Les statistiques ethniques seront-elles autorisées ?

18 octobre 2006

Extrait du « Figaro » du 17.10.06 : Statistiques : Nicolas Sarkozy est pour, Ségolène Royal est réservée

A l’UMP comme au PS, leur mise en place pour lutter contre les discriminations ne fait pas l’unanimité.

« Nous avons besoin de statistiques ethniques pour connaître la réalité de la société française et l’ampleur des discriminations », assure Emmanuelle Mignon, conseillère de Nicolas Sarkozy à l’UMP. Le ministre de l’Intérieur a toujours plaidé pour « le droit de savoir » et se montre favorable à la mention de l’origine, que ce soit au sein des entreprises, mais aussi dans les statistiques policières. « N’ayons pas de tabou », insiste Emmanuelle Mignon. « Si nous constatons une surreprésentation des enfants de l’immigration dans la délinquance, nous saurons qu’il faut changer notre politique d’intégration ».

Cette vision n’a pas toujours prévalu à l’UMP. Une partie de la droite reste attachée au principe républicain, qui ignore les origines des citoyens. Face aux réticences, Nicolas Sarkozy a déjà ajusté son discours ces dernières années. En 2003, il était partisan de la discrimination positive et avait nommé un « préfet musulman ». Désormais, il entend « donner plus à ceux qui ont moins » et s’appuyer sur des critères géographiques et sociaux, comme le veut la tradition française. Cette redistribution se pratique très largement, que ce soit pour le réseau d’éducation prioritaire ou encore les allocations sociales modulées en fonction des revenus. Le conseil d’analyse stratégique rappelle que 13 % des ménages sont considérés comme pauvres aujourd’hui, mais qu’ils seraient 21 % sans les transferts sociaux.

De la même manière, pour éviter de crisper l’opinion qui reste hostile aux quotas, Nicolas Sarkozy s’est prononcé contre. Mais l’UMP envisage d’accorder préférentiellement les marchés publics aux entreprises qui disposent d’un label diversité. Or ce label serait accordé lorsque « le personnel est à l’image du bassin d’emploi ». En clair, dans une région qui compte 10 % de Maghrébins, les entreprises devraient en compter 10 % en leur sein... Ce qui revient à formuler un quota. « Nous essayons de valoriser la diversité sans créer des places réservées, sans annihiler la méritocratie », résume Emmanuelle Mignon, sans résoudre complètement l’équation.

Manque de visibilité

Les mêmes débats font rage au Parti socialiste, entre les « archéo Républicains », comme les désignent leurs adversaires et ceux qui veulent promouvoir les minorités. Ségolène Royal, qui ne s’est pas encore exprimée sur ce sujet, serait contre « l’éthnicisation du social », selon sa conseillère Sophie Bouchet-Peterson. « Nous n’avons pas besoin de statistiques ethniques, mais d’une volonté politique pour établir l’égalité réelle ». Elle en veut pour preuve l’affirmative action menée aux Etats-Unis : « La discrimination positive a permis la pluralisation de l’élite : l’apparition de Condoleezza Rice, de Colin Powell, que la France envie. Mais elle ne permet que ça. Le ghetto est toujours là ». En France, Sophie Bouchet Petersen reconnaît l’absence des minorités dans les institutions, leur manque de visibilité. « L’Assemblée elle-même n’est pas à l’image de la France. On ne va pas créer un quota pour les ouvriers, les Français de toutes les couleurs, les employés... Il faut une vraie mobilisation politique, pas une imposture ».

Ségolène Royal suit avec attention l’évolution des pays voisins comme la Grande-Bretagne qui s’interroge sur son système après les attentats. Une récente étude du Pew Center a également « montré que les musulmans français conjuguent le plus harmonieusement religion et nationalité, contrairement aux Anglais. Il ne faut pas renoncer à notre modèle sous prétexte qu’il a des faiblesses ». L’appareil de mesure actuel serait suffisant, selon elle, pour établir la réalité des discriminations. La Commission nationale informatique et libertés autorise, depuis 2002, la collecte du lieu de naissance des parents et de leur nationalité, lors des grandes enquêtes. Cela permet d’accompagner le parcours scolaire et professionnel de la deuxième génération, avant que chacun ne retourne au creuset général. L’équipe de Nicolas Sarkozy est ralliée pour l’instant à cette voie. Mais le consensus sur la méthode ne dit rien sur l’utilisation de ces chiffres.

Cécilia Gabizon

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