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Interpeler la culture scolaire à la française
Il est grand temps de réfléchir au rôle du collège dans notre système éducatif, et à ce que les élèves devraient y apprendre. C’est le propos de Jean-Pierre Véran et Roger-François Gauthier, dans leur ouvrage Manifeste pour le collège.(P)oser les vrais termes du débat, paru chez Librinova (2024). Ils nous ont parlé de ce livre, et des activités du Cicur (Collectif d’interpellation du curriculum) dont ils font partie.
Pour commencer, pouvez-vous présenter le Cicur ?
Roger-François Gauthier : Nous sommes une quinzaine de personnes à avoir considéré il y a quatre ans qu’il y avait un angle vraiment mort dans la réflexion sur le système éducatif en France, les contenus d’enseignement, et, au-delà, la définition des finalités de l’école. Notre travail a été depuis l’origine de nous demander comment faire exister une école qui soit vraiment celle de la culture commune, et non celle de la « fracture ». Et d’interpeler les acteurs sur ces deux thèmes, quels qu’ils soient et quels que soient leurs affichages politiques. Nous nourrissons un blog très fourni et organisons régulièrement des séminaires, avec publications ensuite. Mais interpeler ne suffit pas. Nous avons donc émis des propositions sur le collège dans ce livre.
Jean-Pierre Véran : Notre séminaire essaie de faire le tour des questions vives de l’éducation, avec des groupes de travail qui vont publier des points d’étape de leurs réflexions. Sur certains points, nous en sommes encore à un stade de questionnement, comme les questions de laïcité ou de la place de l’intelligence artificielle, posées du point de vue qui nous intéresse : l’expérience d’apprentissage des élèves, le sens du monde que cela leur donne.
Jouons les objecteurs. Vous défendez le collège unique, mais n’est-il pas une spécificité française alors que, dans beaucoup de pays, il n’existe pas et les résultats semblent pourtant meilleurs que chez nous ?
J.-P. V. : Un procès est instruit depuis longtemps en France contre le collège unique, alors qu’il n’a jamais réellement existé. Il suffit de confronter les préconisations du ministre René Haby en 1975, que nous avons citées dans notre Manifeste, à ce qui s’est passé, pour se rendre compte que cela n’a pas été pris en compte. C’est intéressant de voir combien dès le départ les choses ont été faussées. Un ministre peut avoir une vision transformatrice à long terme mais, en réalité, du fait de la pesanteur des usages scolaires et des intérêts sociaux qui se défendent, tout a été fait pour que rien ne change. On a mis dans un même collège appelé unique des élèves aux destins différents écrits dès leur entrée dans ce collège. Or, si on veut que ce collège unique existe, il faut sortir du système actuel.
R.-F. G. : Le collège unique – tel qu’il n’a pas existé – n’est pas du tout une spécificité française. Dans les années 1960, il devenait partout de plus en plus clair que l’école primaire du peuple, telle qu’elle avait été définie au XIXe siècle, ne suffisait plus au monde économique, qui demandait des compétences à plus large palette, ni au monde social, qui demandait une ouverture culturelle. Mais, justement, ailleurs – je pense à la Finlande par exemple –, les responsables ont imaginé un changement drastique des attendus et contenus d’une école qui préalablement était socialement très élitiste. En France, l’idée a été qu’il n’y avait rien à imaginer, et qu’au menu prévu pour un petit nombre on pouvait inviter sans rien changer des publics très différents. Souvenons-nous que, quand l’école primaire du peuple avait été créée à la fin du XIXe siècle, les responsables républicains avaient véritablement imaginé un curriculum nouveau !
J.-P. V. : On a créé des options, des dispositifs, qui ont pour effet de miner le collège unique. Mais ces traitements-là, réservés à quelques-uns (élèves de Segpa, de 3e prépa pro, de classes à horaires aménagés, etc.), il serait bon de les offrir à tous : les élèves en réussite ont aussi intérêt à bénéficier de l’accompagnement personnalisé et des contenus dont bénéficient les élèves de Segpa. Dans le collège actuel, on ne vise pas véritablement la réussite de l’accès à une culture commune pour tous, mais une réussite très différenciée et hiérarchisée.
Si on ne sort pas du cadre établi où les contenus d’enseignement sont décidés discipline par discipline, et où les élèves doivent passer d’une discipline à l’autre à chaque heure, on n’avancera pas. L’idée du socle commun n’a pas pris parce qu’on a laissé intacte la structuration par disciplines, hiérarchisante et ségrégative, et qui tient soigneusement à l’écart du programme des savoirs pourtant nécessaires et indispensables.
Le cadre actuel est aussi extrêmement centralisé, il faut là aussi changer d’optique et faire en sorte que cette institution invisible qu’est la confiance, selon Pierre Rosanvallon, permette qu’à partir du moment où des objectifs sont définis, on donne aux équipes enseignantes la possibilité d’organiser l’accès à ces connaissances et compétences.
R.-F. G. : Les savoirs traditionnels de type « lycée », on ne les retouche toujours qu’à la marge, et pour « en rajouter », sans jamais même s’interroger sur la légitimité des disciplines qui sont déjà là, ni surtout sans se demander dans quelles finalités les savoirs doivent s’inscrire. On a oublié à quel point ils ont été historiquement fabriqués pour être sélectifs, au point que la sélection, le recherche de la « moyenne », est souvent, pour trop d’élèves, devenue ce pour quoi ils vont au collège. [...]
Vous mettez en avant les « compétences de vie ». Au détriment des savoirs, vous disent certains, qui vous accusent, au fond, d’être des serviteurs d’une idéologie néolibérale. [...]
Extrait de de cahiers-pedagogiques.net du 07.10.24
Manifeste pour le collège. (P)oser les termes du débat
Pourquoi un Manifeste pour le collège ? Depuis cinquante ans, les gouvernants ont voulu « réformer » le collège et tous ont échoué à le faire faute de poser les vrais termes de sa démocratisation. Ils pensent même aujourd’hui lui appliquer de vieilles recettes qui vont renforcer son caractère ségrégatif et accroître ses fractures. À l’opposé de ces politiques, les auteurs proposent un nouveau cadre qu’ils soumettent au débat public.
Partant du fait que le collège est, durant quatre ans, l’école au cœur de la scolarité de tous les enfants, ils argumentent en faveur d’une nouvelle vision d’un collège à inventer, un collège qui soit le lieu d’une scolarisation épanouissante pour toute une génération au sein d’une même institution publique. Pour y parvenir, il est nécessaire de s’émanciper des modèles hérités du passé qui compriment en d’étroites frontières les possibilités d’action des enseignants comme des élèves.
Il ne s’agit pas seulement d’agir contre ce qui fait que le collège contribue plus à la sélection sociale qu’à l’ancrage d’une culture commune. Il s’agit aussi de questionner tous les savoirs qui sont traditionnellement ceux du collège, leur fondement et leur organisation. Il s’agit aussi de s’interroger sur un collège qui, dans le cadre de l’Etat, devrait être bien davantage relié à son environnement et à son territoire, et devrait être, pour les jeunes comme pour les adultes qui les encadrent, cette école active de démocratie dont la société a le plus grand besoin.
Extrait de librinova.com du 18.04.24
Voir aussi le Café pédagogique du 24 mai2024