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Le ministère prépare un nouveau programme d’EMC au collège
"Je crois qu’il est urgent de revenir à une instruction civique classique où on n’est pas en lutte contre tous les maux de la société". Entendue le 25 janvier par la Mission d’information sur la culture citoyenne du Sénat, Souâd Aayada, présidente du Conseil supérieur des programmes (CSP) a dessiné les grandes lignes d’une réforme de l’enseignement moral et civique (EMC) au collège. Ce retour à une instruction civique, une appellation qui a disparu en 1985, c’est pour S. Ayada le retour des connaissances contre le débat. Elle critique aussi les thèmes actuels du programme comme la diversité des appartenances ou la mise en tension des valeurs républicaine ou encore une laïcité identifiée à la liberté de conscience. Ce programme réactionnaire a peu de chance de voir le jour à la fois à cause du calendrier et du coût d’un tel changement.
La notion de cycle éliminée
Interrogée par la Mission d’information sur la culture citoyenne du Sénat, Souâd Ayada a annoncé qu’après une "clarification" en 2018, le Conseil supérieur des programmes, qu’elle préside, travaille à la réécriture des programmes d’enseignement moral et civique du cycle 4, correspondant aux années de la 5ème à la 3ème.
"On conduit une réflexion pour mieux articuler les programmes du collège et du lycée" (réécrits en 2019), dit-elle, tout e ajoutant que "ça s’est imposé après l’assassinat de S Paty". Car ce n’est pas tant le niveau, la "marche" à sauter qui pose problème que les contenus des programmes de 2015, comme cela apparait dans son exposé devant le Sénat.
D’abord, S Ayada veut un programme progressif et explicite avec des "attendus" annuels. Actuellement ils existent mais sous forme d’une recommandation. Ils seraient intégrés dans le programme. Un incident éclaire à quel point la notion de cycle est étrangère à l’univers pédagogique de S Ayada. Pendant 5 minutes elle va essayer de définir , en vain, les classes correspondant aux cycles !
Ne plus parler des "appartenances multiples"...
Concernant le programme de cycle 4, "il faudrait reconsidérer la pertinence des groupements thématiques, réduire le nombre de connaissances et définir plus rigoureusement les notions", dit-elle. Mais on comprend mieux les intentions de ce nouveau programme avec les critiques portées par S Ayada sur les programmes actuels.
Ce qui ne va pas dans le programme actuel c’est que "la notion de nation et la diversité des appartenances sont abordés. Les élèves doivent comprendre la diversité des sentiments d’appartenance civique, sociaux, culturels et religieux... Le programme insiste sur le fait que les valeurs de la République peuvent entrer en tension. Il invite les élèves à appréhender cette tension en situation. La laïcité est présentée comme ce qui permet de respecter les convictions philosophiques et religieuses d’autrui... Sur nombre de points, notamment la laïcité, les principes et valeurs de la République, ces programmes peuvent prêter à malentendu", dit-elle.
"Ainsi les valeurs de la République sont abordés dans une perspective qui rapporte la citoyenneté française à la citoyenneté européenne... La République c’est tout et rien de précis... L’étude des valeurs est menée sous la double perspective des droits individuels et de l’égalité présentés comme une promesse républicaine et non une réalité. La perspective juridique est écartée au profit d’une approche sociétale ancrée dans les enjeux contemporains".
Ou définir la laïcité comme la liberté de conscience
Le programme est aussi critiqué sur sa conception de la laïcité. Il traite "des principes de la laïcité alors qu’il me semble que c’est un singulier", dit S Ayada. "Il s’agit de comprendre la diversité des sentiments d’appartenance, j’insiste sur le pluriel qui n’est aps sans poser de difficultés... L’angle de la liberté de conscience (pour définir la laïcité) est réducteur or il est privilégié. La laïcité n’est pas présentée comme un principe organisateur de la République mais comme un droit personnel à l’expression individuelle. Cette liberté de conscience est confondue avec la liberté religieuse".
