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ENTREVUE DE l’OZP AVEC LE CABINET DU MINISTRE
Une délégation du bureau de l’OZP composée de Marc Douaire, président de l’association, de François-Régis Guillaume et de Jean-Paul Tauvel, membres du bureau, été reçue, à la demande de l’association le vendredi 20 avril 2018 au ministère par Isabelle Bourhis, conseillère sociale auprès du ministre, chargée également des partenariats et de la vie scolaire. Isabelle Bourhis nous a prié d’excuser l’absence de Thierry Ledroit, conseiller chargé des territoires et des politiques interministérielles, qui n’a pu se libérer.
Assistaient également à l’entretien, qui a duré près d’une heure trente, Françoise Petreault, directrice de la Sous-direction de la vie scolaire, des établissements et des actions socio-éducatives, et Marc Bablet, chef du bureau de l’éducation prioritaire.
Marc Douaire a présenté l’association, totalement indépendante et qui ne bénéficie d’aucune subvention, et a insisté sur les points suivants :
- aucune étude scientifique sérieuse n’a jamais prouvé l’inutilité ni la nocivité de l’éducation prioritaire
- le dispositif a dès l’origine reposé sur l’inter-degrés et le partenariat
- le principe n’est pas tant de donner plus à ceux qui ont moins que d’assurer l’égalité des droits.
Pour cela, 4 conditions sont nécessaires :
- la continuité et la cohérence de l’ensemble du dispositif, ce qui explique par exemple que nous ayons invité Catherine Moisan à ouvrir la prochaine journée de l’OZP le 26 mai 2018. Il faut rompre avec la tendance à lancer des dispositifs et à les abandonner ensuite sans les avoir évalués, ce qui démotive beaucoup les acteurs de terrain. Voir par exemple le cas des professeurs référents ou « supplémentaires ».
- le maintien de la culture de réseau mise en place avec la création des RAR en 2007. Le référentiel de l’éducation prioritaire, qui insiste sur la notion de réseau, devrait d’ailleurs pouvoir servir de modèle pour une extension de la liaison collège-lycée.
De même l’effort de professionnalisation collective des acteurs, qui est développé depuis 10 ans en éducation prioritaire, devrait être étendu à tout le système éducatif.
- le pilotage du dispositif à tous les niveaux, national, académique et local. Au niveau local et académique, la relation on entre les différents pose encore parfois des problèmes.
- l’éducation prioritaire doit être prioritaire sous toutes ses composantes : formation, moyens…
Puis Marc Douaire pose plusieurs questions sur le maintien de quelques mesures, dispositifs ou fonctions :
- L’OZP a approuvé la priorité accordée aux apprentissages premiers mais
que devient le dispositif « Plus de maîtres que de classes », dont les moyens semblent avoir été largement utilisés pour créer les CP à 12 ?
- Où en est la scolarisation des moins de trois ans, que l’OZP a toujours
soutenue dans la mesure où elle se pratiquait dans de bonnes conditions.
– Les postes spécifiques vont-ils être maintenus, en particulier ceux des coordonnateurs et, catégorie plus récente, des formateurs de REP+.
- Les heures de concertation en REP+ seront-elles conservées ?
- L’évaluation prévue de l’éducation prioritaire pour la période 2014-2019 aura-t-elle lieu ? Sera-t-elle l’occasion d’organiser des Assises, sinon nationales, au moins au niveau académique ?
- La carte de l’éducation prioritaire devait être revue en 2019. Le sera-telle et selon quels critères ?
En conclusion, Marc Douaire rappelle que l’OZP n’est pas opposé à plus ou moins longue échéance à une évolution de l’éducation prioritaire, en dehors de quelques situations particulièrement dégradées, vers une attribution différentielle des moyens en fonction de la compostions sociale des établissements
Il souligne que l’éducation prioritaire est une politique au long cours qui demande de la transparence et un soutien affirmé aux équipes éducatives si l’on veut que celles-ci continuent à s’investir.
