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Internat d’excellence : le retour annoncé (blog de Marc Bablet)

4 décembre 2018

Internats d’excellence : le retour annoncé

Ce n’est pas parce que le ministre n’en parle pas en ce moment que le sujet de l’internat ne reviendra pas un de ces jours sur le devant de la scène comme évoqué à la rentrée scolaire. Aussi ce billet met en garde sur les orientations que le ministre ne va pas manquer de donner à cette politique compte tenu de ce qu’il a déjà fait par le passé.
Il faut être attentif à la politique de l’internat scolaire, c’est comme l’éducation prioritaire un enjeu politique important pour les milieux populaires.

Je veux tout d’abord attirer votre attention sur le discours du premier ministre aux cadres réunis à l’occasion du deuxième comité interministériel de la transformation publique (CAP 2022) le lundi 29 octobre. Celui-ci termine son propos aux ministres, aux directeurs d’administrations centrales, aux préfets, après avoir dit l’importance des transformations attendues de l’état, par les mots suivants : « Autrement dit nous attendons beaucoup de vous, beaucoup et, euh, autrement dit on va regarder avec beaucoup d’attention ce que vous faites à intervalles très réguliers avec beaucoup de bienveillance mais aussi avec beaucoup de détermination. » Compte tenu du passé de la politique de l’internat d’excellence, on se doit de conseiller au premier ministre d’appliquer à la politique de l’internat à venir et à son ministre ce qu’il veut appliquer à tous les hauts fonctionnaires… s’il ne veut pas assister à des dérives identiques à celles du passé (période 2007-2012).

On n’a plus entendu parler de l’internat par le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse depuis la visite présidentielle à la rentrée scolaire du président de la République accompagné du ministre à Laval dont la presse avait rendu compte. Cette visite avait lieu dans un des rares collèges construit dans le cadre du programme d’investissements d’avenir consacré aux internats d’excellence (j’expliquerai plus loin pourquoi ce programme a donné de fait priorité aux lycées). Seule la ministre de l’aménagement des territoires a reparlé récemment de l’internat au conseil des ministres du 7 novembre pour dire que l’internat servirait à redynamiser le rural. Outre que cela signifie qu’une politique éducative devrait d’abord servir une politique d’aménagement du territoire, ce qui est discutable, on peut se demander pourquoi il n’y a pas, sur ce sujet, plutôt une communication conjointe aux deux ministères.

Le ministre de l’éducation nationale (qui n’avait pas encore officiellement la jeunesse dans son titre) avait expliqué à la rentrée disposer d’un rapport qu’il qualifiait de « très bon » mais qui n’est toujours pas publié… On peut en déduire que le rapport est conforme à ce qui est attendu par son commanditaire, on pourrait même dire que celui-ci en a influencé a priori les conclusions par ses prises de positions. Comment l’interpréter quand on sait la communication très maîtrisée du ministre ? Les rapports qui ne sont « pas bons » (entendez « pas dans le sens du ministre ») peuvent être publiés à bas bruit ou pas publiés comme le rappelle le café pédagogique.. Les « bons » rapports doivent être exploités dans la stratégie de communication du ministre. On aura donc ce rapport quand le ministre aura décidé de communiquer sur le sujet…

Rappelons rapidement l’histoire récente de la politique de l’internat scolaire dans ses différentes déclinaisons.

La politique de l’internat scolaire a été relancée une première fois en 2002 par Jack Lang aprèsun rapport de Mme Pérol Dumont de 2001, encore un rapport de cette période qui a fait date et continue d’inspirer l’orientation générale de la politique publique. Il faisait le constat d’internats vieillissants qui ne se remplissaient plus, notamment dans le rural, et il préconisait le développement de projets dynamiques pour des internats qui devaient répondre à de nouveaux besoins de la société. La relance des années 2000 fut suivie de la politique des internats d’excellence à partir de la fin des années 2000 puis suivie de la politique des internats de la réussite à partir de 2013. On peut dire que d’une certaine manière il y a continuité d’une politique publique de l’internat scolaire mais la mise en œuvre de cette politique présente des différences importantes selon qu’il s’agit d’une politique de droite comme celle des internats d’excellence ou d’une politique conduite par la gauche avec les internats de la réussite pour tous. Car, quoi qu’en dise le ministre actuel, les orientations politiques ont des incidences sur les politiques éducatives.