S Ayada déplore aussi la place prise par l’étude des discriminations dans ce programme. "Je crois qu’il est urgent de revenir à une instruction civique classique où on n’est pas en lutte contre tous les maux de la société", résume t-elle.
Les manuels parlent trop des droits des homosexuels...
Les manuels scolaires n’échappent pas à la critique. "Ils obéissent à une logique de déconstruction", dit-elle. "On est dans le débat d’opinion là où l’école est censée d’apporter des connaissances. Il y a beaucoup de choses sur la liberté sexuelle, les discriminations racistes, sexistes... Beaucoup de choses sur les droits des homosexuels, des transexuels, des migrants". Pour aggraver les chose, selon S Ayada, les professeurs ne sont plus capables d’enseigner l’EMC, car "les voies de recrutement se sont multipliées"...
C’est donc un réalignement complet du programme d’EMC qui est envisagé en accord avec les conceptions très conservatrices du ministre. Réalignement pédagogique où la culture du débat , qui est au coeur de l’EMC, serait remplacée par des connaissances transmises par le professeur. Et surtout réalignement idéologique avec une instruction civique qui enseignerait les institutions et leur histoire, des valeurs réduites à des notions à apprendre et non à mettre en débat sur des situations concrètes.
Retour à l’instruction civique
"Je crois qu’il est urgent de revenir à une instruction civique classique où on n’est pas en lutte contre tous les maux de la société", résume S Ayada. Cette instruction civique a été justifiée selon S Ayada pour "inscrire dans la République et faire adhérer à ses principes des citoyens français qui n’y étaient pas acclimatés".
Cette sortie sur l’instruction civique apparait au bon moment pour JM Blanquer. La formation citoyenne telle qu’elle est pratiquée par l’Education nationale a été vivement critiquée par la Cour des Comptes en novembre 2021. La Cour a montré que l’EMC est une variable d’ajustement des programmes. Les connaissances des élèves sont faibles, la citoyenneté scolaire est peu valorisée (une dimension totalement ignorée par S Ayada) et l’EMC est peu pilotée. Le 24 janvier , JM BLanquer a fait quelques annonces , notamment la publication d’un vademecum sur l’EMI. Le 25 il est attaqué à l’Assemblée par Les Républicains qui réclament une éducation plus cocardière.
Cette réforme du programme du cycle 4 a t-elle une chance de se matérialiser ? On a bien compris que le CSP est en train de la préparer et on sait ,par expérience, qu’il peut travailler très vite. Mais il y a une raison objective qui a limité la réécriture des programmes du collège par JM BLanquer. C’est le fait que les manuels du collège sont à la charge de l’Etat. Changer le programme entraine automatiquement une dépense qui n’a pas été budgetée pour 2022.
Enfin cette réécriture conservatrice isolerait davantage la France des autres pays européens. La France est le seul pays en Europe à faire de la formation citoyenne à la fois une discipline et un objectif transdisciplinaire. La grande majorité des pays européens n’ont pas d’épreuve nationale en ce domaine. Les autres en ont soit dans le premier degré soit dans le second. Seuls 4 pays ont inclus dans la formation initiale des professeurs la formation citoyenne. Quelques uns ont développé une certification spéciale (Royaume Uni par exemple). Cet enseignement est obligatoire de l’école primaire au lycée en Allemagne, de l’école maternelle au lycée en Italie, de 11 à 16 ans au Royaume-Uni et de l’école primaire au lycée en Suède. Il est, en revanche, facultatif en Espagne (primaire et secondaire) et au Royaume-Uni au primaire.
François Jarraud
Extrait de cafepedagogique.net du 26.01.22
Pour Souâd Ayada, les programmes d’EMC au collège “appellent plus qu’une clarification ou une reformulation à la marge, ils appellent une refonte globale“ (Sénat)
Afin de préparer son audition au Sénat, Souâd Ayada a consulté trois manuels scolaires d’éducation civique et morale (EMC). Elle dit y retrouver les mêmes caractéristiques que pour ceux des autres disciplines, “très peu de textes“, “plein de couleurs, de dessins d’images dans tous les sens“, de la BD et non des œuvres d’art.
