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R. Goigoux : comment évaluer le "Plus de maîtres que de classes" et les "CP à 12" (entretien exclusif avec ToutEduc, en accès libre)

28 août 2017

R. Goigoux : comment évaluer le "Plus de maîtres que de classes" et les "CP à 12" (entretien exclusif)

Propos recueillis par P. Bouchard, relus et corrigés par R. Goigoux

"CP à 12", "Plus de maîtres que de classes", quels sont les dispositifs les plus efficaces pour que les élèves démarrent le mieux possible leur scolarité ? Et d’ailleurs, qu’est-ce qu’un dispositif efficace ? Entretien avec Roland Goigoux qui a coordonné l’étude "Lire et Ecrire, efficacité des pratiques d’enseignement de la lecture et de l’écriture au cours préparatoire".

ToutEduc. Vous êtes membre du comité de suivi du dispositif "Plus de maîtres que de classes", où en êtes-vous de l’évaluation de ce dispositif ?

Roland Goigoux : J’étais membre de ce comité qui a cessé toute activité. Nous n’avions pas pour objectif son évaluation, mais l’accompagnement des acteurs et le dialogue avec toutes les parties concernées, les parents, les services académiques, les inspections, les syndicats... Nous avons collecté de très nombreuses remontées de terrain. J’ai piloté une enquête sur les pratiques des "maîtres +" et des enseignants de CP impliqués, et elle a révélé l’extrême diversité des modalités de mise en œuvre de ce dispositif. L’évaluation elle-même a été confiée à la DEPP [le service statistique et d’évaluation de l’Education nationale, ndlr] et nous attendons les résultats, mais j’espère que, se fondant sur les travaux du comité et sur ceux qu’elle a déjà lancés, elle ne conclura pas en termes "c’est efficace" ou "ce n’est pas efficace", mais "à quelles conditions le dispositif est-il efficace ?".

ToutEduc : Un tel diagnostic, nuancé, répondrait-il à la demande des politiques, qui veulent généraliser ou au contraire supprimer tel ou tel dispositif ?

Roland Goigoux  : Tous ont leurs vertus, et parfois, on les embellit un peu... Certaines organisations sont plus fécondes que d’autres, et leur étude nécessite un travail de recherche, un temps long qui n’est pas toujours compatible avec le temps politique.

ToutEduc : Le dédoublement des CP et des CE1 en REP et REP + va mobiliser 12 à 15 000 postes d’enseignants, une dépense importante justifiée par une étude de Pascal Bressoux, dont il dit lui-même que l’efficacité, mesurée par un effet de 0,2 écart-type, n’est "pas monstrueuse" (voir ToutEduc ici et ici). Comment assurer l’efficience (un bon rapport qualité-prix) d’un tel dispositif ?

Roland Goigoux  : Pour les chercheurs, 0,2 est un effet faible ; le seuil habituellement retenu pour juger positivement l’impact d’une innovation est le double. De plus, le dispositif est très onéreux et il est à présent rarement utilisé à l’étranger (les américains y ont renoncé) en raison précisément de son mauvais rapport coût-efficacité. Le dispositif "Plus de maitre que de classes" mobilisait les enseignants et favorisait leur travail d’équipe. Il améliorait considérablement le climat des classes qui, on le sait, est l’un des leviers des améliorations. À coût équivalent, il bénéficiait à 8 fois plus d’élèves. La comparaison devra donc porter non seulement sur la taille des effets des deux dispositifs mais aussi sur leur efficience respective par élève, c’est-à-dire sur leur rapport coût-efficacité.

Précisons ensuite que ce 0,2 renvoie à une moyenne. Encore une fois, il ne suffit pas de dire "ceci est efficace" ou "ceci n’est pas efficace", il faut identifier à quelles conditions tel dispositif est efficace, pourquoi, dans telle classe à 12 élèves, l’effet est de 0,8 alors qu’il est nul dans tel autre.

Ceci étant précisé, il est clair que ce dispositif ne peut pas, à lui seul, générer 100 % de succès. Je pense donc que Jean-Michel Blanquer a aussi en tête la promotion des "bonnes pratiques".

ToutEduc : Qu’est-ce qu’une "bonne pratique" ?

