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Diversification et prévention valent mieux que remédiation et différenciation (blog de Marc Bablet)

22 novembre 2019

Diversification et prévention valent mieux que remédiation et différenciation

Le blog de Marc Bablet

On continue d’explorer des alternatives aux politiques éducatives prônées actuellement par un ministre qui se décrédibilise chaque jour par des déclarations de communicant… Il convient en particulier de remettre en question l’idée dominante de remédiation qui repose sur une conception de la difficulté comme responsabilité de celui qui la porte.

C’est volontairement que je me refuse désormais à voir y compris ma modeste contribution à la réflexion commune dépendre d’une actualité décidée par un communicant qui manipule l’opinion comme ce fut encore le cas avec la présentation du rapport Azéma Mathiot dont le seul enjeu est actuellement politique pour trouver des voix dans le rural pour les municipales. En revanche on aura vu que tous mes billets de cette année scolaire contribuent à porter des idées qui s’opposent à la politique éducative et pédagogique conduite actuellement. Il en est encore de même aujourd’hui avec la critique de la remédiation et de la différenciation. On trouvera ce que je pense des questions portées par ce rapport dans une interview à Mediapart.

Pourquoi il faut critiquer l’idée de remédiation

Les choses paraissent simple dans le discours dominant actuellement : il y a des difficultés de certains élèves, il faut les repérer puis y pallier en faisant le nécessaire pour aider chaque élève concerné à surmonter les difficultés qui le concernent. Mais cette conception simple ne correspond pas à la réalité. Il faut changer de perspective pour voir la réalité correctement. Regarder les faits par « le bon bout de la lorgnette ».

C’est surtout avec le discours sur l’évaluation de début d’année que l’on entend des appels à la remédiation. Le discours ministériel est très simple : « Les évaluations fournissent aux professeurs des points de repère nationaux efficaces pour identifier les difficultés des élèves dès le début de l’année, les aider à les surmonter et les accompagner vers la réussite. Pour chaque compétence testée, les professeurs disposent de ressources pédagogiques pour répondre aux difficultés rencontrées par leurs élèves. »

Cela semble être l’évidence mais il nous faut y regarder de plus près.

Que voit-on avec ces évaluations : ce ne sont certainement pas les difficultés des élèves. Il faudrait pour cela les regarder travailler et échanger avec eux sur les façons de faire qui les amènent à l’erreur ou à la réussite. Avec une évaluation de ce type ce que l’on voit ce sont des productions, des performances des élèves dans un contexte donné et cela complique les choses : une performance réussie n’assure pas de la maîtrise d’une compétence (on peut avoir eu de la chance) et une performance ratée (c’est-à-dire qui ne correspond pas à la réponse attendue) ne dit rien, à elle seule, de ce que maîtrise l’élève. On voit d’ailleurs les ambivalences des rédacteurs : « identifier les difficultés des élèves » et « répondre aux difficultés rencontrées par leurs élèves ». Déjà derrière ces deux formulations il y a des conceptions différentes du rapport à la difficulté.

Une grande part de la difficulté du sujet vient du fait qu’il est normal de rencontrer des difficultés (c’est-à-dire des obstacles) lorsque l’on apprend puisque apprendre consiste à changer ses méthodes, ses représentations, ses connaissances en les confrontant à des tâches qui nécessitent qu’elles évoluent au moins un peu… Un élève qui ne rencontrerait aucune difficulté, aucun obstacle, n’apprendrait rien. Une grande part de l’art de la pédagogie consiste justement à donner aux élèves les bons obstacles à surmonter pour qu’ils apprennent. On peut rappeler ici la question de la zone proximale de développement ou l’idée qu’il faut se mettre à la portée des élèves et non à leur niveau si l’on veut qu’ils progressent. On rappelle aussi ce que l’on dit pour les élèves de milieux populaires quand on appelle à des apprentissages exigeants et non à la répétition incessante des fondamentaux qui ne peuvent leur permettre d’apprendre véritablement.

Une autre idée simple qui apparaît ici est qu’une difficulté relève d’abord d’un manque : il suffirait de repérer un manque pour le combler et ainsi permettre la réussite. La conception du savoir qui est sous-jacente est que les savoirs sont cumulatifs et s’empilent les uns sur les autres. Il faudrait passer par des étapes qui pourraient être prévues d’avance, du simple au complexe en quelque sorte. Et il suffirait de reprendre des exercices pour pallier le manque en question. Cela repose sur deux idées fausses : un manque serait indépendant des autres difficultés rencontrées, il suffirait de répétition d’exercices pour le combler.