Est évoquée une logique de déconstruction, un émiettement où “tout est mis sur le même plan“. Les éléments mis en valeur sont la démocratie participative et pas les “formes traditionnelles“ de démocratie, il y a “beaucoup de choses sur liberté des mœurs, liberté sexuelle, la discrimination“ ou encore les migrants et les droits, “toujours sur le débat d’opinion“, ajoute-t-elle.
Interrogée durant une heure et demie mardi 25 janvier par les sénateurs de la mission d’information “Culture citoyenne“, la philosophe, inspectrice générale, a rappelé la génèse de ces programmes. Elle considère qu’“on a voulu que ce soit un enseignement en 2012-2013, que ce ne soit pas une ’éducation à’, que ce ne soit plus une instruction. Incontestablement il y avait la volonté de redonner de la valeur à cet enseignement. Y sommes-nous parvenus ? Pas tout à fait parce que l’horaire reste modeste et il est la variable d’ajustement pour les enseignants en fonction du point où ils en sont de leur programme dans l’année“.
Souad Ayada a majoritairement consacré son audition aux programmes de l’EMC du cycle 4 (5ème, 4ème, 3ème) dont elle a rappelé les finalités : apprendre à respecter autrui, acquérir et partager les valeurs de la République, et enfin construire une culture civique. “Il faudrait reconsidérer les finalités de l’EMC à l’aune de la priorité de dispenser une instruction civique digne de ce nom“, explique-t-elle en appellant de ses vœux une refonte de ces programmes.
Elle souhaite clarifier les attendus de fin de collège considérés “trop abstraits“ et les réduire. Elle évoque une simplification de la structuration des programmes “pour mettre mieux en évidence les fondamentaux“ car les programmes “comprennent de nombreuses strates qui ne facilitent ni l’appréhension ni le traitement". Elle souligne une impression d’éparpillement avec des connaissances émiettées et trop d’exhaustivité, et voudrait redéfinir plus rigoureusement les notions mises à l’étude.
“Au collège l’étude des valeurs prend le pas sur celle de ses principes." La présidente du Conseil supérieur des programmes de l’Education nationale estime que les programmes ne semblent pas viser de connaissances précises, avec “l’égalité comme promesse citoyenne“ ; “les perspectives juridiques, politiques et historiques semblent en revanche écartées au profit d’une approche sociétale ancrée dans des enjeux contemporains."
Nation, liberté, droit, citoyenneté, laïcité etc.. Les différents niveaux ne sont “pas distingués“ et “ces valeurs véhiculent une certaine confusion que renforce le caractère indéterminé de la notion de valeur“, estime Souâd Ayada. Est de plus souligné que “l’angle de la liberté de conscience (légitime, mais réducteur) est privilégié. Elle est parfois réduite à du ressenti“, tandis que “la laïcité est abordée bien plus qu’elle n’est enseignée“ et que “la connaissance, la reconnaissance et l’obéissance à la loi ne sont pas mises en avant“.
A cela s’ajoute l’enseignement laïc du fait religieux, qui “a sans doute toute sa place et on est en droit d’en attendre quelques bénéfices, notamment pour faire comprendre à nos élèves que la laïcité n’est pas en guerre contre les religions“.
“Cet enseignement civique, assure enfin Souâd Ayada, a longtemps été pensé comme devant se déployer de manière indirecte, mais depuis les années 60 la société française a changé et on ne peut plus s’appuyer sur les voix d’un enseignement implicite et indirect“. Elle n’est pas sûre que les professeurs soient bien formés pour le conduire : “je ne dis pas qu’ils sont moins bons mais ils ont profondément changé, je ne suis pas sûre qu’ils soient tous animés du même idéal." Et d’évoquer la fin d’une culture commune, d’une unité, d’une vision du métier “parce que les voies de recrutement ont été multipliées“ et que la réalité montre un acroissement exponentiel du nombre de contractuels dans l’EN.
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