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Séminaire Maternelle OZP : Conclusion, par Viviane Bouysse, membre du Conseil scientifique de l’OZP et animatrice du séminaire

30 mai 2024

Séminaire de l’OZP - 25 mai 2024.

Quelle(s) conception (s) de l’école maternelle en éducation prioritaire
pour réduire les inégalités ?

Ce texte reprend des éléments de réflexion abordés dans la matinée du 25 mai en les articulant entre eux et en les développant plus que ce que le temps a permis alors.

Viviane Bouysse

Le thème du séminaire invite à réfléchir à la racine des inégalités face aux exigences de la scolarité telles qu’elles se sont installées en France, et aux modalités de leur réduction. L’école maternelle accueille des enfants jeunes, dans une période cruciale de leur développement, et qui, dans les réseaux de l’éducation prioritaire, ont connu peu, et le plus souvent pas, d’expériences antérieures d’accueil collectif. Ces enfants entrent donc à l’école avec les seuls acquis de la socialisation familiale. Dans tous les pays où des études ont été conduites, on observe des écarts, extrêmement importants parfois, entre les enfants des milieux populaires (ceux qui nous occupent) et ceux qui grandissent dans des environnements mieux dotés ; les écarts en matière de langage, langue, culture de l’écrit, sont particulièrement importants par rapport aux normes scolaires en vigueur chez nous. L’impact de cette situation sur l’avenir scolaire est d’autant plus fort quand il y a concentration d’enfants qui sont dans une même situation défavorisée, ce qui est le cas en REP+ et souvent aussi en REP.

Le défi pour l’école maternelle, plus encore en éducation prioritaire qu’ailleurs, est de réduire les inégalités entre enfants : si les écarts entre les acquis des enfants les mieux « dotés » et d’autres nettement moins bien « dotés » ne sont pas effaçables dans le temps de la maternelle, on doit pouvoir conduire tous les enfants à aborder les apprentissages systématiques et structurés du cours préparatoire avec de bonnes chances de réussir alors.

Dans cette perspective, la chance des enfants accueillis en REP et REP+ est assurément que l’école leur permette d’effectuer des apprentissages qu’ils ne pourraient pas faire sans elle. Disons-le clairement, une école maternelle trop « ludique », seulement soucieuse de satisfaire les appétits spontanés des petits, ne peut pas répondre au défi rappelé plus haut. L’école maternelle souhaitée doit être un milieu d’apprentissages, mais lesquels et comment… C’est ce que l’on attend de lire dans des programmes (dans notre conception française de l’organisation des cursus scolaires).

A propos des projets de programmes

Les projets de nouveaux programmes suscitent de ma part (pour ne pas engager quiconque autre, sauf indication précise) les commentaires et analyses suivants :

  ils s’inscrivent dans une évolution dont le rythme s’est fortement accéléré dans les vingt dernières années. En 2001, un rapport de l’OCDE sur la petite enfance avait stigmatisé l’école maternelle française, trop « scolaire », trop directive (« école de la consigne » était-il écrit), trop portée sur des évaluations. Que dirait l’OCDE de l’école d’aujourd’hui ? Il est sûr qu’en 20 ans les recherches nous ont beaucoup appris sur les jeunes enfants et les apprentissages prioritaires pour eux. Il est évident aussi que les résultats des élèves français restent décevants au moment des évaluations comparatives internationales, ce qui invite toujours à regarder l’amont. Pour autant, les enfants d’aujourd’hui ne sont pas des mutants et l’état de leur maturation et de leur développement global ne leur a pas fait gagner des années. D’aucuns diraient même que leurs conditions de vie ont dégradé certaines aptitudes chez de nombreux petits : parler d’attention et de concentration, d’acceptation des frustrations toujours nombreuses en milieu collectif, aux enseignants d’école maternelle expérimentés et vous serez instruits. Ce dont témoigne les textes d’aujourd’hui, c’est d’une nouvelle étape dans cette évolution vers ce que d’aucuns nomment « primarisation de la maternelle » (voir pour illustration les propos de C. Joigneaux).

  Nous lisons sur l’école maternelle deux projets référencés à des disciplines scolaires, sans cohérence entre eux et sans lien avec ce qui doit/devrait rester des autres domaines d’apprentissage de l’école maternelle. Des articulations adaptées aideraient à dépasser l’impression d’approches très instrumentales dénuées de sens, notamment pour les enfants des REP et REP+, de séances qui s’empilent sans ancrage sur les usages que les acquis éventuels peuvent permettre.

