> V- ACTEURS (la plupart en EP) > Enseignants : Identité > Enseignants : Identité (Presse) > La 4ème et dernière chronique de Louise Tourret, journaliste et (...)

Voir à gauche les mots-clés liés à cet article

La 4ème et dernière chronique de Louise Tourret, journaliste et productrice radio, sur son expérience de prof contractuelle en collège ZEP : "J’ai compris pourquoi le métier de prof est un sacerdoce"

9 septembre 2015

Poussée par un ami principal de collège, notre journaliste éducation s’est jetée à l’eau en enseignant le français au collège pendant quelques mois. Récit.

Journaliste éducation et productrice d’une émission sur France Culture, « Rue des écoles », depuis 2009, je pensais bien connaître l’école. L’année dernière, un vieil ami, principal adjoint de collège, m’a mise au défi de venir y voir de plus près. De vraiment plus près, en enseignant moi-même. Rien de plus simple en fait, l’Éducation nationale manque terriblement de professeurs : si vous êtes titulaire d’un master, il suffit d’envoyer un CV et une lettre de motivation sur le site du rectorat choisi pour devenir enseignant. Fin décembre 2014, j’ai sauté le pas.

[...] J’ai exercé plusieurs professions dans ma vie mais rien, dans toute mon existence, n’aura été plus simple que de devenir enseignante. Rien n’aura été aussi peu anticipé par mon employeur.

[...] J -1 : la nuit je rêve que je me fais « bordéliser », terme qui signifie se faire totalement déborder par des élèves agités et hostiles. On ne m’a donné aucun conseil pour la tenue de classe, l’autorité. Je vais me retrouver seule, toute seule devant mes classes, j’espère que les gamins vont être sympas, et qu’ils vont m’écouter.

Extrait de slate.fr du 25.08.15 : Devenir prof ? Rien de plus simple (c’est après que ça se complique)

 

Mixité sociale

Le premier jour, une classe de 3e, chacun à sa place. Je les regarde.

Mes connaissances théoriques sur la reproduction sociale à l’école s’effacent tout de suite devant les individualités, peut-être parce que l’enseignante que je remplace a pris la peine de me parler des élèves un par un et que l’équipe pédagogique du collège les connaît particulièrement bien. Je sais qui vit dans un logement exigu, qui a des problèmes familiaux, qui est arrivé récemment en France.

Certains élèves sortent de classe d’accueil et n’ont pas forcément un bon niveau de français, les mêmes peuvent être brillants en sciences. D’autres, qui ont toujours été scolarisés dans l’école de la République, ne sont pas plus à l’aise en français et c’est plutôt cela qui m’inquiète.

Ce sont des gamins de toutes origines. Un seul « blanc ». Les blancs, dans mon établissement, sont du côté de ceux qui enseignent. Et l’origine des élèves de ma classe, ou du collège, ne reflète pas celle de la population du quartier ; cela suggère que les familles blanches qui le peuvent choisissent le privé (où, soit dit en passant, il y a encore plus d’enseignants contractuels que dans le public) ou de contourner la carte scolaire. La ségrégation scolaire, une réalité française indubitable et parfaitement documentée, devient mon quotidien treize heures pas semaine. Pour les élèves, c’est toute leur vie. [...]

Extrait de slate.fr du 02.09.15 : La difficulté scolaire n’est pas une maladie contagieuse

 

Le système (scolaire) est plus fort que notre intérêt pour les élèves

Enseigner au collège, c’est aussi, au-delà de la relation pédagogique, s’intéresser à ce que les élèves pensent, vivent, ce qu’ils ressentent et ce à quoi leur futur pourrait ressembler. La distance entre le contenu des cours (ce qui est enseigné) et la réalité de nos existences peut s’enjamber avec agilité et plaisir. Mais parfois le fossé semble infranchissable.

[...] Ce qui m’aura le plus causé de chagrin, c’est de savoir qu’un de mes élèves est entré dans une très violente colère après s’être fait traiter de… « pauvre ». Et beaucoup de mes élèves sont pauvres. Là où j’enseigne, entre 35 et 50% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Et malgré les connaissances que nous avons de leurs situations personnelles, nous n’avons qu’une idée très floue des difficultés qui sont les leurs. Je n’ai pas attendu d’être enseignante pour fréquenter les écoles des quartiers populaires (en tant qu’élève, étudiante, journaliste) mais là, sur mon estrade, j’ai eu l’impression d’être une bourgeoise-vieille-réac.

[...] L’idée de choix des gamins est une illusion : les bonnes moyennes vont vers les bons lycées, les passables vers les établissements qui ont de moins bonnes réputations, les moins bons en pro. Vue de mon collège, l’idée de l’égale dignité des filières (générale et professionnelle), un vieux serpent de mer éducatif et politique, fait franchement sourire… et surtout pleurer. [...]

Extrait de slate.fr du 04.09.15 : Le système (scolaire) est plus fort que notre intérêt pour les élèves

 

[...] Dans la salle des profs
La réforme du collège creuse un étonnant fossé entre un sujet qui fait la une des journaux et qui n’occupe pas du tout les conversations dans la salle des profs. Une relative indifférence que je comprends comme un effacement sous la masse des préoccupations quotidiennes des enseignants de l’éducation prioritairee. Mise à part la question du latin, qui chagrine l’enseignante de lettres classiques, beaucoup de profs avec qui je discute semblent plutôt motivés par la nouvelle organisation du travail proposée. Quel contraste avec les débats publics et le discours des intellectuels dans les médias !

[...] J’ai surtout vu des professionnels sérieux, des âmes généreuses et des gens sympathiques. Je partageais ce point de vue avec un collègue lors de notre déjeuner de fin d’année. Ses vingt-cinq ans de carrière lui faisaient voir les choses autrement. Il m’a confié que quand il était arrivé au collège, les salles de profs étaient beaucoup plus animées. Les gens débattaient, se contredisaient. Le verbe était plus haut ! Pourquoi ? Parce que les enseignants étaient plus politisés. Mobilisés aussi. Avant, selon lui toujours, certains enseignants choisissaient parce qu’ils étaient des militants. Des militants de la cause éducation. Ces voix se sont faites rares aujourd’hui

Extrait de slate.fr du 07.09.15 : J’ai compris pourquoi le métier de prof est un sacerdoce

Répondre à cet article