> III- INEGALITES : Mixité sociale, Pauvreté, Ethnicité, Laïcité... > Inégalités sociales > Inégalités sociales : Formation(s) et colloques > Inégalités à l’école : enfants pauvres, orientation. Les interventions de (...)

Voir à gauche les mots-clés liés à cet article

Inégalités à l’école : enfants pauvres, orientation. Les interventions de Jean-Paul Delahaye et d’Agnès Van Zanten au congrès du SE-Unsa (ToutEduc)

24 mars 2022

Inégalités à l’École : 3 millions de jeunes pauvres en France, des besoins primaires insatisfaits et des processus d’inégalité d’accès à l’enseignement supérieur persistants (Congrès SE-UNSA)

"Les inégalités à l’École, un enjeu de démocratie". Tel était le thème de la première table ronde organisée à l’occasion du Congrès annuel du SE-UNSA, qui s’est ouvert hier, mardi 22 mars 2022 à Toulouse, et se déroule jusqu’au 25 mars dans la Ville Rose. Et il s’agit bel et bien d’un enjeu au regard de deux grands témoignages faits à cette occasion. Alors que Jean-Paul Delahaye, Inspecteur général honoraire de l’Éducation nationale et auteur notamment du rapport sur la grande pauvreté rendu en 2015, a dressé un constat de la pauvreté en France et mis en exergue les difficultés auxquelles sont confrontés les 3 millions de jeunes qui font partie de cette frange de la population, Agnès van Zanten, directrice de recherche au CNRS, a fait de son côté la démonstration, à l’aune d’une recherche qu’elle mène depuis 10 ans, d’inégalités persistantes et importantes dans l’orientation et le rapport à celle-ci entre jeunes issus de milieux favorisés et jeunes issus de milieux populaires.

Un jeune sur cinq confronté à la pauvreté, "ce n’est pas rien !", s’est ému à nouveau l’auteur du rapport sur la grande pauvreté (le plus téléchargé des rapports du ministère, selon lui, plus de 50 000 fois), de "L’École n’est pas faite pour les pauvres" et plus récemment d’un ouvrage dans lequel il raconte sa vie d’enfant très pauvre et rend hommage à sa mère, "Exception consolante, un grain de pauvre dans la machine scolaire". "Ce n’est pas rien", insiste Jean-Paul Delahaye qui observe en outre, qu’avec la crise, leur nombre est passé de 9,3 millions à 10 millions. Des personnes qui sont à 60 % du revenu médian et touchent environ 1000 euros par mois.

Pour les enfants pauvres, "des besoins primaires pas satisfaits"

Celui-ci indique que pour ces enfants pauvres, "certains besoins primaires ne sont pas satisfaits". Ainsi, étaye-t-il, plus d’un enfant pauvre sur deux vit dans une famille où les prestations sociales familiales représentent plus de la moitié des revenus des familles. À la maison, "ils n’ont pas d’espace pour faire vivre ce qu’on leur apprend à l’école", "ils n’ont pas les moyens de s’habiller", ils ont "des problèmes de nourriture", égrène l’inspecteur général, qui évoque l’histoire d’un responsable de restauration scolaire qui lui avait confié : "le lundi, je charge certaines assiettes parce que je sais que le week-end a été dur et le vendredi, je ferme les yeux quand ils prennent du pain pour la maison."

Ces enfants sont aussi exposés à des problèmes de santé - l’IGEN honoraire indique lui-même être allé pour la première fois chez le dentiste à 20 ans avec sa première paye d’élève-professeur - et les fournitures scolaires à payer continuent de constituer des difficultés pour les familles, poursuit l’ex conseiller de Vincent Peillon qui s’étonne des listes parfois encore longues données par certains enseignants, et dont une part des fournitures "ne serviront jamais".

"Au fur et à mesure que l’on évolue dans le système éducatif, les enfants de pauvres disparaissent"

Jean-Paul Delahaye raconte aussi les "humiliations" vécues par ces enfants. En prenant la sienne en exemple, lorsqu’il était au lycée, alors que les élèves de sa classe étaient partis en Angleterre pendant que lui et quelques autres étaient restés dans la cour de récré. "Une humiliation à hauteur d’ado qui ne s’oublie pas", commente-t-il.

Cet état des lieux est d’autant plus important à faire, selon Jean-Paul Delahaye, que "les personnels de l’Éducation nationale n’ont pas toujours une exacte mesure de la diversité sociale" et que ce sujet est "rarement présent dans la formation initiale et continue". L’occasion pour lui aussi de citer une initiative originale d’un chef d’établissement qui banalisait à chaque rentrée les deux premières journées pour que ses enseignants aillent à la rencontre des gens du quartier.

Si "l’École ne peut pas seule résoudre" ces difficultés, et qu’il faudrait en parallèle "moins de travail précaire, moins de travail subi, etc.", "l’École a sa part de responsabilité", insiste-t-il. Or, constate-t-il, alors que le collège, parce qu’il est "unique", rassemble 18,4 % d’enfants de cadres et 25,8 % d’enfants d’ouvriers, 84 % des élèves de SEGPA sont des enfants d’ouvriers. Et "au fur et à mesure que l’on évolue dans le système éducatif, les enfants de pauvres disparaissent". Seule exception, leur présence en BTS, "qui a réussi à être un outil de promotion sociale", estime-t-il, puisqu’on y retrouve 16,6 % d’enfants d’ouvriers.