Je fais ici l’hypothèse que le ministre va relancer la politique de l’internat d’excellence car depuis qu’il est arrivé, il ne fait que tenir des discours connus et reprendre de vieilles recettes à sa façon. Qu’il en change le nom ou pas n’a aucune importance, car travestie ou pas, ce sera cette politique avec des caractéristiques qui sont bien connues.

Il s’agit, en effet, d’une version libérale de la politique de l’internat scolaire, qui a pu porter des aspects pédagogiques et éducatifs positifs dont a rendu compte avec nuance une recherche sérieuse rapport dirigé par Dominique Glasman et Patrick Rayou et coordonné par le centre Alain Savary), qui y voit des élèves en réussite et des contextes professionnels en évolution. Mais qui nuance le propos, constatant que les élèves non « méritants au départ » ne tirent pas grand profit de l’internat d’excellence c’est-à-dire que celui-ci ne parvient pas à être un internat pour tous. Loin de là, il apparaît finalement comme un internat qui sépare les élèves méritants des quartiers populaires de leurs camarades pour leur permettre des solutions individuelles en laissant de côté tous les autres qui sont évidemment les plus nombreux et qui eux, ne bénéficient pas de conditions comparables d’enseignement.

Cette politique de l’internat d’excellence est fortement critiquable et a été critiquée sur au moins trois points :
ses objectifs socio politiques,
sa gouvernance aléatoire,
son coût.

On s’appuie pour en parler principalement sur deux autres rapports, l’un de la cour des comptes dans le cadre de son rapport public annuel 2014 qui est particulièrement sévère ; son titre est : « Des internats d’excellence à ceux de la réussite : la conduite chaotique d’une politique éducative et sociale » ; l’autre, des inspections générales, sur les « Modalités d’intégration des internats d’excellence dans une politique renouvelée des internats au service de la réussite éducative des élèves » qui est moins critique mais fait des propositions pour faire évoluer cette politique dans l’intérêt de tous les élèves qui pourraient en avoir besoin dans leur diversité.

On peut donc proposer pour l’avenir trois points de vigilance sur lesquels on attend les choix du ministre.

Une politique de l’internat d’orientation très libérale tant en ce qui concerne les élèves qu’en ce qui concerne les établissements.

La politique des internats d’excellence a porté tout d’abord sur une certaine conception de l’évolution du rôle de l’internat qui a amené le ministre, recteur puis DGESCO à l’époque, à en faire un élément de la politique d’éducation prioritaire qui permette de proposer à des élèves méritants des quartiers populaires de quitter le quartier pour espérer réussir. Ceci avec deux effets immédiats : la difficulté pour les élèves concernés à vivre à distance de leurs familles et la concentration dans les quartiers en question d’élèves davantage en difficulté scolaire. On voit bien ce qui est le plus inacceptable dans ce principe : "vous êtes enfant de milieu populaire méritant, pour réussir, il ne faut pas faire comme tout autre élève, vous devez quitter votre quartier car les conditions d’enseignement n’y sont pas faites pour vous…"

Le deuxième principe, le ministre aimerait bien le développer pour tout établissement : faire que chaque établissement dispose d’un projet qui le distingue de tout autre établissement afin de le rendre « attractif ». On voit bien comment ce principe, lié à celui de l’assouplissement de la carte scolaire qui date de cette même époque, introduit des manières du privé dans le public. En outre il encourage la compétition entre les établissements au lieu de les encourager à travailler en coopération sur leurs complémentarités dans un territoire. On en arrive à chercher à attirer des élèves vers un établissement comme on attire un client vers un produit. Cette manière libérale est profondément anti étatique et anti démocratique. En outre, elle est inefficace en matière de rationalisation des politiques publiques pour les territoires. Et elle n’a, en outre, jamais fait la preuve qu’elle permettait d’améliorer les résultats scolaires.

En entendant Jean-Paul Delahaye, Directeur général de l’enseignement scolaire, donner la feuille de route en 2013 pour une nouvelle politique de l’internat on voit bien qu’une autre politique, sociale, de gauche, est possible : Celui-ci a ouvert les travaux en affirmant que la relance de la politique de l’internat doit passer de l’internat d’excellence pour quelques-uns (44 internats d’excellence pour environ 3700 élèves inscrits dans les 4100 places) à l’internat de la réussite pour tous (environ 1550 internats publics - plus ou moins selon que l’on compte les EREA et les ERPD - en France pour plus de 157522 élèves - RERS 2018) et que donc, tout internat doit disposer d’un projet pédagogique et éducatif exigeant.

