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"Quand les enfants des classes populaires deviennent ceux qui restent en ville", un regard historique de Laura Lee Downs sur les colonies de vacances (site de la Fondation Jean-Jaurès)

12 juillet 2018

Quand les enfants des classes populaires deviennent ceux qui restent en ville"

En février 2018, Jérôme Fourquet évoquait dans sa note 1985-2017 : quand les classes favorisées ont fait sécession le déclin des colonies de vacances précisément parce que c’est un indicateur fort témoignant du séparatisme social croissant entre les classes favorisées et les classes moyennes et populaires en France. En résonance, l’historienne Laura Lee Downs livre un regard historique sur le sujet et revient sur les défis contemporains de ce secteur d’éducation populaire.

Depuis plus d’un siècle, les colonies de vacances occupent en France une place essentielle dans la vie sociale, politique et ludique des enfants des milieux populaires. Mais aujourd’hui, la fréquentation des colonies est en chute libre. Elles sont remplacées soit par des vacances en famille (pour les enfants des classes aisées), soit par le centre de loisirs sans hébergement (pour les enfants de familles à revenus modestes), soit… par rien. Selon le rapport parlementaire de Michel Ménard présenté en juillet 2013, 25 % des jeunes de 5 à 19 ans (c’est-à-dire 3 millions d’entre eux) ne partent jamais en vacances[1]. Depuis, la situation ne s’est guère améliorée[2].

Dans sa note fort intéressante sur la « sécession » des classes favorisées[3], Jérôme Fourquet évoque le déclin des colonies de vacances précisément parce que c’est un indicateur fort témoignant du séparatisme social croissant entre les classes favorisées et les classes moyennes et populaires en France. Pourquoi ? Parce que, depuis ses origines dans les années 1881-1883, la colonie est censée assurer un certain brassage social entre les différentes classes sociales. Cette mission sociale est devenue d’une importance cruciale au sortir de la Seconde Guerre mondiale, quand la colonie est devenue un élément central dans la reconstruction d’une société déchirée par cinq ans de guerre, d’occupation et de collaboration. Au lendemain de ces années noires qui ont remis profondément en cause la solidarité du pays, politiciens et acteurs du champ socio-éducatif ont mis en avant la capacité de la colonie à recréer du lien social grâce à la mixité sociale : « Les différences de fortune, de situation sociale des parents – voire de race ou de nationalité – ne compteront que fort peu en regard de la richesse personnelle », déclare le pédagogue mariste Philippe-Alexandre Rey-Herme en 1955. « Le personnage ne comptera plus guère, et la personne seule demeurera[4]. »

Que reste-t-il aujourd’hui de cette mission de mixité sociale à une époque où la République est passée de la « fracture sociale » des années 1990 à la franche « sécession des riches » qui s’affirme aujourd’hui dans plusieurs domaines de la vie sociale ? Pour répondre à cette question, il faut revenir brièvement sur l’histoire des colonies afin de comprendre leur rôle en tant que structures socio-éducatives par rapport à l’État providence. Cela nous permettra de saisir la nature pluraliste et parapolitique de cette institution d’éducation populaire. En effet, il ne faut pas oublier que la colonie de vacances n’a jamais été une institution étatique. Elle émane de la société civile, dont elle reflète toute la diversité. Pourtant, si la colonie de vacances n’est pas une institution de l’État, elle est néanmoins souvent perçue comme faisant partie de l’État providence. C’est pourquoi l’effondrement récent de la fréquentation des colonies que souligne le rapport parlementaire de Michel Ménard en juillet 2013[5] est fréquemment interprété comme un signe inquiétant du déclin de l’État providence.

L’histoire de cette institution qui puise dans les énergies de la société civile a donc quelque chose d’important à nous apprendre sur la longue histoire de l’organisation de la protection sociale en France et sur la forte implication de la sphère associative dans cette histoire. En effet, son caractère d’institution de proximité, assuré par son enracinement dans la société civile, donne à la colonie une nature pluraliste qui influe sur ses structures pédagogiques ainsi que sur la conception de l’éducateur/animateur de colonie de vacances. Comme c’est justement son caractère d’institution de proximité qui est de plus en plus dénaturé depuis les années 1980 par la commercialisation de la colonie, il est encore plus urgent de comprendre la nature de cette institution de loisirs et d’éducation civique et sociale aujourd’hui transformée en bien de consommation.

[...] SOMMAIRE

I - Une institution née de la rencontre entre associations et État

II - À la frontière poreuse de l’action sociale et de l’action militante

III - La pacification progressive du conflit politique dans un secteur stratégique du service social

IV - Qu’en est-t-il de la mission initiale des colonies de vacances dans la France actuelle ?

V - Conclusion
Depuis ses origines, le mouvement autour des colonies de vacances n’a jamais cessé de promouvoir l’idée que les vacances étaient un droit social de l’enfant : « Que puissent bientôt des milliers d’enfants du peuple essaimer tour à tour vers la montagne ou la mer[36] », écrit en 1886 Edmond Cottinet, fondateur des premières colonies scolaires parisiennes. Pourtant, l’idée que le droit des enfants aux vacances fait partie de la justice sociale – idée qui semblait acquise dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale – reprend aujourd’hui une place centrale dans les discours sur les colonies de vacances. Ainsi, les militants de l’enfance ne cessent d’insister sur les inégalités croissantes dans l’accès des jeunes aux vacances, et d’afficher des slogans tels que « Le départ en vacances des enfants : un devoir de justice sociale[37] ». Or, si tout le monde s’accorde sur l’importance des vacances pour le bien-être des enfants, ce « droit » se révèle fragile, surtout depuis la dernière décennie de crise de fréquentation des colonies de vacances. La baisse depuis dix ans est importante sur le plan symbolique, puisque la fréquentation des colonies est passée sous la barrière symbolique d’un million entre 2007 (1,3 million) et 2016 (environ 800 000)[38]. Mais la chute depuis les années 1960, époque où les colonies accueillaient 4 millions d’enfants chaque été, est encore plus frappante[39]. Service socio-éducatif qui s’ancre dans l’espace parapolitique de la protection sociale, et non dans les structures plus durables de l’État providence, la colonie d’aujourd’hui est victime des coupes budgétaires juste au moment où elle doit faire face à des frais de fonctionnement qui ne cessent d’augmenter. Si son ancrage dans la sphère associative assure à la colonie l’énergie et le zèle des jeunes militants de l’éducation populaire, il est aussi un facteur de faiblesse économique qui rend l’institution extrêmement fragile. Quand 3 millions de jeunes ne peuvent pas partir en vacances[40], n’est-il pas urgent de trouver un moyen de renouer avec la mission fondatrice des colos ?

Extrait de jean-jaures.org : Quand les enfants des classes populaires deviennent ceux qui restent en ville

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