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Maternelle : Le Gfen affiche ses valeurs face au ministère (Le Café)

1er février 2021

Maternelle : Le Gfen affiche ses valeurs face au ministère
Lorsque les treizièmes Rencontres nationales du GFEN, « Pour que la maternelle fasse école », ont été organisées, les membres de l’association n’imaginaient pas qu’ils seraient à ce point dans l’actualité. La note du conseil scientifique des programmes qui a fait réagir vivement acteurs et actrices de l’éducation relance le débat sur le rôle et les attendus de cette école spécifiquement française. Malgré le communiqué publié le 8 janvier dernier par le CSP, communiqué qui ressemble à un rétropédalage, « personne n’oublie les attendus de la note visant à interroger les choix théoriques, pédagogiques et didactiques qui ont orienté la conception du programme de 2015, à reconsidérer les priorités et les finalités de l’école maternelle et à infléchir les pratiques des enseignants » dénonce Jacques Bernardin, président du GFEN, lors de l’introduction de sa conférence. Une matinée d’échanges autour des enjeux de l’école maternelle, alternant conférences et ateliers, qui a permis aux 150 participants de repartir riches d’éléments de réflexion pour faire vivre une école maternelle qui garde à l’esprit la pluralité des besoins des élèves qu’elle accompagne.

Une réponse au ministère

Dernièrement, le CSP a publié une note d’analyse et de propositions sur l’enseignement du programme de l’école maternelle qui a entrainé de nombreuses réactions syndicales, pédagogiques et associatives. Le GFEN, qui a coordonné en 2018 le "forum de l’école maternelle par celles et ceux qui la font vivre" a réactivé ce collectif . Ils ont, ensemble, rédigé une tribune « Défendons l’école maternelle ». « Nous prenons tous ensemble position contre la note du CSP et pour les programmes de 2015, équilibrés et acceptés par l’ensemble des professionnels et qui font la part des choses entre jouer et raisonner, s’exercer et mémoriser dans les cinq domaines d’apprentissages qui sont tous aussi fondamentaux les uns que les autres.

L’école maternelle n’est pas une école préélémentaire qui préparerait les élèves aux évaluations de CP » explique Isabelle Lardon, responsable et coordinatrice du groupe maternelle, en charge de la réflexion et de l’organisation de ces rencontres. Elle évoque aussi, toujours en préambule, l’enquête sur l’observation, « même s’ils ne disent plus évaluation, on sait très bien quel est l’enjeu de cette démarche », des comportements des élèves de leur entrée à l’école maternelle à la fin de leur scolarité révélée par le café pédagogique. « Après le formatage des enfants dès l’école maternelle, il est maintenant question de fichage des élèves dès trois ans. Tous les objectifs ministériels sont cohérents pour faire en sorte que l’école ne soit pas celle de tous mais de quelques-uns, ni égalitaire, ni inclusive, ni juste, ni démocratique. Nos réponses à ces questions, ce sont les rencontres nationales qui prouvent, encore plus cette année que les précédentes, que l’on peut creuser collectivement les questions vives de recherche et de métier, déconstruire les intentions idéologiques du ministère et faire connaître des pratiques qui ne valent que par les valeurs qui les portent ».

Isabelle Lardon rappelle les valeurs portées et prônées par le GFEN pour la maternelle, « une école confortée dans son rôle premier, chronologiquement parlant, et primordial, c’est-à-dire essentiel, de garantir la démocratisation et l’émancipation individuelle et collective. L’école maternelle est une école spécifique qui prend en compte les besoins de l’enfant - affectifs physiologiques, moteurs…- et crée le besoin d’apprendre. Une école qui s’adapte au rythme de maturation physique et cognitive de l’enfant tout en lui proposant des situations d’apprentissages dans sa zone proche de développement pour le tirer vers le haut, l’élever. Mais l’école maternelle c’est aussi une école où l’on apprend ensemble, ce qui permettra ultérieurement de vivre ensemble. C’est une école qui permet de créer une culture commune pour faire société dans un climat de confiance où chacun et chacune osera prendre le risque d’explorer et questionner le monde avec les autres. Et pour finir, l’école maternelle est une école qui accueille et scolarise tous les enfants dans leur diversité et leur singularité. Je citerai Marc Bablet pour terminer, ainsi conçue l’école n’a pas besoin d’être inclusive pour être l’école de tous. Il suffit qu’elle soit l’école du développement maximum de chacun, pour reprendre une formule du plan Langevin-Wallon ».

