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"L’Ecole d’après" (le Café). Marc Douaire (OZP) : Pour faire face aux inégalités, "organiser à tous les niveaux de l’institution des états généraux de reconstruction"

7 avril 2020

"L’Ecole d’après" : Marc Douaire : Faire face aux inégalités
"Ce modèle de continuité pédagogique numérique correspond à un modèle d’élève précis : celui des couches sociales supérieures bénéficiant du cadre de travail et de toutes les aides techniques et pédagogiques dans le cadre familial". Président de l’Observatoire des Zones Prioritaires, une association regroupant des acteurs de l’éducation prioritaire, Marc Douaire analyse les effets de la fermeture des établissements sur les élèves des milieux populaires. Malgré les efforts des enseignants, les inégalités augmentent. L’Ecole d’après devra être pensée pour tous les élèves, avec les parents et les acteurs locaux.

Une rupture qui n’a pas été préparée

La situation de confinement et la fermeture de l’ensemble des établissements scolaires ont crée une situation inédite. Dans la précipitation, le ministère de l’Education nationale a déclaré mettre en œuvre la continuité pédagogique numérique. Le discours martelé par le ministre est simple : il n’y a plus d’école mais …elle continue. Vraiment ? Allons voir du côté des réalités vécues par les élèves, leurs familles et les équipes enseignantes en s’appuyant sur leurs témoignages.

A situation inédite le ministère impose un remède nouveau : le maintien des cours et de la continuité pédagogique par internet. Pour l’ensemble des élèves, la remise en cause de la forme scolaire traditionnelle est déstabilisante : l’enseignement ne se déroule plus dans un lieu spécifique( l’établissement), selon un cadrage horaire immuable et imposé ( l’emploi du temps), regroupant autour de fonctions et de rôles très codifiés des professionnels adultes et des enfants et adolescents apprenants ; pour l’ensemble des élèves, l’effacement du quotidien vécu avec leurs pairs constitue une rupture de liens difficile à vivre.

Cette situation pouvait-elle être évitée ? Les raisons de santé publique l’ont emporté mais ce qui se montre à l’évidence c’est, à l’image de la politique sanitaire, le degré d’impréparation de la politique éducative à cette situation. Au fil des semaines, cette situation est particulièrement préjudiciable aux élèves issus des milieux populaires. Les raisons en sont simples : la mise en œuvre efficace de la continuité pédagogique numérique requiert plusieurs conditions :

 Un lieu dédié de travail au domicile familial

 Un équipement informatique performant (ordinateur performant, bonne connexion internet, logiciels dernière génération, imprimante) et suffisant pour répondre aux besoins de l’ensemble des utilisateurs familiaux

 Un tutorat pédagogique quotidien proposant à la fois un cadrage du temps et des activités mais aussi constituant un recours permanent pour les questions techniques et pédagogiques.

Une "continuité pédagogique" pour un seul type d’élève

L’ensemble de ces conditions de bonne mise en œuvre de la continuité pédagogique numérique ne se retrouve pas pour beaucoup d’élèves issus des milieux populaires. Les difficultés ont surgi très vite et les témoignages d’enseignants soulignent :

 Des difficultés d’ordre matériel : pas d’ordinateur et certains élèves travaillent à partir de leur téléphone portable, un ordinateur obsolète, pas de connexion ou alors très mauvaise, pas d’imprimante ( certains élèves vont imprimer chez les voisins, en pleine période de confinement, par peur de ne pouvoir soumettre leur travail), un ordinateur unique pour plusieurs élèves d’âges différents dont tous ont un travail en ligne à effectuer, des parents en télétravail qui ont également besoin de l’ordinateur familial

 Des difficultés d’ordre familial : un logement trop exigu pour le nombre d’occupants ne permettant pas de dédier un lieu calme pour le travail, des parents confrontés bien souvent à la quantité incroyable de devoirs donnés et, qui sont dans la difficulté pour aider leurs enfants par méconnaissance de l’outil informatique, parce qu’ils n’ont pas les compétences requises ; des parents qui peuvent s’épuiser à tenter de gérer la situation de travail confiné de leurs enfants ou qui réquisitionnés rentrent de l’hôpital et doivent le soir contrôler le travail de leurs enfants.

 Des difficultés d’ordre psychologique : beaucoup de familles mono-parentales avec plusieurs enfants à suivre, des parents qui sont en train de perdre leur emploi et ont d’autres préoccupations que le suivi du travail scolaire, des situations de violence familiale exacerbées par la situation de confinement ; mais aussi beaucoup de situations d’élèves démunis par rapport au travail scolaire demandé, sans le soutien des pairs ou l’aide de l’enseignant présent dans la classe, perdent peu à peu confiance en eux et décrochent.