Avec le retour de la politique des internats d’excellence on peut s’attendre à voir revenir le petit nombre d’internats concernés qui ne saurait faire une politique. Mais c’est ainsi que le ministre conçoit les choses, il préfère assurer quelques projets particuliers plutôt que porter une politique pour tous les internats. J’ai déjà eu l’occasion d’indiquer que le ministre interrogé sur le sujet par monsieur Bourdin ne savait pas donner le nombre d’internats publics en France, montrant qu’il ne pratique pas l’ordinaire de la politique éducative, celle qui doit, par définition, s’occuper de tous les enfants. On peut y voir une façon de remettre en question le principe d’un système éducatif cohérent au profit d’une nébuleuse qui s’apparente davantage à ce que propose le privé. Le droit au choix individuel plutôt que la qualité pour tous. On peut considérer que cela s’apparente à une remise ne question de l’État. Il a d’ailleurs été significatif qu’en 2010, pour faire du chiffre, le gouvernement de l’époque en ait rabattu sur le nombre de places à réaliser (de 20000 à 12000), puisqu’il a inventé les places labellisées (8000) dans des internats existants. Ce faisant il a rompu le principe d’égalité entre les élèves d’un même internat, certains bénéficiant d’une politique spécifique dite « d’excellence » sur les places labellisées pendant que les autres ne bénéficiaient de rien. On a pu assister alors à des situations incompréhensibles pour les élèves qui ne bénéficiaient pas des mêmes possibilités que leurs camarades et il a fallu aux chefs d’établissement beaucoup de subtilité dans leur action pour éviter des tensions inutiles.

Un pilotage de l’opération particulièrement « chaotique »

Évidemment quand le ministre, alors DGESCO, porteur du projet de Sourdun, mené comme recteur de Créteil, veut développer cette politique au niveau national, il ne put se contenter de son administration et il nomme une personne en plus puis une deuxième pour s’en occuper. Que cela fasse des doublons avec le bureau chargé du sujet, où il y avait un fonctionnaire qui en était chargé, qu’importe. C’est l’option classique de qui n’a pas confiance dans son administration et pense que celle-ci risque d’être plutôt un frein qu’un appui. Mais quand on fait les comptes on voit que de 2008 à 2012, ce sont 4000 des 12000 places prévues qui ont été réalisées avec deux personnes en plus du bureau compétent et en les réalisant selon des schémas très critiqués par la cour des comptes . De 2013 à 2017, il n’y a plus de chargés de mission, seulement le bureau de la DGESCO en responsabilité et les 8000 places encore attendues ont pu être réalisées selon des modalités normales de coopération avec les collectivités territoriales… Car si la gauche a réorienté la politique éducative pour la rendre plus démocratique, elle n’a pas renoncé à un objectif d’amélioration de la qualité du bâti de l’internat là où c’était nécessaire mais en y donnant de nouvelles orientations. Elle n’a pas non plus passé son temps à communiquer sur le sujet alors que les gouvernements de gauche faisaient beaucoup mieux que les gouvernements de la mandature précédente.

Le principal problème de la politique de l’internat d’excellence est qu’elle a été conduite sans orientations explicites et sans principes autres que la compétition pour les places et les projets en fonction d’opportunités ponctuelles (notamment des casernes qui se vidaient de leurs militaires). Il a donc fallu, à partir de 2013, un comité de pilotage installé pour mieux maîtriser la politique en question, réorienter la politique pédagogique et éducative et déboucher sur un référentiel mais aussi pour réorienter le bon usage des crédits de l’État et pour répondre à des besoins bien identifiés. Ceux qui voudront comprendre le détail de ce travail pourront notamment se pencher sur l’étude conduite par un bureau d’études, à la demande de l’ANRU pour étudier les besoins, comme c’était souhaité par le comité de pilotage.