L’apprentissage langagier, conséquence directe des inégalités sociales

Jacques Bernardin introduit sa conférence axée sur le langage en évoquant, lui aussi la note du CSP qui ferait de la maternelle l’antichambre du CSP et la placerait sous contrôle évaluatif. Toujours selon le président du GFEN, les domaines seraient réduits aux fondamentaux et polarisés sur la lecture, le français et les mathématiques. L’enseignement structuré de la langue orale ainsi que, dès la petite section, l’invitation à travailler sur la conscience phonologique et l’amorce du principe alphabétique, mais aussi l’insistance sur l’individualisation, l’apprentissage systématique, sont autant d’éléments qui font craindre le pire, « à rebours des principes de développement des jeunes enfants ». Ainsi, le chercheur dénonce les prescriptions officielles axées sur la langue, la phonologie et le vocabulaire qui « conditionnent à l’étroit l’entrée dans le langage dans une approche plus formatée qu’émancipatrice. S’il importe de développer le langage de tous les élèves, faut-il privilégier l’attention aux aspects formels ou se préoccuper de la nature des situations éducatives et du type d’interactions qu’elles suscitent ? Faut-il l’écoute dévote de la voix de son maître, la répétition docile ou l’exploration conjointe de significations partagées ? » interroge-t-il. Il évoque le rôle indispensable du langage pour comprendre et se faire comprendre, pour communiquer dans une communauté élargie au-delà de la famille mais aussi pour accéder à l’écrit, qui structure l’oral, « bien parler, c’est parler comme dans un livre ».

Le poids des inégalités de naissance pèse lourd sur l’appropriation du langage, rappelle Jacques Bernardin. « Certains élèves arrivent à l’aise et prêts à envahir toute la place. Tandis que certains sont muets, malhabiles et cherchent plutôt à se faire oublier. Et au-delà des allophones, qui ne bénéficient pas toujours des structures auxquels ils ont le droit, l’usage du français comme langue maternelle ne suffit pas à aplanir ces différences ». Il évoque différents sociologues qui ont permis de pointer du doigts ces inégalités sociales qui impactent directement le langage ainsi que l’élaboration des différentes dispositions culturelle et langagières selon les milieux sociaux des familles. Autant d’éléments dont les effets différenciés sur la scolarité des enfants ne sont plus à prouver…

Une professionnalisation comme opérateur de dépossession du métier

Frédéric Saujat, enseignant-chercheur à l’université d’Aix-Marseille, clôture la matinée de réflexion avec une conférence axée sur le métier d’enseignant, qui semble « de plus en plus empêché ». Il évoque un métier mis à l’épreuve par les élèves hétérogènes, en position de résistance face aux apprentissages, en grande difficulté scolaire. Mais aussi, « la tension, le brouillage et les contradictions des prescriptions » qui mettent à mal la définition même du métier d’enseignant. Il dénonce la professionnalisation du métier qui a agi comme « un opérateur de dépossession du métier », avec « des enseignants tenus en dehors des débats sur les critères de qualité de leur travail » et des prescripteurs s’imaginant pouvoir changer le métier de l’extérieur, « par la prescription, l’évaluation et la formation ». Mais, pour le chercheur, les enseignants résistent. A travers le collectif qui leur permet de construire au jour le jour des situations d’apprentissage. Il évoque un sondage du SNUipp-FSU de 2015 dans lequel 95% des sondés évoquent l’équipe comme le levier permettant de « trouver ce à quoi on n’aurait pas pensé tout seul » et à prendre des « initiatives au niveau de l’école ».

Une matinée riche qui permet d’imaginer que malgré toute sa volonté, la rue de Grenelle ne pourra opérer un changement radical de ce qu’est la maternelle sans grabuge. Les enseignants résistent et continueront de résister en s’informant, en se formant par leurs propres moyens, en appartenant à des collectifs de professionnels. Ils résistent et résisteront car ils croient fondamentalement que tous les élèves, sans exception, sont capables et que leur rôle est de les accompagner sur la voie de leur épanouissement et leur émancipation.

Lilia Ben Hamouda

Le programme des Rencontres

Extrait de cafepedagogique.net du 01.02.21

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