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Paroles de jeunes de banlieue qui réussissent à l’école

25 décembre 2005

Extrait du « Monde » du 25.12.05 : Les as de la banlieue

Voici des "jeunes de banlieue" qui ne brûlent pas de voitures et dont on ne parle jamais. Des ambitions plein la tête, aux antipodes des caricatures à cagoule qui ont occupé l’espace médiatique ces dernières semaines, ils veulent devenir magistrats, chefs d’entreprise, enseignants, traders, experts comptables, commissaires de police. Cette jeunesse nombreuse des quartiers populaires a eu son baccalauréat et peuple aujourd’hui les amphithéâtres de l’université Paris-13, à Villetaneuse, au coeur de la Seine-Saint-Denis.

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Tanguy Kamen, 24 ans, lui aussi en mastère d’économie et finances, refuse de considérer que la société est, seule, coupable des tensions actuelles : "Les discours un peu faciles m’énervent. Certains Noirs et Arabes disent qu’ils ne trouvent pas de travail. Mais ils refusent des boulots de chauffeurs-livreurs à 1 000 ou 1 200 euros par mois. J’entends des jeunes se plaindre de l’école : mais si tu t’arrêtes de bosser au CP et que tu te plains, c’est n’importe quoi !" Le jeune homme, Guyanais, voudrait devenir trader. Si son insertion devait être trop difficile, il se dit néanmoins prêt à partir travailler à l’étranger.

Pour réussir, il faut savoir se protéger de ce que l’un d’entre eux appelle le "syndrome des écrans plasma et des belles voitures", qui suppose de gagner beaucoup d’argent, rapidement, par tous les moyens. Leurs propos sonnent comme un éloge de la responsabilité et du volontarisme individuel. "Ceux qui ont cassé des voitures n’ont sans doute jamais envoyé de CV. Ils disent l’école ne veut pas de moi, mais ce sont eux qui n’en veulent pas. Si tu te marginalises de l’école, tu te marginalises de tout", assure Daniel Bugarin, 22 ans, en mastère d’économie, originaire de l’ex-Yougoslavie.

Conséquence logique de ce profond désir de réussite, ils rejettent toute idée de discrimination positive. "On ne veut pas d’un geste de bonté, résume Mokrane Hamadouche. Cela me serait difficile de savoir que je suis pris parce que je suis un petit Noir de banlieue", ajoute Gilles Bansimba, 22 ans, en licence d’AES. "Quand on parle de quotas, on a l’impression qu’il s’agit d’animaux", souligne Stéphanie Bisoly, Martiniquaise de 18 ans, mention assez bien au bac, en première année de l’IUT gestion des entreprises. Même si leur parcours doit être difficile, même si tous craignent des discriminations au moment de l’entrée sur le marché du travail, ils revendiquent une insertion pleine et entière, mais liée à leurs seules capacités.

Car, fondamentalement, ils estiment de pas avoir à s’intégrer dans la société. Mokrane Hamadouche à nouveau : "Mes parents venaient de l’étranger et ont eu à s’intégrer. Mais moi, je suis autant français que Sarkozy. Je suis né ici, je parle français, je consomme français. Qu’est-ce que je dois faire de plus ?" Le jeune homme, qui se voit travailler dans l’assurance ou devenir professeur en ZEP, met en avant la réussite familiale : une grande soeur qui effectue un mastère à l’université de Barcelone, une autre devenue agent d’escale, un frère qui prépare le bac S et deux autres, au collège, "qui ont régulièrement des félicitations".

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Les seules expressions de colère visent les médias et les hommes politiques. Les premiers sont accusés de ne montrer les banlieues que sous un angle dramatique. Et caricatural : "Quand Nicolas Sarkozy va sur un plateau télé pour parler des émeutes, on choisit en face de lui un jeune qui a une capuche et ne sait pas aligner deux phrases. Comme ça, on reste bien dans les clichés", s’indigne Tanguy Kamen. Eux-mêmes risquent de subir les conséquences des généralisations hâtives sur les "jeunes de banlieue". "Comment ils nous perçoivent dans les campagnes ? En fonction de ce que dit TF1. Et comme TF1 préfère interroger les petits qui traînent dans les halls, c’est catastrophique", s’inquiète Stéphanie Bisoly.

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Luc Bronner

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