Il est donc bien évident que ce modèle de continuité pédagogique numérique correspond à un modèle d’élève précis : celui des couches sociales supérieures bénéficiant du cadre de travail et de toutes les aides techniques et pédagogiques dans le cadre familial.

Un défi relevé par les enseignants

Pourtant, depuis plus de trois semaines, le défi de l’égalité que chacun est en droit d’attendre du service public d’éducation, tente d’être relevé par de nombreuses équipes enseignantes dans le premier et le second degré. Ce dont témoignent ces enseignants doit être entendu aujourd’hui mais encore plus demain à l’heure de l’indispensable bilan auquel chacun devra être associé. Ils soulignent en particulier :

 Le travail considérable demandé avec des outils personnels (ordinateur, téléphone avec forfait illimité pour joindre les familles…), une auto-formation pour mettre en ligne des documents, jongler avec les fonctionnalités de Pro-note, maîtriser tous les formats audio, vidéo et logiciels de traitement de texte ou pédagogiques.

 Le clivage qui se creuse à l’occasion de cette communication à distance entre les élèves assidus qui sollicitent régulièrement leurs professeurs et apprécient ces échanges personnalisés et ceux, déjà en difficulté scolaire ont beaucoup moins recours à cette relation nouvelle et s’éloignent peu à peu.

 Les relations nouvelles crées avec de nombreux parents qui apprécient l’investissement des enseignants ; il s’instaure souvent des relations qui peuvent déborder du cadre du suivi scolaire pour évoquer les problèmes professionnels rencontrés par les parents et les questions liées à l’après-confinement.

Chaque jour nous remontent des situations où les équipes enseignantes, malgré leurs difficultés à se concerter, font preuve d’un engagement et d’une professionnalité exemplaires pour lutter contre les déterminismes sociaux et répondre à l’exigence d’égalité et de qualité requises pour l’Ecole publique.

Une école pensée pour tous les élèves

L’ensemble de ces situations vécues du côté des personnels de l’éducation, du côté des parents mais aussi des élèves, l’expertise des initiatives déployées et le bilan général du dispositif officiel de continuité pédagogique numérique devra faire l’objet d’un vrai débat national et local pour construire une école démocratique.

A l’heure où certains experts prônent déjà le modèle du capitalisme numérique comme nouvel horizon de la modernité, il semble sage de se fonder sur l’expérience actuelle qui révèle bien que la lutte contre les inégalités scolaires et sociales et l’individualisation pédagogique numérique ne sauraient se confondre.

La bataille contre les inégalités sociales doit être menée résolument. Elle passe par la construction d’un système éducatif démocratique, par la revalorisation même de l’idée de service public fondé sur les intelligences collectives et la coopération et non sur la concurrence de tous contre tous et la sélection sociale bénéficiant aux héritiers.

Demain quel partenariat avec les parents et les acteurs locaux ?

Cette construction d’un système éducatif démocratique doit d’abord permettre d’entendre la parole de l’ensemble des acteurs de terrain qui, dans leurs rôles divers, traversent cette période, guidés par le souci de ne pas laisser des élèves en chemin, de remplir le mieux possible leur mission de service public. Pour cela, la parole de l’institution devra rompre avec le mode de l’injonction permanente et la morgue bureaucratique. Il sera de la responsabilité de l’institution d’organiser à tous les niveaux des états généraux de reconstruction permettant de tirer les bilans de cette période douloureuse.

Nous en avons fait l’expérience. Le ministre actuel de l’Education nationale ne veut pas prendre en compte l’histoire de l’éducation. Ainsi, malgré nos demandes répétées, il a refusé d’engager une évaluation de la politique d’éducation prioritaire et rien n’indique qu’il souhaite poursuivre cette politique. Et pourtant, s’il y a une première leçon à tirer de la crise sanitaire c’est bien dans la nécessité d’une intervention globale et massive de l’Etat pour répondre à l’urgence. Le défi des inégalités sociales dans le système éducatif appelle aussi l’investissement massif de l’Etat à la fois en termes de ressources, de priorités et de reconnaissance du travail engagé par de nombreuses équipes professionnelles dans l’éducation prioritaire. Les chantiers sont nombreux : le partenariat avec les parents et les acteurs locaux, la construction de collectifs professionnels, l’amélioration de l’acquisition des savoirs fondamentaux pour tous les élèves, la réforme de la formation initiale des enseignants, la question du pilotage à tous les niveaux, l’accompagnement et la reconnaissance de l’engagement des équipes…

Pour sa part, l’OZP prendra, dès que possible, des initiatives pour contribuer à ce débat nécessaire.

Marc Douaire,
président de l’OZP

Extrait de cafepedagogique.net du 07.04.20

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