  Une des interrogations parmi les plus fortes porte sur la faisabilité étant donné la somme des exigences des deux domaines traités et du niveau d’exigence dans chaque domaine (voir aussi C. Joigneaux). Le niveau d’exigence, disons-le, paraît un peu moins irréaliste en mathématiques. Juste une illustration : mettez bout à bout les attentes relatives aux enfants de 4 ans (globalement donc ce que la petite section devrait produire, mais il faut y regarder de plus près – cf. infra) et installez le projet dans le temps. Décomptez les temps de sieste, de passage aux toilettes, d’habillage-déshabillage, de récréation qui valent tout au long de l’année ; pensez au temps qu’il faut à des petits pour entrer dans les exigences de l’écoute attentive et dans les habitus proprement scolaires qui permettent d’apprendre quand ils n’ont aucune expérience antérieure d’accueil collectif (ce que l’on a appelé le « devenir élève ») ; pensez aussi aux capacités d’attention des jeunes enfants qui limitent la durée des séquences de travail ; enfin, ajoutez les temps nécessaires aux évaluations requises par le programme qui ne sont jamais des évaluations collectives papier-crayon… Comment peut-on penser que l’école va opérer les miracles attendus, dans le temps qui reste pour apprendre, par exemple avec des enfants qui n’ont pas eu d’interactions en français antérieurement ? Bien sûr, d’autres enfants réaliseront les prouesses espérées parce qu’ils savent déjà en arrivant à l’école ce qu’elle va leur apporter (dans leurs pratiques langagières notamment) et que les renforcements aux activités scolaires sont nombreux à la maison.

  Une autre question concerne les âges-repères puisque les attentes sont exprimées en fonction de l’âge et non pas, comme souvent, par rapport aux fins de sections. Je lis là une précaution des rédacteurs de ces projets qui savent bien que les écarts d’âge entre enfants ont un poids considérable avant 6 ans. Nés en janvier et en décembre, deux enfants ont près d’un an d’écart ; un an d’écart à 3 ans, c’est un tiers de vie en plus ou en moins, ce qui pèse lourd en matière de maturation et d’expériences. Mais cette précaution salutaire ne s’accompagne pas de commentaires sur ce que cela implique en matière de gestion pédagogique : est-ce à dire que pour le petit né en janvier c’est au premier trimestre de l’année civile que l’on va regarder si les acquis attendus sont bien là (donc au deuxième trimestre de la petite section) alors qu’on attendra la fin de l’année civile pour le petit né en décembre, c’est-à-dire alors en fin du premier trimestre de la moyenne section ? Et si l’on compte rassurer en disant que c’est la fin de la petite section qui reste le repère le plus simple in fine, on dit clairement alors qu’on donne presque 6 mois de plus au plus « mature » et qu’on ampute le parcours d’apprentissages du moins « mature » de près de 6 mois. Bien sûr, c’est plus complexe, le plus âgé n’est pas forcément le plus avancé, et inversement, le moins âgé n’est pas forcément le moins avancé (les individus ne sont pas des standards), mais il y a du vrai dans ce scénario. Le tableau de bord de conduite de sa classe pour chaque enseignant sera vraiment compliqué à gérer avec tous les petits « clignotants » des évaluations requises.

  Il n’est pas possible de passer sous silence l’absence d’attention aux enfants non francophones, ce qui, là, n’est pas nouveau. Pensez à ces enfants et à ce qui les attend en petite section ; pensez aux enseignants qui vont devoir prioriser sans qu’on les aide ce qui peut être raisonnablement envisagé pour aller vers les caps dessinés par les textes… quand ils travaillent avec plus de 20 enfants comme c’est la règle aujourd’hui puisque, là, on n’a jamais envisagé de dédoublements. Peut-être seraient-ils plus nécessaires qu’en grande section.

  Enfin, on va devoir clarifier le statut des acquis et des manques par rapport aux attentes au début du cours préparatoire. Faut-il vraiment maîtriser tout ce qui est attendu en fin de maternelle pour devenir un écolier capable de réussir son année de CP, et si oui, quelles sont les recherches sur lesquelles on s’appuie pour l’affirmer ? Et si ce n’est pas le cas, où sont les priorités ? Quand tout n’est pas possible, chacun peut se sentir justifié de trier et ce n’est pas alors le plus important qui prévaut. Le texte dessine un bel idéal (c’est ce qui est le plus facile à écrire en matière de programmes scolaires) mais l’idéal peut-il être la norme ? Et que dira-t-on des enfants qui manifesteront des décalages par rapport à l’idéal ? Sans doute qu’ils sont en difficulté, peut-être qu’ils ont des difficultés, ce qui n’est pas la même chose. Peut-être ira-t-on jusqu’à dire que ce n’est plus l’affaire de la classe ordinaire. Voilà comment en voulant faire bien, on peut condamner certains enfants à souffrir à l’école durablement et dès les premières années… alors que l’on parle encore de « première expérience scolaire réussie » (souvenir du programme de 2002). Elle le sera à coup sûr pour quelques-uns, mais pour les autres ?

Il faut avoir beaucoup d’ambition pour les enfants scolarisés dans les réseaux de l’éducation prioritaire, pas moins que pour les autres, mais il importe de prendre la mesure de leurs besoins. Comme le dit Martin Hirsch dans un de ses livres, « au possible nous sommes tenus ».

 

Sur le site OZP

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