Roland Goigoux : Soyons très clair, toutes les pratiques ne se valent pas. Mais à quelles "preuves scientifiques" peut-on se référer pour en déterminer les qualités ? En ce qui concerne l’apprentissage de la lecture, nous ne disposons en France d’aucune recherche ayant prouvé la supériorité d’une méthode d’enseignement au sens des "evidence based" anglo-saxonnes. La seule étude expérimentale de ce type, menée rigoureusement avec un échantillon d’enseignants tiré au sort et publiée dans une revue scientifique avec comité de lecture, l’a été en 2011 sous la direction d’Edouard Gentaz dans l’académie de Lyon à l’initiative de Stanislas Dehaene et elle a conclu à l’absence de différence entre le groupe témoin et celui des élèves dont les enseignants avaient été outillés et formés.

Lors du séminaire des inspecteurs du 22 juin (voir ToutEduc ici) ont notamment été valorisés le livre de Sandrine Garcia et Anne-Claudine Oller, "Réapprendre à lire" et la recherche de Jérôme Deauviau sur la méthode syllabique proposée par Jean-Pierre Terrail, mais ce ne sont pas des travaux répondant aux exigences scientifiques internationales. Ils n’ont pas été expertisés par les spécialistes du domaine, ni publiés dans des revues scientifiques. Leur méthodologie et les effectifs des échantillons ne sont pas, et de loin, suffisamment solides. La seule étude française solide dont nous disposons est celle que j’ai coordonnée et dont le rapport, remis à la DGESCO, est en ligne (ici) et auquel le prochain numéro de la Revue française de pédagogie sera consacré. Elle démontre qu’il est nécessaire d’enseigner de manière explicite de passer par un moment de pédagogie explicite les correspondances entre graphèmes et phonèmes. 95 % des enseignants français le font déjà mais les plus efficaces le font sur un tempo rapide et consacrent un temps important aux activités d’encodage (dictée et essais autonomes d’écriture).

ToutEduc : Cette conclusion ne va pas à l’encontre des affirmations des tenants de la "méthode syllabique"...

Roland Goigoux  : Non, en effet. Il faut seulement éviter deux oukazes : 1) l’interdiction de "mémoriser des mots entiers", ces petits mots outils qui se retrouvent dans de nombreux textes, par exemple "dans", aussi longtemps qu’on n’a pas appris que a et n font [an], et 2) l’interdiction de proposer aux élèves des textes dont tous les mots ne sont pas entièrement déchiffrables. Effectivement, nous avons montré que si les textes comportent trop de graphèmes non étudiés, les élèves faibles sont pénalisés. Mais inutile que le texte soit 100 % déchiffrable, les supports de lecture deviennent alors indigents. Nous avons établi que ces deux interdictions posées par les tenants des méthodes syllabiques sont sans fondement, il ne serait pas raisonnable que la DGESCO les reprenne à son compte.

ToutEduc : Le ministre Jean-Michel Blanquer fait plutôt référence aux "evidence based research" anglo-saxonnes ou québécoises ?

Roland Goigoux  : Oui, mais les méthodes d’enseignement ne sont pas les mêmes dans les différents pays. Bonne nouvelle cependant : les critères de qualité transférables sont déjà ceux que nous avons observés dans l’immense majorité des classes françaises. D’autre part, la plupart de ces recherches portent sur les dispositifs de remédiation en lecture, ceux qu’on emploie avec les élèves les plus faibles, et non pas sur le travail fait avec la totalité des effectifs. Sur ce plan, en revanche, l’école française s’y prend mal. L’intervention de nos réseaux d’aide ne remplit aucune des conditions généralement requises pour améliorer les choses.

ToutEduc : Quelle conclusion en tirer ?

Roland Goigoux : Que l’aide doit être repensée. Et qu’il faut faire confiance aux enseignants, les prendre au sérieux et les accompagner dans l’évolution de leur professionnalité. Les innovations efficaces sont celles qui les mettent en situation de débattre entre eux des meilleures solutions au vu des résultats de la recherche. L’accompagnement pédagogique des collectifs devrait être une priorité. Nous avons observé que l’énergie des enseignants dans le dispositif "plus de maîtres que de classes" a été consacrée la première année à régler des problèmes d’organisation. Les deux années suivantes, le travail en équipe leur a permis d’avancer sur le plan didactique, surtout en résolution de problèmes mathématiques et en production écrite. Ce n’est que la 4ème année, une fois les pratiques collectives stabilisées, qu’ils ont pu différencier finement leur pédagogie pour faire progresser les plus faibles. Il n’y a pas de solution pédagogique "presse bouton", il faut que les politiques s’inscrivent dans une temporalité longue.

Extrait de touteduc.fr du 25.08.17. : R. Goigoux : comment évaluer le "Plus de maîtres que de classes" et les "CP à 12" (entretien exclusif)

 

Note du QZ : Voir aussi le volet 2/5 de l’nalayse critique de Luc Cédelle

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