre « langue » et « langage » que ne feraient pas les programmes de 2015, ce qui du coup pousserait les enseignants dans de fausses voies, sert à montrer la supériorité philosophique de la note sans rien apporter de neuf. Ou encore quand les programmes de 2015, « ne [ferait] pas une place suffisante à l’appréhension des nombres et à l’expression des quantités » ; or, le mot « quantité » est cité 27 fois dans les programmes… contre 28 fois dans la note qui lui y insisterait. (notons que les programmes font 20 pages quand la note en fait 50 pages…)

Platitudes et erreurs enfilées comme des perles, déférences envers le ministre et rhétoriques absconses, la note est assez peu utile pour faire classe.

De nouveaux programmes inspirés de cette note n’ont que peu de chance de renverser la tendance des inégalités. Par contre, la note peut être assimilée à un communiqué de presse annonçant la future réforme de l’école maternelle contre les parents d’élèves, dans une optique d’avoir une emprise sur ce qui échappe au ministre, c’est-à-dire les élèves. Nous y reviendrons dans un prochain billet.

Extrait de blogs.mediapart.fr/sebastien.rome du

 

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