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A propos de l’étude de l’INSEE reprise par Libération : Les ZEP=Zones d’échec prolongé, par François-Régis Guillaume

17 septembre 2005

Les ZEP= ZONES D’ECHEC PROLONGE ?

Voir sur ce sujet l’important article "Faut-il supprimer les ZEP ?"

Dans Libération du 16.09.05, les ZEP de nouveau en première page et 3 pages avec une interview et un reportage intéressants. Mais qu’est-ce qui émerge ? Un titre violent à la Une : les ZEP= zones d’échec prolongé. Le titre de l’article principal est encore plus direct : "ZEP : le bide scolaire ».

L’auteur de cette « une » doit être content de lui, mais quelle légèreté !

Cette assertion se fonde, en la durcissant sur l’étude du CREST-INSEE qui circulait depuis deux ans et publiée maintenant dans Economie et Statistique n° 380 : "Zones d’éducation prioritaire : quels moyens pour quels résultats ? Roland Bénabou,
Francis Kramarz et Corinne Prost" et qui continue à faire des dégâts.
L’étude du CREST ne répond qu’à une question étroite : « Les moyens attribués aux ZEP sont-ils justifiés par l’augmentation des performances des élèves ? », ce qui réduit l’éducation prioritaire à une augmentation des moyens, comme le pensent aussi ceux qui réclament le classement en ZEP chaque fois qu’une voiture brûle quelque part !

Or l’éducation prioritaire, ce n’est pas d’abord donner un peu plus, c’est surtout donner beaucoup mieux, c’est-à-dire des équipes mobilisées autour d’un projet et en partenariat avec le milieu environnant. Donnons donc une autre source aux journalistes et aux statisticiens : qu’ils lisent le rapport MOISAN-SIMON de 1997. Il a montré des exemples nombreux de ZEP qui réussissent lorsque ces conditions de réussite sont réunies.

Dans des articles de « Libération » ou du « Monde » et dans des interventions de staticiens, on voit que le livre d’Eric MAURIN, « Le Ghetto Français », et l’étude du CREST-INSEE sur le bilan de l’éducation prioritaire, ou l’étude de PIKETTY , « La taille des classes en ZEP est décisive » font partie désormais des vérités indiscutables.

C’est un motif constant d’étonnement de constater combien des assertions simplistes sont admises sans aucune critique par les médias mais aussi par des chercheurs ou des statisticiens étrangers au monde de l’éducation, à partir du moment où elles s’appuient sur des opérations statistiques et qu’elles trouvent un facteur d’explication unique, allant dans le sens des préjugés courants.
On peut identifier une « idéologie INSEE », qui veut que « les chiffres parlent tout seul », comme si toute tentative d’analyser et de théoriser était suspecte de manipulation.
C’est ainsi que des prises de position concernant l’éducation, émanant de « purs statisticiens », franchissent les frontières du monde éducatif et sont reprises par d’autres statisticiens travaillant dans le monde de l’économie ou de la politique de la ville ou de la santé. Elles sont alors médiatisées et renvoyées au monde éducatif comme des vérités qu’il aurait été incapable de percevoir seul et sont désormais validées par la communauté scientifique, sans que personne n’ait cherché à expliquer le phénomène ni soumis ces tentatives d’explication à l’examen de chercheurs travaillant sur l’éducation.

Puisque « les chiffres parlent tout seul », des déductions simplistes implicites sont faciles à tirer : de l’étude de PIKETTY se déduit que la diminution du nombre d’élèves par classe est un facteur prouvé de réussite scolaire (ce qui rejoint les revendications des parents et des enseignants à la saison où sont décidées les ouvertures et fermetures de classes), il n’y a plus à s’interroger sur le meilleur usage des moyens budgétaires ni sur l’intérêt d’autres propositions.

Sans discuter en détail l’étude de PIKETTY, je m’étonne qu’on puisse faire une extrapolation aussi hasardeuse à partir d’un écart de 0,9 point sur100 à une évaluation sans que cela puisse être recoupé avec des données sur la composition sociale des classes. Comment oser isoler dans ce phénomène complexe qu’est la réussite scolaire un seul facteur comme la taille des classes sans rechercher comment elle opère ? Comment mettre en avant une seule étude statistique alors que d’autres analyses toutes aussi fondées ont montré que l’incidence était minime ?

De même E.MAURIN conclut à l’échec des ZEP en se fondant sur l’étude du CREST : il en déduit qu’il faut abandonner les politiques territoriales et préconise une politique d’aide individuelle.

Dans les années 70 et 80 c’étaient des médecins, généralement d’extrême droite, tels que DEBRAY-RITZEN qui prétendaient dire la vérité sur l’éducation et faisaient autorité dans les médias. Aujourd’hui, ce sont des statisticiens ! Comment faire face à ce nouveau scientisme ?
Peut-être faut-il que les pédagogues et les chercheurs en sciences de l’éducation se fassent violence : qu’ils soient plus affirmatifs dans leurs conclusions et ne craignent pas de simplifier les problèmes pour s’adresser au grand public plutôt qu’aux autres chercheurs. Il faut aussi que les journalistes résistent au plaisir des titres ravageurs.

François Régis Guillaume

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