Jean-Paul Tauvel, de son côté, fait remarquer que le PDMQDC est moins coûteux que le dédoublement et demande confirmation d’une déclaration du ministre
début mars, rapportée par un quotidien, selon laquelle l’extension du dédoublement à la rentrée 2018 dans les CE1 des REP+ ne pourrait s’opérer qu’à 50% en raison de l’insuffisance des locaux. Il s’enquiert aussi de l’état actuel de la liaison entre la politique d’éducation prioritaire et la politique de la ville, qui lui semble peu visible.
LES REPONSES DU MINISTERE
La baisse continue des performances du système français dans les enquêtes internationales, en particulier pour les publics en difficulté, demande un effort important en leur direction.
Isabelle Bourhis réaffirme la priorité fondamentale accordée par le ministre au premier degré et à la lutte contre inégalités sociales et territoriales dont l’éducation prioritaire est le coeur.
Sur la maternelle
Les Assises de la maternelle ont posé le posé le principe de la scolarisation obligatoire à trois ans. La scolarisation des moins de trois ans, elle, est très inégale selon les territoires et il faut distinguer les chiffres d’inscription et de fréquentation.
Sur la formation initiale et continue
La demi-journée de formation en éducation prioritaire a été mise en place dès cette année.
Le projet d’Agenda social, sur lequel travaille le ministère, intégrera des discussions avec les syndicats sur tous les aspects de la formation : contenus, place du concours, besoins dans les disciplines, enseignement de la lecture et des mathématiques en primaire… Un cahier des charges sera établi avec l’enseignement supérieur et les Espé d’une part et l’ »employeur » d’autre part.
Sur le dédoublement des CP et CE1 et le PDMQDC
François-Régis Guillaume demande avec insistance que l’extension des CP et CE1 à 12 élèves ne se fasse pas au détriment les dispositifs « Plus de maîtres que de classes » et que soit reconnue l’autonomie pédagogique des réseaux pour aménager une complémentarité entre les 2 dispositifs.
Isabelle Bourhis répond qu’il est difficile d’envisager une telle autonomie dans ce domaine. Elle conteste fortement par ailleurs que les postes de Plus de maitres aient été absorbés à 80% par la création des CP dédoublés. Ce transfert n’a concerné qu’une partie de ces postes [Vérification faite, sur 3 900 postes, il en reste
2 800, NDLR]
L’extension du dispositif de dédoublement aux classes de CE1 en REP+ à la rentrée 2018 pose de sérieux problèmes de locaux aux collectivités locales qui ont déjà dû souvent investir à la rentrée 2017 pour le dédoublement des CP. L’étalement sur trois ans de cette extension était d’ailleurs prévu à l’origine. Le dédoublement des CP dans les REP, lui, ne devrait pas poser de problème à la rentrée 2018
Marc Bablet rappelle que plusieurs mesures d’aide existent actuellement qui permettent d’alléger la charge des communes dans cette opération.
Isabelle Bourhis souligne aussi que le dédoublement fait l’objet de retours très positifs de la part des enseignants et se déclare en accord avec Marc Douaire pour reconnaitre que cette baisse d’effectifs doit absolument s’accompagner d’un changement des pratiques pédagogiques.
Les deux dispositifs, dédoublement et plus de maîtres, seront évalués par la DEPP, à une date non précisée actuellement.
Sur les contractuels et les remplacements
Un long échange a lieu sur les questions de l’emploi de contractuels en primaire et des remplacements.
Isabelle Bourhis avance que le problème des contractuels existait auparavant et que la situation ne s’est pas dégradée. Françoise Petreault souligne que cette situation est d’ailleurs très différente selon les académies, selon qu’il s’agit d’un milieu rural ou urbain, et que, par ailleurs, ce problème est très lié aux difficultés de recrutement.
Le développement de la formation continue des enseignants, avec les remplacements qu’il implique, ne doit pas se faire aux dépends de l’intérêt des élèves.
