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L’ethnicisation, les stéréotypes et la psychologisation des parcours scolaires (en éducation prioritaire) au congrès de l’AFS (Association française de sociologie)

6 juillet 2015

"Les enjeux de l’essentialisation entre enfants et praticiens de l’éducation", tel est le thème de l’un des ateliers du Congrès de l’Association française de sociologie (AFS) qui s’est tenu du 30 juin au 2 juillet 2015 à l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines. Différents travaux de recherche ont été présentés par le Réseau de travail Sociologie de l’éducation et de la formation de l’AFS (RT4) autour de la notion d’essentialisme (selon laquelle les individus seraient différents par essence et non par construction).

Aksel Kilic, doctorante (Paris-V-Descartes, CERLIS) et professeur des écoles, analyse dans sa thèse l’ethnicisation des relations scolaires, en partant de trois écoles (dont deux en zone défavorisée) et d’une cinquantaine d’entretiens menés avec les enseignants. Si le discours égalitaire semble très important chez les professeurs des écoles, beaucoup de clichés sont néanmoins véhiculés sur les origines des élèves. Quels sont-ils ? Les enfants africains et maghrébins poseraient des "problèmes de discipline qui releveraient de la responsabilité des parents". Les élèves turcs et portugais seraient, eux, "très discrets et peu motivés". Quant aux gens du voyage, l’idée du nomadisme persisterait même s’ils sont sédentaires...

Des propos réservés à la salle des maîtres

Ces propos sont réservés à la salle des maîtres, ils n’interviennent jamais officiellement. Ils conduisent par exemple à inscrire un élève africain à l’étude parce qu’on le juge "livré à lui même chez lui." Axsel Killic cite aussi le cas d’une famille pakistanaise à qui on a refusé une dérogation pour que leur enfant s’absente la dernière semaine de l’année scolaire, alors qu’on l’avait accordée à une famille d’origine française. Cette semaine correspondant au début du Ramadan, c’est l’aspect religieux qui aurait motivé la réponse négative.

À noter, dans l’une des écoles étudiées, située en REP+, les enseignants se refusent à parler de catégories ethniques ; ils préfèrent évoquer les origines sociales pour expliquer les difficultés de certains élèves. En revanche, ils reconnaissent une "ethnicisation" entre les élèves et affirment mener un travail avec eux contre toute ségrégation.

"On nous a jetés dans la fosse aux lions"

La perception de la difficulté scolaire évolue entre la passation du concours et la première année d’exercice des enseignants : tel est le constat des chercheurs Sylvain Broccolichi (RECIFES, Université d’Artois) et Christophe Joigneaux (CIRCEFT-ESCOL, ESPÉ-UPEC), à l’issue d’une étude longitudinale conduite auprès d’une cinquantaine de professeurs des écoles.

Au départ, une majorité d’entre eux se disent convaincus qu’il est possible de faire progresser tous les élèves par des moyens pédagogiques pertinents. Ils opposent cette stratégie aux pratiques plus anciennes d’autres enseignants, qu’ils jugent archaïques, notamment à l’issue de leur stage d’observation. Mais lorsqu’ils commencent eux-mêmes à se confronter au milieu professionnel, leur discours critique s’amenuise.

"Le premier stage en responsabilité, où ils sont seuls face à la classe, constitue un choc pour la plupart d’entre eux", note Christophe Joigneaux. "On nous a jetés dans la fosse aux lions, sans nous y avoir préparés", témoigne ainsi une enseignante. Ils ont alors tendance à abandonner leurs idéaux et à se tourner vers des démarches plus ordinaires, jusqu’à adopter des pratiques qu’ils qualifiaient auparavant d’archaïques...

Genre : quelques attitudes non conformes aux stéréotypes

À partir d’une enquête statistique menée auprès de 3 000 élèves de trois académies, Agnès Leprince et Pierre Merle (CREAD, ESPE de Bretagne) constatent que leurs réponses correspondent aux stéréotypes de genre traditionnels. Ainsi, les filles se déclarent plus attentives et plus en retrait, les garçons plus distraits et plus agités...

Cependant, certaines réponses contredisent ces stéréotypes : au niveau du collège, davantage de garçons que de filles déclarent pouvoir se confier aux adultes. Les garçons sont aussi plus nombreux à vouloir de bonnes notes, à chercher à bien s’entendre avec les enseignants et à ne pas être punis. En revanche, lorsqu’on les interroge sur les opinions de leurs parents, on retrouve les stéréotypes usuels.

Selon Agnès Leprince, l’analyse sociologique des attitudes non conformes aux stéréotypes doit se développer. Il convient de "mettre au jour les processus favorisant l’intériorisation des stéréotypes".

Psychologisation des parcours scolaires : conséquences sur l’éducation prioritaire

La psychologisation et l’individualisation des parcours scolaires existent depuis plus d’un siècle, selon Jean-Yves Rochex (CIRCEFT-ESCOL, Université Paris 8). Elle a imprégné certains fondateurs de l’Education nouvelle. Mais depuis les années 60/70, quelques nouveautés se sont développées, par exemple la thématique des rythmes scolaires "largement inspirée de la chronobiologie". En matière d’éducation prioritaire, les catégories de ciblage se sont multipliées, avec notamment l’apparition de la notion d’élèves "doués" et la création d’internats d’excellence.

Aux yeux de Jean-Yves Rochex, les catégories d’enfants "intellectuellement précoces", d’élèves à besoins particuliers ou "à risques", s’imposent dans le débat politico-administratif. "On est passé d’objectifs affichés de lutte contre les inégalités scolaires, qui s’appuient sur des travaux sociologiques, à un objectif de massification des chances individuelles de réussite de chacun", analyse-t-il. Il évoque une "rupture d’alliance" entre les classes sociales populaires et aisées autour des objectifs de démocratisation.

Pour les sociologues, il est nécessaire d’étudier les processus de socialisation et de développement qui donnent forme à la "diversité des talents supposée caractériser les élèves." Jean-Yves Rochex recommande en particulier de "s’intéresser aux débats qui traversent la discipline de la psychologie."

Diane Galbaud

Extrait de touteduc.fr du 03.07.15 : L’ethnicisation, les stéréotypes et la psychologisation des parcours scolaires au congrès de l’AFSRetour

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