Un exemple simpliste de ce que vivent nos élèves avec ce type de raisonnement est en fait bien antérieur au développement des évaluations qui visent cette conception de la remédiation : j’ai toujours été frappé comme ancien professeur de français puis comme inspecteur du premier degré et de classes de français en collège par les inénarrables répétitions d’exercices remédiant à des difficultés orthographiques (que j’ai pratiqués à mes débuts parce que c’était déjà l’opinion commune à l’époque) : le plus caricatural est sans doute la fameuse difficulté de choix orthographique entre « et » et « est » pour laquelle nos élèves ont eu droit à des exercices de remédiation du CE1 jusqu’en classe de troisième. Cela confirme très concrètement que c’est parfaitement inefficace. Il ne sert à rien de se contenter de travailler sur un manque supposé ou sur un autre. Il y faut à l’égard de la langue écrite une conception bien plus large qui articule des pratiques où elle est nécessaire et une étude raisonnée en contexte. Le travail qui consiste à s’appuyer sur l’erreur suppose que l’on travaille à essayer de comprendre sa source, ce qui n’est pas du tout la même chose que repérer des manques.

On aura compris qu’il faut donc discuter la logique technocratique du modèle qui repose sur l’organisation « évaluation-remédiation ». Il faudra y substituer une autre conception humaniste de l’évaluation comme compréhension des obstacles rencontrés par les élèves et une perspective de prévention en lieu et place de la seule perspective de remédiation.

La remédiation amène à privilégier l’individualisation

Un autre aspect de la question qui doit nous amener à refuser la remédiation telle qu’elle est actuellement prônée, réside dans les problématiques de l’image de soi des élèves dont on sait qu’elle a une grande importance dans la confiance qu’ils peuvent accorder à leur capacité d’apprendre. Ce que l’on appelle le sentiment d’efficacité personnelle résiste mal à la stigmatisation qu’amène l’évaluation et ses classements. J’ai déjà eu l’occasion de citer les travaux de psychologie sociale sur l’évaluation comme menace. On trouvera ici un lien qui précise le sens à donner à ce concept d’efficacité personnelle.

Le fait de dire à un élève qu’il a besoin de remédiation accroît encore le sentiment de sa différence entendue comme négative, dévalorisée et dévalorisante. Et donc ne favorise pas sa capacité à apprendre.

En outre, en développant à partir des évaluations des processus d’individualisation on rappelle aux individus qu’ils sont les seuls responsables de leur situation, de leurs mauvais apprentissages. C’est un effet du libéralisme en économie appliqué à tous les champs de la vie sociale. Loin de moi l’idée de dire qu’il n’existe aucune responsabilité individuelle, ce serait méprisant pour l’humanité en nous de le penser. Nous avons bien une responsabilité dans ce que nous sommes et faisons. Toutefois, ce que nous sommes, ce que nous pouvons ou avons pu apprendre, est aussi largement déterminé par le contexte et l’histoire de chacun et c’est ce qui explique l’importance des différences de résultats entre les élèves des milieux populaires et les autres. Renvoyer ces élèves à leur seule responsabilité individuelle est une mauvaise orientation comme j’ai eu l’occasion de le dire dans le billet précédent.Les travaux de Marcel Crahay insistent, en outre sur le fait que le processus d’individualisation amène l’élève à travailler en solitaire et sont donc défavorables à sa socialisation.

Accepter l’hétérogénéité comme une chose normale et positive mais être prudent vis-à-vis de la différenciation.

D’abord acceptons l’idée qu’il y a dans chaque groupe classe une hétérogénéité normale, c’est-à-dire inévitable. Le groupe homogène n’existe pas. Même si l’on faisait des classes à deux élèves on aurait encore une hétérogénéité. Et je dirais même qu’avec un élève unique on a encore une hétérogénéité mais qu’elle devient temporelle. Le même élève peut réussir quelque chose à un moment donné et plus à un autre moment. Aucun d’entre nous n’est efficace tout le temps.