Inégalités dans l’orientation : l’interaction de trois systèmes, les réseaux, les institutions et les marchés

De son côté, la sociologue Agnès van Zanten, notamment auteure de "L’École de la périphérie" et de "Sociologie de l’École", a présenté les principales observations tirées de sa recherche qui s’intéresse aux inégalités de parcours qui "se dessinent très très tôt" et deviennent encore "plus visibles au lycée, puis dans l’enseignement supérieur". À partir de questionnaires envoyés à un quart des chefs d’établissements d’Île-de-France, à des élèves de terminale de 4 lycées "très contrastés", à des représentants du rectorat, de collectivités, et d’observations, y compris dans le cadre de journées portes ouvertes, etc., la sociologue a identifié des processus d’inégalités d’accès "multiples" et qui résultent de "l’interaction de trois systèmes : les réseaux familiaux et amicaux, les institutions et les marchés".

Concernant le rôle des réseaux, la sociologue se dit d’abord frappée par la place qu’occupent aujourd’hui les parents de milieux favorisés, contrairement aux parents des milieux populaires, dans l’enseignement supérieur, une forte mobilisation "que l’on connaissait déjà dans le primaire et le secondaire". Le réseau, dans ce milieu, inclut également la famille élargie : non seulement les informations et les avis circulent aussi par ce biais, mais les parents voient d’un bon œil, de déléguer à ces tiers, par exemple, le soin de "reproduire le même modèle" pour ne pas avoir à dire eux-mêmes à leurs enfants qu’ils veulent que ces derniers fassent une prépa. Au niveau des réseaux, les différences s’observent aussi entre camarades. Du côté des élèves favorisés, scolarisés dans les mêmes lycées et dans "l’entre-soi", les camarades sont sources de beaucoup d’informations et d’influence. À l’inverse, observe la sociologue, "les classes populaires échangent, mais pas sur les classements des établissements par exemple : sur les coûts de scolarité, les chances d’insertion professionnelles..." Et ces échanges ne donnet "pas forcément" lieu à des "conseils fiables et utiles".

Différence de qualité de service d’orientation entre lycées "favorisés" et lycées "populaires"

Les institutions jouent aussi un rôle dans ces processus d’inégalités d’accès. Ainsi la chercheuse a observé "une différence de qualité du service d’orientation". Celle-ci souligne d’abord "de très fortes différences" dans la façon dont le paysage de l’enseignement supérieur est présenté. Dans les établissements accueillant des élèves favorisés, on met ainsi l’accent sur les prépas et certaines filières universitaires, alors que dans les lycées défavorisés, on n’évoque que les filières non sélectives et les BTS. Elle relève également une différence de mobilisation des personnels, une démobilisation étant observée dans les établissements défavorisés, qui s’explique par un investissement davantage orienté sur la lutte contre le décrochage et pour la réussite au bac. De même, note-t-elle, alors que "dans les lycées favorisés, on donne des conseils personnalisés, à l’inverse, dans les lycées défavorisés, on donne des conseils très génériques", et l’on "délègue beaucoup car on n’a pas le temps d’intégrer les informations que les élèves recueillent".

Enfin, la sociologue observe "un usage cognitif très différent" d’internet selon ces élèves, alors que les lycéens déclarent que c’est leur principale source d’information : alors que les jeunes favorisés font une recherche "précoce et ciblée", qu’ils montrent une "très grande capacité à utiliser l’outil, le maximiser", à reconnaître les messages pertinents et identifier ce qui relève en revanche de la pub, et qu’ils sont en outre "très accompagnés par les parents", les élèves des milieux populaires font une recherche "tardive, peu ciblée ou excessivement ciblée - sur un établissement ou une seule voie -", "ouvrent un Google Map pour mesurer la distance pour aller à l’établissement", "mobilisent très peu de mots clés", n’ayant alors "accès qu’à des informations très pauvres et très redondantes". En outre, des données, comme les taux de réussite et d’insertion, "ne sont pas toujours simples à comprendre", observe-t-elle encore.

La "détestable polémique" des achats de téléviseurs avec l’allocation de rentrée scolaire

Face à ces observations, Jean-Paul Delahaye a fustigé les propositions de certains candidats à la présidentielle qui viseraient à nouveau à "faire des séparations, filtrer l’entrée au collège, voire le couper en deux, rétablir un pallier d’orientation en 5e, etc." "Il est plus commode d’évoquer un handicap culturel, car cela exonère l’École de ses propres responsabilités", a regretté l’Inspecteur général, qui a souligné que, "bien évidemment, ce sont pour les enfants des autres et pas pour les leurs qu[e ces candidats] font ces propositions".

L’inspecteur général honoraire n’a pas manqué non plus de revenir sur "la détestable polémique" de la rentrée dernière concernant l’allocation de rentrée scolaire que les familles utiliseraient pour utiliser des téléviseurs. Celui-ci a évoqué une anecdote de son enfance où sa mère, ayant fini avec ses allocations d’acheter à ses enfants ce dont ils avaient besoin pour l’école et se vêtir, avait acheté, avec ce qu’il en restait, une télé noir et blanc et d’occasion. "Où est le scandale pour ceux qui ne partent pas en vacances (…) ? A-t-on demandé à ceux qui ont bénéficié de la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune ce qu’ils avaient fait de l’argent qu’on leur avait donné ?"

Camille Pons

Extrait de touteduc.fr du 24.03.22

 

Notes du QZ :
La troisième intervenante de cette table ronde était Sabine Azéma, actuellement déléguée nationale de la Ligue de l’enseignement, qui a présenté les grands principes de la Ligue sur le monde hors l’école.
Rappelons que Sabine Azéma est la coauteure avec Pierre Mathiot du rapport sur l’éducation prioritaire intitulé "Territoires et réussite" et remis au ministre en 2019.
Après cette table ronde, Marc Douaire, invité par l’Unsa, est intervenu pendant une dizaine de minutes pour rappeler les récentes enquêtes de l’OZP et l’évolution actuelle de l’éducation prioritaire avec les Cla et les cités éducatives.

Répondre à cet article