Ainsi fut-il mis en évidence que la politique, conduite avec des conventions régionales, et non avec des appels d’offres, privilégiait les projets en lycée alors que des besoins importants se faisaient jour en collège pour répondre à de nouveaux besoins sociaux qui ne se situent pas principalement dans le rural. Ainsi fut-il mis en évidence également que la politique d’internat d’excellence avait privilégié les lycées généraux, notamment avec CPGE alors que les besoins des lycéens professionnels n’étaient pas suffisamment pris en compte.

En outre la cour demandait, à juste titre, que les projets locaux soient suivis de manière plus rigoureuse et que les dépenses soient régulièrement contrôlées et tracées, ce qui fut fait de 2013 à 2017.

Des coûts anormalement élevés pour l’État pour une poignée d’internats.

Dans les objectifs qui ont été donnés au bureau de l’éducation prioritaire par le DGESCO en 2013, il y eut clairement la recherche de l’optimisation des coûts car le rapport de la cour des comptes avait montré du doigt Sourdun et Montpellier les premiers internats « exorbitant du droit commun » qui avaient coûté plus de 100000 euros la place à l’État alors qu’actuellement, avec l’apport des collectivités territoriales, on peut espérer une dépense de moins de 20 000 euros la place ce qui permet d’offrir bien davantage de places, ce qui est l’intérêt général. Pour résumer on peut dire que dans la période 2007-2012, la création ou réhabilitation lourde de places d’internat a coûté plus de 50000 euros la place à L’État pour seulement 4000 places, alors que pour la période 2013-2017, ce furent 8000 places pour moins de 20000 euros la place. Étant entendu qu’il faut compter des coûts plus élevés dans certaines académies comme la Guyane du fait des contraintes du territoire. Mais ce qui caractérise les premiers internats d’excellence c’est que ce sont des établissements publics nationaux qui sont entièrement à la charge de L’État et pour lesquels les collectivités territoriales n’interviennent pas sur ce qui est pourtant leur compétence au regard du code de l’éducation. Ceci s’explique par le volontarisme de l’époque qui voulait absolument parvenir à ses fins sans tenir compte des réalités ni des règles habituelles du droit, sans rechercher l’appui des collectivités territoriales qui ne voulaient pas se lancer dans un politique de droite libérale qui leur était imposée. Le fait que nombre des internats d’excellence se soient adossés à des bâtiments laissés vacants par l’armée, n’a pas véritablement permis d’obtenir des coûts moindres que lors de constructions neuves, bien au contraire. Un montage particulier avec l’internat privé de Cachan (là encore on voit la tentative de remettre en question le système éducatif national en le liant au privé) a constitué une situation complexe sur le plan juridique dont la résolution n’a pas plu à tout le monde .

En outre les 45 internats d’excellence (si on inclut Cachan) ont fonctionné avec des moyens largement supérieurs à ceux des 1500 autres internats « ordinaires ». Le fonds d’expérimentation pour la jeunesse y a consacré des moyens très importants qu’il est difficile de tracer, les rapports d’activités de cette institution ne donnant pas les sommes concernées mais la cour des comptes évoque 2,72 millions d’euros pour l’année 2012-2013. L’ACSE (agence pour la cohésion sociale et l’égalité des chances) également avec 1000 euros par place occupée par un élève des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Au total un rapport d’évaluation conduit par le laboratoire JPAL et l’IPP concernant l’internat de Sourdun (le premier créé par le ministre actuel alors recteur de Créteil) indique que le coût de fonctionnement pour un élève est environ le double à Sourdun par rapport aux autres établissements. On en rêverait pour l’éducation prioritaire…

Voilà, rapidement résumés, quelques problèmes sur lesquels la vigilance collective est nécessaire. On ne peut que conseiller au premier ministre de s’associer à cette vigilance. Il nous faut d’une part défendre ce qui a été fait pour l’internat de la réussite pour tous et promouvoir une conception sociale et démocratique de l’internat pour tous ceux qui en ont besoin. De ce point de vue on peut dire qu’il y a urgence à ce que les engagements pris pour la Guyane notamment pour des places en lycée le long de la côte pour les enfants de l’intérieur voient le jour. C’est aussi un élément décisif dans une politique de prévention et de protection de l’enfance tant les conditions d’accueil actuelles sont difficiles.

Extrait de blogs.mediapart.fr/marc-bablet du 04.11.18 : Internats d’excellence : le retour annoncé

 

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