Alors face à une tâche scolaire, à un exercice quel qu’il soit, on trouvera toujours une diversité de compréhensions et de réalisations des consignes. Le contraire serait inquiétant et révélerait que tous ont acquis une unique façon de résoudre un problème, ce qui devrait alors nous interroger sur la qualité de l’enseignement qu’ils ont reçu car à un problème posé il y a toujours une pluralité de cheminements possibles pour arriver à une solution acceptable même si certaines sont plus rapides ou intéressantes que d’autres. Enfermer les jeunes dans une forme unique serait discutable au regard de la recherche de leur autonomie et émancipation. Dire que tout se vaut serait également discutable car à tout problème qui se pose il y a des solutions qui présentent plus d’intérêt que d’autres, qui sont plus favorables à des apprentissages réussis.

Je rappelle ici une fois de plus que, dans la cadre de la refondation de l’éducation prioritaire, nous avons défendu l’idée que l’hétérogénéité est une chance et qu’il s’agit de la travailler dans le cours de la classe comme une chance et non comme une difficulté.

La différenciation qui semble particulièrement difficile à mettre en œuvre pour les enseignants dans la classe qu’il s’agisse de l’individualisation ou de travaux de groupes (de besoins ou de niveaux) a été très discutée lors d’une des dernières conférences de consensus du CNESCO, présidée par Marie Toullec Théry. Les recommandations du jury sont particulièrement intéressantes et mériteraient d’être largement mises en œuvre. Mais avec la suppression du CNESCO, qui montre à quel point ce type de réflexion d’un très bon niveau peut déranger le politique actuel, il est peu probable que ces recommandations soient entendues.

On trouvera en outre dans les notes des experts de cette conférence une contribution de Sabine Kahn qui analyse de manière bien plus fine que nous ne pouvons le faire ici les différentes conceptions de la différenciation et leurs effets.

Développer la diversification et la prévention

On sait bien que c’est en connaissant les obstacles auxquels les élèves vont être confrontés que l’on peut leur proposer en amont les appuis, les étayages comme disait le grand psychologue américain Jérôme Bruner. On trouvera à ce lien une présentation rapide de son apport.

Il s’agit donc de permettre à la diversité des élèves de trouver leur compte dans ce qui leur est proposé. Compte tenu de leur diversité, on ne peut que favoriser une certaine diversification des approches des connaissances et compétences que l’on souhaite leur voir apprendre. Ce n’est pas en proposant un modèle unique que l’on peut espérer toucher chacun. Diversifier est une façon essentielle de prendre en compte l’hétérogénéité.

Il faut ensuite être bien au clair sur les obstacles que l’on veut proposer aux élèves pour les faire progresser et leur fournir les apports et outils pertinents pour leur permettre de surmonter les obstacles concernés. La classe doit donc être ce lieu où le professeur est attentif à la didactique des disciplines enseignées afin de bien mesurer les conditions d’appropriation des connaissances par les élèves. En amont des activités qui vont viser ces apprentissages. Et en éducation prioritaire il convient particulièrement de veiller à un bon ajustement pour ne pas accroître les difficultés des élèves de milieux populaires. On doit ici rappeler l’important article d’Élisabeth Bautier et Roland Goigoux qui disent : « Notre hypothèse sur la construction des inégalités scolaires est par conséquent une hypothèse relationnelle : c’est l’hypothèse d’une inadéquation des pratiques d’enseignement (objectifs assignés, choix des tâches, modes de régulation, etc.) aux caractéristiques de certains élèves les moins performants issus des milieux populaires. »

On doit aussi insister sur l’anticipation des difficultés que les élèves vont rencontrer face à une tâche scolaire qui doit leur permettre un ou des apprentissages. En mettant en place des aides en amont, à la disposition de toute la classe, on évite l’effet de stigmatisation inhérent à la remédiation. On peut en outre envisager comme cela était évoqué par un document ministériel de 2002 l’importance de préparer certains élèves, dont on sait qu’ils risquent d’être en difficulté, à des notions ou activités nouvelles : « il s’agit alors d’aider les plus faibles à affronter une activité que la vitesse ou la virtuosité des autres pourraient leur confisquer en partie. »

On le voit avec ces perspectives on appelle l’État a être porteur de conceptions pédagogiques solides assumées et partagées. Pour qu’elles puissent être appropriées par l’ensemble des enseignants il faut absolument éviter le mode de management actuel et en faire davantage des objets de recherche partagés au sein d’équipes animées dans la perspective de la recherche de l’efficacité collective au plan local. Chacun des réseaux de l’éducation prioritaire a vocation à être un tel lieu du travail collectif et de l’enquête pour une amélioration de ce que nous faisons.

Extrait de mediapart.fr du 19.11.19

 

Le blog de Marc Bablet

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