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Le voile, une affaire secondaire dans les ZEP (Politis)

10 décembre 2004

Extrait de « Politis » du 09.12.04 : le voile, une affaire secondaire dans les ZEP

École : sous le voile des apparences

Le collectif « Une école pour toutes et tous/Contre les lois d’exclusion » dresse un bilan de la rentrée scolaire qui contredit l’autosatisfaction gouvernementale.

D’un côté, le ministre de l’Éducation et sa loi, adoptée le 15 mars 2004, interdisant tous signes religieux ostensibles à l’école. De l’autre, un collectif Une école pour toutes et tous/Contre les lois d’exclusion (1) créé en novembre 2003 autour de trois pétitions lancées par les associations « Les mots sont importants » et « Féministes pour l’égalité », soutenues par le Cedetim. Deux points de vue, deux bilans.
Pour le premier, tout va bien ou presque. Il n’y a pas eu d’incidents graves, pas de violences visibles. Mais, derrière les apparences de la communication politique, les choses sont plus contrastées, et c’est aux militants du collectif que la rentrée 2004 donne finalement raison. Certes, à ce jour, sur les quelque 640 filles et garçons qui ont posé « problème », 596 « cas [ont été] réglés », et une trentaine de personnes ont été exclues, selon le ministère. Des chiffres marginaux face aux douze millions d’élèves. Mais qu’entend-on par « réglés » ? Quelle somme d’humiliations, et combien de déscolarisations silencieuses derrière ces mots triomphants ?

Ce sont là des enfants, des adolescents, soumis à la pression pour retirer voiles et turbans, certains acceptant sans enthousiasme, d’autres refusant, mis alors au ban du système scolaire. Des études mises entre parenthèses, le temps de ce que les autorités ont appelé le « dialogue », parfois reprises par la suite, mais souvent arrêtées. Des vies bousculées.

Voilà ce qui inquiète les militants du collectif, qui a essaimé dans toute la France, à Grenoble, Lille, Lyon, Marseille, Montpellier, Nîmes, Paris, Rennes, Rouen, Saint Étienne, Strasbourg, Toulouse, Tours et dans le « 93 ». Des militants d’associations antiracistes, féministes, musulmanes, des particuliers, enseignants, syndicalistes, tous unis autour de la charte (voir ci-contre). Et tous refusant la vision idyllique des institutions.

« Contrairement aux déclarations du rectorat, la rentrée ne s’est pas bien passée, s’agace Évelyne Joly-Rostan, du collectif strasbourgeois. Dix-huit jeunes filles passent en conseil de discipline. Certaines vont au Luxembourg, en Belgique, où le voile est toléré. Beaucoup ont accepté d’ôter leur foulard, mais sous la contrainte, ce qui a été le plus souvent très mal vécu. » Prévue par la loi, mais laissée dans le flou, la phase de dialogue a rarement été conduite dans la sérénité. Si l’élève est autorisée à rester dans l’établissement, « il revient aux chefs d’établissement de décider dans quelles conditions », avait affirmé le ministre de l’Éducation en août 2004. Résultat : « Il n’y a pas eu de dialogue, constate John Mullen, président du 93 Sud et militant antiraciste depuis vingt ans. Un dialogue supposerait que chaque partie avait des choses à donner. Mais là, selon les établissements, cette supposée phase de dialogue s’est mal ou très mal passée. Beaucoup de filles ont été interdites de récréation ou de bibliothèque. La plupart ont fini par craquer. » Pas toutes. C’est ainsi que deux élèves de seconde au lycée Étienne-Mimard, à Saint-Étienne, ont été isolées dès le premier jour, accompagnées pour aller aux toilettes, interdites de cour de récréation. « Il a fallu la réaction de nombreux parents pour qu’elles puissent se rendre dans la cour, mais en dehors des horaires de récréation, précise Ahmed Abdelouadoud, du collectif de Saint-Étienne. Seul un professeur leur donnait un suivi des cours. Alors, avec un conseil de discipline prévu pour le 8 décembre, c’est un trimestre de foutu. »

Il n’est pourtant pas question pour Ahmed de taper sur l’équipe enseignante. Évoquant le « climat ambiant malsain » rencontré par deux collégiennes de la ville, il tient à rendre justice au principal. Un principal qui annonce une décision d’exclusion « prise à contrecœur » et qui s’agace : « Quand on est en ZEP, il y a d’autres problèmes que le voile. »

Mais la loi est la loi. Enfin presque. « Certains établissements ont fait le choix d’une application minimum de la loi, explique Pierre Tévanian, du collectif 93 Nord. Le port du bandana est permis, puisque toutes les filles peuvent le porter. Mais d’autres ont choisi d’insérer dans le règlement intérieur l’interdiction de tous les couvre-chefs. Cette mesure a été conseillée par le rectorat, tant qu’elle ne figure pas au chapitre "laïcité", pour ne pas être jugée discriminatoire. Si la loi seule avait été appliquée, il n’y aurait probablement pas eu ces trente exclusions. »

C’est ainsi que la Seine-Saint-Denis n’a pas connu un seul conseil de discipline de jeunes filles voilées, toutes acceptant de retirer leurs foulards aux portes de l’école, comme à Bobigny, ou de le remplacer par un bandana. Un bandana si possible pas trop couvrant, aux couleurs vives de préférence. Un bandana qui, associé à un nom ou un visage arabes, dérange parfois. Une élève en terminale ES en a témoigné auprès de Zahra Ali, membre du collectif de Rennes et vice-présidente de Féministes pour l’égalité : « Au bout d’une demi-heure, lorsqu’il a fait le lien entre mon nom à connotation arabe et mon foulard, [le professeur] m’a fait un speech sur l’école publique, l’éducation nationale et la laïcité. » Avant de lui poser cet ultimatum : le retrait du tissu ou le bureau du proviseur. Finalement, la jeune fille a décidé de changer d’établissement et accepté, poussée par sa mère, de retirer son voile à l’entrée de son nouveau lycée. « Après deux mois, je n’arrive pas à m’y faire, ça m’a trop chamboulée ! »

Voilà ce que recouvrent, majoritairement, les 596 « cas réglés » du ministère, avec une quarantaine d’élèves « choisissant » de poursuivre leurs études au CNED (Centre national d’enseignement à distance), moyennant 111 à 229 euros par an, une poignée se tournant vers l’enseignement privé. Et une autre quarantaine passant en conseil de discipline.

Marion Dumand.

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