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Nouveaux fonctionnaires (police, Justice, enseignants) en ZUS et en ZEP

26 octobre 2006

Extrait du « Monde » du 26.10.06 : Bal des débutants dans la fonction publique

Debout à l’entrée du bureau de police de Chanteloup-les-Vignes (Yvelines), il sourit. "J’ai été nommé ici en juin 2005, plaisante-t-il. Je suis presque un ancien !" Ce fonctionnaire exagère à peine : sur les quinze policiers de ce poste situé en plein coeur des cités, un seul exerce dans le quartier depuis plus de cinq ans.

Tous les autres sont arrivés il y a un ou deux ans, certains il y a seulement quelques mois. "Ce n’est pas toujours facile de travailler ici, reconnaît le lieutenant David Trontin, 31 ans. Quand la fin de journée approche et qu’il y a du monde dehors, il faut être vigilant : les interventions peuvent subitement dégénérer."

Il y a encore deux ans, David Trontin, qui a suivi des études de droit avant d’entamer une thèse de droit communautaire, était chargé de travaux dirigés à la faculté de Lyon et assistant de justice au tribunal de grande instance de la ville. "J’ai décidé de passer le concours d’officier de la police nationale car j’étais tenté par ce métier au service du public", explique-t-il.
Après dix-huit mois de formation à l’Ecole nationale supérieure des officiers de police, David Trontin a été nommé en juillet à Chanteloup-les-Vignes, dans un bureau dont la grille d’entrée vient d’être refaite : un soir du mois de février, des jeunes l’ont attaqué avec une voiture bélier qu’ils ont ensuite incendiée.

Pour ce premier poste, David Trontin dirige une équipe de quinze fonctionnaires de police dont la mission principale consiste à patrouiller dans les cités afin de "sécuriser" le quartier. Ces rondes ont toujours lieu en voiture ou en fourgon : pour "faire une pédestre", selon le mot de M. Trontin, il faut prendre des précautions. "Nous ne faisons des patrouilles à pied, le matin, que si nous sommes au moins trois ou quatre. Le soir, pour sortir, il vaut mieux être plus nombreux." Les caillassages de patrouilles sont fréquents : il y a quelques semaines, un cocktail Molotov a atterri, un soir, sur le toit du fourgon.

David Trontin ne cache pas la difficulté de cette première expérience professionnelle. "Evidemment, c’est très différent du DEA de droit !, sourit-il. Mais c’est très enrichissant. Je me sens investi d’une mission, c’est une confrontation utile à la réalité." Pour lui faciliter la tâche, le commissaire de Conflans-Sainte-Honorine lui a proposé, pendant l’été, un stage d’accueil d’un mois qui lui a permis de découvrir les lieux et de rencontrer les principaux acteurs sociaux de la ville. "Mes collègues m’avaient prévenu qu’il y aurait des pics de violence, puis, des périodes plus calmes, se rappelle David Trontin. La difficulté, c’est de garder la tête froide et de prendre les bonnes décisions au bon moment."

Dans la police comme dans l’éducation nationale ou la magistrature, le système traditionnel des mutations à l’ancienneté conduit souvent à envoyer dans les quartiers difficiles des jeunes qui sortent tout juste de formation. "C’est une sorte de bizutage institutionnel", résume le directeur général des ressources humaines au ministère de l’éducation nationale, Pierre-Yves Duwoye. "Certaines académies sont touchées par un phénomène de fuite car les conditions d’enseignement y sont parfois rudes, poursuit-il. C’est donc là que sont affectés les jeunes qui viennent d’être titularisés. Chaque année, près de 40 % d’entre eux sont nommés dans les académies de Créteil et Versailles, où deux sur trois iront dans un établissement considéré comme difficile."

Pour rendre les écoles, les collèges et les lycées de ces quartiers plus attractifs, le ministère de l’éducation nationale a inventé de nouveaux dispositifs. "Nous ne pouvons évidemment pas contraindre les enseignants à aller dans ces établissements, poursuit M. Duwoye. Nous avons donc mis en place une politique incitative qui est complétée, dans le réseau ambition réussite, par une amélioration des conditions d’enseignement."

Les enseignants qui travaillent dans les zones d’éducation prioritaire (ZEP) touchent ainsi une prime mensuelle d’environ 100 euros, tandis que ceux qui enseignent dans des zones à forte mobilité professionnelle peuvent, s’ils acceptent de rester quelques années, accumuler des points afin de partir un jour dans de meilleures conditions. En six ou huit ans dans un quartier difficile, ils gagnent autant de points qu’en vingt-deux ans ailleurs.

Dans la magistrature, les règles d’affectation sont différentes, mais les jeunes qui sortent de l’école de Bordeaux partent en priorité pour des régions délaissées par les plus anciens, comme le Nord ou la banlieue parisienne. Un tiers de la promotion 2006 a ainsi été affecté dans les cours d’appel de Douai et de Paris. Au parquet de Bobigny - le seul de Seine-Saint-Denis -, quinze magistrats, tout juste sortis de l’école, sont arrivés en septembre. "La plupart ont été affectés à la direction de l’action publique territoriale, explique le secrétaire général du parquet, Denis Fauriat. Ce service fait essentiellement des permanences téléphoniques, destinées à orienter les procédures. C’est un travail difficile, car il y a entre 50 et 80 appels par jour. Le travail est souvent épuisant, mais très formateur."
Pour aider les jeunes magistrats à affronter cette première expérience professionnelle, le procureur de Bobigny, François Molins, a mis en place, juste avant leur prise de fonctions, une formation d’un mois, comprenant une présentation de la politique pénale locale, des visites sur les lieux et des rencontres avec les acteurs locaux. "Cette formation nous a été très utile, remarque Agnès Thibault, 25 ans, qui est arrivée en septembre. La première semaine, on est évidemment complètement dérouté par l’afflux et la complexité des procédures, mais, très vite, on découvre le département et on a envie de faire avancer les choses."

Son collègue Haffide Boulakras, qui sort lui aussi de l’école, dit avoir découvert un "lieu où tout est possible". "Ici, le travail de magistrat a un sens. Il peut faire bouger l’environnement."

Anne Chemin

Le supplément du « Monde » sur les banlieues

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