Cette question sera discutée dans le cadre de l’Agenda social.
Marc Douaire reconnaît qu’un a priori sur la qualité pédagogique des contractuels n’est pas forcément justifié et rappelle à ce propos que l’OZP s’est toujours montré réservé sur la nécessité, souvent clamée, de ne pas nommer en ZEP d’enseignants « inexpérimentés ». Sur ce point, il réitère la proposition de l’OZP que le poste d’un enseignant expérimenté en milieu favorisé acceptant d’exercer en éducation prioritaire puisse lui être réservé quelques années.
Il estime également que des marges budgétaires de manoeuvre pourraient être dégagées pour rendre les contractuels plus efficaces, par exemple en réformant le mode de rémunération des « heures de colle » en classe prépa, malgré les fortes oppositions rencontrées il y a quelques années sur ce sujet.
Il fait état également des réticences des Espé à prendre en charge les enjeux de la professionnalisation des enseignants et à s’inspirer de l’expérience de l’éducation prioritaire en matière de travail inter-degrés.
Sur l’inter-degrés
Isabelle Bourhis déclare que le ministre a organisé une série de regroupements qui lui ont permis de rencontrer tous les IEN de France. Elle assure qu’il n’y a pas de recul du ministère sur la nécessaire articulation école-collège, articulation qu’elle a elle-même beaucoup soutenue dans ses postes précédents.
L’idée de réseau, qui est chère à l’OZP, mériterait en effet d’être reprise dans le cadre du chantier de la réforme des lycées professionnels.
Sur le pilotage et les emplois spécifiques
Marc Bablet rappelle qu’il a animé cette année un séminaire de formation de trois jours consacré à la question du pilotage et annonce que la Dgesco envisage l’an prochain d’intégrer les coordonnateurs dans la formation des pilotes.
Certes des tensions existent encore parfois entre les pilotes aux différents niveaux mais un réel effort est fait pour que les académies prennent le relais du pilotage du dispositif.
Sur le rôle moteur de l’éducation prioritaire
L’OZP insiste fortement sur la qualité du référentiel de l’éducation prioritaire élaboré par la Dgesco et émet le vœu que ce travail puisse être réutilisé dans l’ensemble du système éducatif. L’apport fondamental du centre Alain Savary dans le domaine de la formation est également souligné.
Isabelle Bourhis partage ce point de vue sur ces deux points et sur le rôle de fer de lance de l’éducation prioritaire dans le domaine de la formation.
Sur la carte de l’éducation prioritaire
Isabelle Bourhis déclare que la révision de la carte doit s’appuyer sur la mise à plat préalable de la situation en matière de ressources humaines, y compris sur le cas des professeurs référents évoqué à nouveau par François-Régis Guillaume. Sur le terrain, si on constate ici ou là une nette évolution démographique, il faut accompagner les sorties.
Sur le lien avec la politique de la ville, Marc Bablet assure que le travail se poursuit entre les deux administrations mais qu’il est vain de viser une concordance parfaite des cartes en raison du nombre des quartiers prioritaires de la ville, bien supérieur à celui des réseaux d’éducation prioritaire.
Quant à l’objectif lointain et idéal de disparition des ZEP qui a présidé à la création du dispositif en 1981, Isabelle Bourhis fait remarquer qu’il est loin d’être partagé par tous.
En conclusion, la représentante du cabinet propose de recevoir à nouveau l’OZP quand la préparation de la rentrée 2019 sera plus avancée.
Compte rendu rédigé par Jean-Paul Tauvel
LE COMMENTAIRE DE L’ENTREVUE PAR MARC DOUAIRE, PRESIDENT DE L’ASSOCIATION
Le ministre de l’Education nationale a-t-il une politique d’éducation prioritaire ?
Au sortir de cette audience la question mérite d’être posée.
