Voir à gauche les mots-clés liés à cet article
Opinion
Pourquoi les hommes politiques ne défendent pas davantage l’école publique
Philippe Watrelot
Ancien enseignant, auteur de "Je suis un pédagogiste" (ESF-Sciences Humaines, 2021).
Alternatives économiques,
Les ministres se succèdent et la « bienveillance » à l’égard de l’enseignement privé se manifeste à chaque nomination. Rappelons-nous des débuts tonitruants d’Amélie Oudéa-Castera, dénigrant l’école publique dès sa première interview.
Récemment, le ministre délégué à la Réussite scolaire, Alexandre Portier – par ailleurs défenseur affirmé de l’enseignement privé – était interpellé sur un plateau de télévision sur les supposés avantages de celui-ci par rapport au public. Il a réagi en demandant qu’on arrête l’« école [publique] bashing ». Mais le mal est fait et l’on peut se demander pourquoi les hommes et femmes politiques qui se succèdent aiment et soutiennent si peu l’école publique.
Se poser la question, c’est aussi s’interroger sur la pusillanimité de la classe politique à l’égard du privé. Il y a bien sûr la peur de rallumer la guerre scolaire, mais au-delà, il y a aussi des raisons qui tiennent à la sociologie de ces personnes et à leur idéologie.
Un système hors de contrôle ?
« Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour », disait le poète Pierre Reverdy. Quelles sont les preuves de ce désamour à l’égard du public ?
Un rapport parlementaire sur le financement public de l’enseignement privé sous contrat, publié le 2 avril 2024, s’interrogeait sur l’existence d’un « système hors de contrôle ». Les auteurs remarquaient qu’à la « parité de financement » entre enseignements public et privé « correspond de moins en moins la parité des obligations ». Une proposition de loi faite par deux sénatrices visant à renforcer le contrôle (et la mixité sociale) dans l’enseignement privé a d’ailleurs été récemment rejetée.
Mais on peut aller plus loin sur le constat de l’inégalité. Une enquête de Franceinfo, en septembre dernier, montrait que les lycées privés disposent de meilleures conditions d’enseignement. Les journalistes avaient eu accès à des données internes au ministère : l’ensemble des dotations par élève des collèges et lycées de France, publics et privés (la fameuse DHG).
Leurs calculs révèlent que le rapport H/E (heures/élèves) moyen des lycées généraux et technologiques est plus élevé dans le privé sous contrat que dans le public. Et ce n’est pas seulement le cas à Paris (comme l’avaient déjà montré d’autres enquêtes), mais dans 19 des 24 académies de l’Hexagone.
Ce désavantage n’est pas ponctuel : il s’inscrit dans la durée. Les sociologues Stéphane Bonnéry et Pierre Merle publient dans la revue La Pensée de septembre 2024 le résultat de deux recherches statistiques, qui concluent à deux décennies de politiques publiques ayant favorisé l’école privée et son embourgeoisement.
Dans son étude, Stéphane Bonnéry montre que le privé a instrumentalisé la pression démographique et la crise économique pour faire pencher la balance en sa faveur. Pierre Merle complète cette analyse en montrant que c’est l’embourgeoisement et l’homogénéisation sociale qui contribuent à dégrader les performances scolaires, notamment dans les enquêtes internationales (Pisa).
Le privé prospère donc sur les (supposées) lacunes du public. Mais ces défauts sont favorisés et entretenus par la politique menée. Ils sont donc plus une conséquence qu’une cause de la préférence pour le privé.
Une meilleure qualité de l’enseignement dans le privé ? [...]