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Présidentielle. Claude Lelièvre analyse dans une tribune à ToutEduc deux mesures phares de Valérie Pécresse

13 décembre 2021

Pécresse : deux mesures-phares sur l’Ecole qui datent (une tribune de Claude Lelièvre)

L’historien et philosophe Claude Lelièvre propose à ToutEduc cette tribune, que nous publions bien volontiers.

Horaires de français et maths augmentés dans l’élémentaire, examen d’entrée en sixième. Ce sont les deux mesures-phares du programme pour l’Ecole de la candidate du parti "Les Républicains" Valérie Pécresse, présenté sous les auspices du "sursaut national" et de la "rupture".

"Augmenter en primaire de deux heures par semaine l’enseignement du français, une heure par semaine celui des mathématiques. Cela permettrait d’arriver à 50% de français et 25 % de mathématiques en CP-CE1-CE2" "Instaurer un examen d’entrée en 6è, non pas pour bloquer leur entrée en collège, mais pour créer des classes de 6è de consolidation".

Ces deux mesures préconisées sont non seulement en rupture avec le présent ou le passé proche, mais avec un passé lointain voire fort lointain. En effet la disparition de toute forme d’examen d’entrée en sixième a eu lieu durant la période ’’gaullienne’’, dans les années 1960 ; et la limitation des heures dévolues au français et aux mathématiques à moins de 60% des horaires hebdomadaires d’enseignement dans l’école élémentaire a été décidée durant la période ’’ferryste", dans les années 1880, et n’a pas été remise en cause depuis.

L’examen d’entrée en sixième a été créé en septembre 1933 à la suite de la décision de rendre progressivement gratuit l’accès aux classes de l’enseignement secondaire. A "la barrière de l’argent" qui jusque là limitait l’accès de l’enseignement secondaire aux enfants des classes socialement favorisées (à l’exception des rares boursiers triès sur le volet par des concours de bourses difficiles) est substituée une autre barrière (un examen d’entrée), car il n’est pas envisagé alors un seul instant que l’école de l’élite (le secondaire) soit ’’submergée’’ par l’entrée massive des enfants du peuple.

Le décret du 23 novembre 1956 supprime "l’examen d’entrée en sixième pour les élèves dont les résultats de la dernière année scolaire auront été égaux ou supérieurs à la moyenne".

On est alors dans une période où l’on considère que l’âge de la fin de la scolarité obligatoire doit être repoussé. C’est décidé finalement dès le début de la période gaullienne, par une Ordonnance de 1959. Il est prévu que les enfants ayant six ans cette année là auront obligatoirement deux années d’instruction supplémentaires.

Et en 1963, le ministre de l’Education nationale Christian Fouchet (très fermement soutenu par le président de la République Charles de Gaulle) institue le collège d’enseignement secondaire (CES) par lequel peuvent désormais transiter tous les élèves de11-12 ans à 15-16 ans. C’était il y a une soixantaine d’années

Cela fait plus de deux siècles que la fameuse trilogie "lire, écrire, compter" est mise en avant pour l’enseignement primaire. Sous la Restauration, "l’ordonnance royale" de 1816 indique que l’instruction primaire "comprend nécessairement l’instruction morale et religieuse, la lecture, l’écriture, les éléments de la langue française et du calcul" . Sous la Monarchie de Juillet, "l’arrêté" du 25 avril 1834 prescrit le partage de toute école primaire en trois sections : de 6 à 8 ans : "lecture, écriture, premières notions de calcul verbal, prières" ; de 8 à10 ans : "lecture, écriture, numération écrite et premières règles de l’arithmétique, histoire sainte" ; de 10 à 13 ans : "lecture, écriture, fractions, poids et mesures, doctrine chrétienne".

En revanche, Jules Ferry ne se situe pas dans cette filiation là, tant s’en faut. Jules Ferry tente au contraire d’inverser la hiérarchie entre les enseignements dits fondamentaux (et traditionnels) et les enseignements dits "seconds" ou "accessoires". C’est précisément dans ces enseignements ’’accessoires’’ que réside pour Jules Ferry la rupture entre "l’ancien régime" et le "nouveau" (à savoir la République), une véritable révolution.

"C’est autour du problème de la constitution d’un enseignement vraiment éducateur que tous les efforts du ministère de l’Instruction publique se sont portés (…). C’est cette préoccupation dominante qui explique, rallie, harmonise un très grand nombre de mesures qui (…) lorsqu’on n’en a pas la clef pourraient donner prétexte à des reproches d’excès dans les nouveaux programmes, d’accessoires exagérés, d’études très variées : tous ces accessoires auxquels nous attachons tant de prix, que nous groupons autour de l’enseignement fondamental et traditionnel du ‘lire, écrire, compter’ : les leçons de choses, l’enseignement du dessin, les notions d’histoire naturelle, les musées scolaires, la gymnastique, les promenades scolaires, le travail manuel, le chant, la musique chorale. Pourquoi tous ces accessoires ? Parce qu’ils sont à nos yeux la chose principale, parce que ces accessoires feront de l’école primaire une école d’éducation libérale. Telle est la grande distinction, la grande ligne de séparation entre l’ancien régime, le régime traditionnel, et le nouveau" (Discours de Jules Ferry au congrès pédagogique des instituteurs de France du 19 avril 1881).

On peut comprendre ainsi que l’arrêté du 18 juin 1887 limite en moyenne (pour l’ensemble des classes de l’élémentaires) à 17 heures 30 l’horaire dévolu au "lire, écrire, compter" c’est à dire à 58% des 30 heures d’enseignement hebdomadaires. Cette proportion d’un peu en-dessous de 60% réservée au "lire, écrire, compter" est restée à peu près stable depuis, que l’on soit à 27 heures d’enseignement hebdomadaires à partir du début des années 1970 ou à 24 heures d’enseignement hebdomadaires comme c’est le cas actuellement.

Par ailleurs, on se souvient que Jean-Pierre Chevènement s’est fait le héraut d’un retour à la priorité du "lire, écrire, compter". Mais son arrêté du 15 mai 1985 n’a modifié les horaires qu’à la marge. Au CP, l’horaire de français passe de 9 heures à 10 heures. Au CEI, il reste stationnaire à 9 heures. Et il baisse d’une heure (de 9 heures à 8 heures) pour le CE2, le CM1 et le CM2. Au total, les horaires consacrés aux "fondamentaux" ont même baissé un tout petit peu (et aussi en pourcentage de l’ensemble des horaires hebdomadaires d’enseignement, atteignant leur étiage le plus bas : 54%)

Si les mesures-phares préconisées par la candidate du Parti "Les Républicains" pour l’élection présidentielle à venir étaient en situation de pouvoir être appliquées , ce serait donc une "rupture historique" de taille dont il faut mesurer l’importance mais qui ne vont pas dans un sens très ’’républicain’’, c’est le moins que l’on puisse dire.

Extrait de touteduc.fr du 12.12.21

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