Au crédit du ministère, il faut reconnaitre qu’il n’y a ni volonté de délabellisation, ni
discours de stigmatisation envers l’éducation prioritaire, ni mise en œuvre d’un programme général de récupération des moyens supplémentaires. On peut même entendre une intention d’inscrire cette politique dans la durée.
La mise en œuvre des classes de CP et CE1 limitées à 12 élèves en éducation prioritaire correspond bien aux engagements du candidat Emmanuel Macron. L’OZP l’avait souligné à l’époque. Par ailleurs, les formations destinées à améliorer le pilotage des réseaux, la confirmation des fonctions des coordonnateurs et des formateurs des Rep+ constituent des points d’appui intéressants.
Notre interrogation est la suivante : si le ministère affiche une intention de continuer l’éducation prioritaire, il ne présente pas à ce jour une politique explicite, cohérente et continue.
L’histoire de l’éducation prioritaire n’a pas commencé en 2017 : 20 ans auparavant, le rapport des inspecteurs généraux Moisan-Simon indiquait clairement comment améliorer nettement les réalisations des ZEP. Il conviendrait donc qu’en bonne méthode les décisions actuelles s’inscrivent dans le contexte de l’histoire récente de l’éducation prioritaire : la création des réseaux ambition réussite en 2007 et la refondation engagée en 2013/2014.
Dès son origine en 1981, sous l’impulsion du ministre Alain Savary, la politique d’éducation prioritaire reposait sur 2 piliers : le projet inter-degrés et le travail partenarial. Aucune étude publiée à ce jour ne vient rendre caduques ces principes pédagogiques et politiques toujours d’actualité au regard des inégalités scolaires et sociales. Aujourd’hui, si l’accent est mis fortement sur les premiers apprentissages à l’école élémentaire, le travail de continuité école/collège, les projets de réseaux comme le travail en cycles semblent relégués à l’arrière-plan au profit d’un discours prônant le recours général à la forme scolaire traditionnelle : un maître, une classe, une discipline, une année. De même, les équipes des écoles maternelles ont engagé depuis de nombreuses années (cf. les projets Zep 1990/19992) un travail conséquent sur le développement du langage ou la socialisation des jeunes élèves ; par ailleurs la scolarisation des enfants de moins de 3 ans a fait l’objet d’un travail partenarial important qui doit se poursuivre.
Chacun le sait, une meilleure réussite des élèves de l’éducation prioritaire ne saurait reposer sur la seule action de l’institution scolaire mais appelle la construction résolue d’un partenariat éducatif notamment avec les familles, les associations locales et les collectivités. Dans les quartiers en difficulté, ce travail est plus nécessaire que jamais mais n’apparait pas comme une priorité de l’action publique.
Les 10 dernières années ont permis de construire, dans un certain nombre de réseaux d’éducation prioritaire, des collectifs professionnels qui préfigurent l’évolution nécessaire de la professionnalité enseignante dans l’éducation prioritaire bien sûr mais aussi dans l’ensemble du système éducatif. L’émergence de ces collectifs est le fruit d’un travail persévérant d’équipes de réseaux, de formateurs, de cadres de l’institution. Il ne saurait être minoré ou occulté.
Chacun l’a compris, toute politique qui voudrait faire l’économie de l’histoire récente de l’éducation prioritaire ne conduirait qu’à l’échec et la désillusion. La politique engagée en 2014 doit être évaluée en 2019. C’est donc dès maintenant que la rentrée 2019 doit se préparer. Le ministère de l’Education nationale doit très rapidement présenter son calendrier et sa méthode d’évaluation. Cette dernière ne saurait se faire sans la participation de l’ensemble des acteurs de l’éducation prioritaire. Une telle démarche permettrait de traduire dans les faits la bienveillance et le pragmatisme souvent prônés.
L’OZP a rappelé au ministère qu’il était prêt à s’engager dans cette réflexion collective, comme il a pu le faire précédemment.
Le ministère de l’Education nationale nous a attentivement écoutés. Nous a-t-il entendus ?
Marc Douaire