> IV- EDUCATION. GÉNÉRALITÉS (Types de doc.) > Education-Généralités : Formation(s) et colloques > Philippe Mérieu à l’université d’automne du SNIupp : « Pour une Ecole de (...)

Voir à gauche les mots-clés liés à cet article

Philippe Mérieu à l’université d’automne du SNIupp : « Pour une Ecole de l’égalité réelle »

29 octobre 2015

« Pour une Ecole de l’égalité réelle » : Philippe Mérieu à l’université d’automne du SNIupp recense les conditions fondamentales d’une égalité à l’école en 2015.

[...] La démocratisation de l’école ne s’est pas transformée en démocratisation de la réussite dans l’école. L’objectif était de faire rentrer dans l’école une grande quantité d’enfants victimes de l’exclusion mais on les rend coupables de leur échec car ils n’ont pas réussi dans l’école. On en porte encore les stigmates aujourd’hui : il y a toujours une rancœur et un ressentiment des mouvements populaires, on leur a ouvert l’école sans leur donner les moyens de réussir. [...]

Un consensus général sur l’importance de l’école primaire mais les moyens ne suivent pas, la France est en queue de peloton en ce qui concerne les sommes allouées pour chaque élève pour sa scolarité. A cela s’ajoute une augmentation permanente de la corrélation entre réussite scolaire et origine sociale et une augmentation de l’écart de réussite entre les filles et les garçons (pourtant, les filles n’accèdent pas davantage aux hautes fonctions, tandis que la rupture des garçons avec les savoirs scolaires est très préoccupante).

Pour lutter contre tout cela, il nous faut une école de l’égalité réelle. C’est une école qui met enfin en œuvre le droit à l’éducation pour tous, et pour cela, il est essentiel de revoir la notion d’« égalité des chances » dans la Refondation car jusqu’à maintenant, ce qu’on appelle « égalité des chances » consiste à mettre en place de systèmes de repérage des plus doués parmi les plus défavorisés au lieu de se poser la question de l’ensemble des inégalités sociales (au lieu de se poser la question « comment donner mieux à ceux qui ont moins ? »)… Ce n’est pas en sortant trois ou quatre élèves du 93 pour aller à Sciences Po qu’on règlera les problèmes ! On a perdu l’inspiration initiale des ZEP, les pistes intéressantes demeurent trop peu explorées actuellement et subissent des résistances dans leur mise en œuvre. Il faut continuer à se battre pour un droit à l’éducation pour tous les enfants. Ce qui reste subversif dans le système, c’est de proclamer le « tous capables ».

[...] L’homogénéité est un mythe : on cherche toujours à supprimer les doubles ou triples niveaux. Cette conception demeure. La forme scolaire n’a jamais vraiment été interrogée, comme si ça allait de soi qu’il faut éradiquer les classes uniques et rurales…

Pour une école de l’égalité réelle, il est également nécessaire de construire ou reconstruire la relation avec les familles (l’accueil, la compréhension réciproque alors qu’il reste beaucoup de malentendus du point de vue des familles populaires, ne serait que sur des sujets comme qu’est-ce qu’apprendre une leçon ou lire un livre). Il y a sans doute des moyens d’aller plus loin dans la relation avec les parents. L’un des exemples pour restaurer du dialogue entre la classe et la famille, c’est cette idée de « doudou inversé » :[...]. En réfléchissant à ce domaine, une école de Charleroi a mis en place le concept de « doudou inversé » : les enfants doivent apporter quelque chose de l’école à la maison et expliquer à ses parents ce que c’est et à quoi ça sert. On a à travailler et à avancer vers cela car la rupture entre les écoles et les familles populaires peut-être grave pour les enfants !

[...] Il s’agit notamment pour les chercheurs d’observer au sein des classes ce qui permet à certains enfants de surmonter des obstacles, notamment pendant les « temps faibles » et les temps d’autonomie, en étudiant la nature des consignes, le climat de la classe, en cherchant ce qui peut aider des enfants à effectuer des apprentissages malgré les obstacles. [...]

[...] Un élève est actif si et seulement s’il est confronté à un conflit socio-cognitif dans sa tête : être actif ça se construit… [...]
Si l’on n’y prend garde, le travail de groupe creuse les écarts au lieu de les diminuer : le travail de groupe n’est formatif et éducatif que si l’on met en place une rotation systématique des tâches et des fonctions ! Chacun doit occuper toutes les fonctions, c’est une pédagogie essentielle ici pour lutter contre des inégalités existantes.

Entre la pulsion et la pensée, il y a la raison, le jugement,… c’est-à-dire un temps où on sursoit à la pulsion pour en anticiper les conséquences et sortir du passage à l’acte immédiat dans lequel sont encore pourtant bon nombre de nos élèves de CM2 ! La démarche pour y parvenir : verbaliser les choses avec les élèves, résoudre les conflits sans violence, par exemple en mettant en place un tribunal des enfants ou des méthodes de résolution des problèmes.

Désintriquer inlassablement le « savoir » et le « croire » : c’est également ce qui œuvre d’un processus d’apprentissage de la pensée. [...]

Formaliser ce qu’on a compris, en utilisant le vocabulaire précis et adéquat construit avec les élèves est une étape dont on ne peut absolument pas se passer. Et c’est bien ce qui fait l’essence même du métier d’enseignant : chercher à comprendre pourquoi on ne comprend pas.

[...] L’Ecole doit donc donner de l’identité, de la sécurité ET de la liberté. Pour construire du collectif, distinguer « communauté » et « société », l’Ecole doit elle-même « faire société », c’est-à-dire permettre d’offrir aux élèves la possibilité d’une construction identitaire et celle d’une institution… sans aliéner leur liberté ! Cela se fait en passant du « vivre-ensemble » au « faire-ensemble », pour rencontrer la résistance des objets qui permet de sortir de la toute-puissance, cela se fait aussi en conduisant des projets en commune pour articuler le « réussir » et le « comprendre », dans une logique de formation de tous.[...]

Par ailleurs, l’Ecole ne peut être qu’inclusive et doit lutter contre toutes les formes d’externalisation. C’est la question des innombrables dispositifs de soutien qui se pose ici : on connaît une situation trop grave aujourd’hui d’externalisation du travail scolaire, notamment second degré. Sur sept collèges Eclair par exemple, et sur 1639 élèves, plus de 57% des élèves ont plus de trois dispositifs d’aide par semaine, des dispositifs plus ou moins loin de l’école (orthophoniste,…), y compris dans les milieux populaires. Contrairement à ce qui est annoncé, cette situation ne prend pas en compte les élèves qui ne bénéficient pas de l’aide familiale, elle aide à redoubler les aides familiales. Ceux qui ont le plus besoin n’en bénéficient pas ! C’est un vrai problème, le déni de ce qui constitue le travail même des enseignants et de l’école. Cela signifie que notre institution est une centrifugeuse : elle envoie loin le véritable accompagnement du travail des élèves.

[...] L’enjeu majeur est bien de transmettre et d’émanciper en même temps : la liberté n’est pas le dressage la liberté s’apprend dans l’apprentissage lui-même. Pour y parvenir, il faut que les acteurs de l’Ecole travaillent notamment sur le levier de la motivation (on entend souvent « il ne travaille pas car il n’est pas motivé) : la motivation est un objectif de l’Ecole, pas un préalable ! [...]

Extrait de cafepedagogique.net du 28.10.15 : Philippe Meirieu : Pour une Ecole de l’égalité réelle

Répondre à cet article