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Le système Blanquer, analyse d’un discours sur l’école et la société, par Luc Cédelle, Edit. de l’Aube, 17 février 2022 (Le Café, ToutEduc)

14 février 2022

Additif du 04.03.22

Luc Cédelle : Le système Blanquer
JM Blanquer peut-il séduire un journaliste ? A coup sur oui. Car Luc Cédelle, journaliste au Monde, publie un ouvrage (Le système Blanquer, L’Aube éditeur) qui se perd dans la complexité du personnage. De causeries au coin du feu avec le ministre à l’analyse de ses déclarations médiatiques, Luc Cédelle dévoile par petites touches un JM Blanquer plus nuancé que ce que montre son action publique. La lecture du phénomène Blanquer est à la fois très intime et très surplombante, organisée sur l’opposition entre "pédagogistes" et républicains". Ce qui manque à cet ouvrage très bien écrit et très documenté, c’est l’action du ministre telle que l’ont vécu , ou subie, les enseignants. Fasciné par l’homme, qui est effectivement une personnalité, l’action concrète du ministre passe au second plan. Le "système Blanquer" c’est son système de pensée, ses réseaux mais finalement pas son action politique, comme si le million d’enseignants et de personnels de l’Education nationale n’étaient pas les mieux placés pour parler du système Blanquer. Luc Cédelle revient sur son livre dans cet entretien.

Un des apports importants du livre c’est la fabrique du Blanquer. On a connu le Dgesco gauche, mal fagoté, très peu médiatique et on se retrouve avec le champion des médias capable de répliques fulgurantes et efficaces. Comment la chenille est elle devenue papillon ?

Elle a été papillon assez vite. A 20 ans il était la préfiguration du JM Blanquer d’aujourd’hui. Il était l’inspirateur et le créateur d’une association pour la commémoration de la déclaration des droits de l’Homme de 1789 avec ses amis R Senghor et F Barouin avec le parrainage de Michel Baroin, une personnalité de la franc maçonnerie et un grand patron qui a été un père spirituel et un modèle pour JM BLanquer. Le jeune BLanquer était déjà capable de réunir autour de lui des groupes de jeunes intéressés par le débat politique.

Ce qui m’a intéressé c’est comment ce jeune homme passionné par la défense des droits de l’homme qui réfléchissait de manière très novatrice sur les enjeux du futur, a tout laché et pris des chemins de traverse. C’est quelqu’un qui aurait pu passer le concours de l’ENA et faire une carrière de haut fonctionnaire. Et il est parti en Colombie et il est devenu un universitaire reconnu sur l’Amérique latine. Il était réellement motivé par la recherche de la justice sociale et le combat pour les droits de l’Homme. Et finalement il fait partie d’un gouvernement que le jeune Blanquer n’aurait pas soutenu. Comment vit-il ces contradictions entre le jeune Blanquer et le ministre ?

J’ai été surpris par la complexité du personnage. J’avais lu ses livres que je trouvais simplistes. Et j’étendais ce jugement à leur auteur. Or en fait l’auteur est compliqué. Cela m’a intéressé d’aller au delà du personnage apparent qui exaspère le corps enseignant. Je connais plein de gens qui auraient préféré que je le taille en pièces. Mais cela ne m’intéresse pas.

Du coup, vous vous intéressez à l’homme. Mais son action vous la jugez comment ?

Je n’ai pas écrit un livre sur le bilan de JM Blanquer. Je ne suis plus journaliste éducation et donc je ne suis pas en position de suivre les dossiers au jour le jour. Ce qui a m’a motivé c’est de chercher les ressorts du succès incroyable qu’il a eu jusqu’à l’épreuve finale où il s’est effondré. J’ai constaté son immunité médiatique. Et cela m’a fasciné. Je me suis demandé à quoi cela tenait. C’est cette question que j’ai creusée.

JM Blanquer jouit bien de ce que vous nommez "une immunité médiatique". Comment l’expliquez vous ?

D’abord par son choix, très calculateur, de s’inscrire dans la condamnation du "pédagogisme". C’est un choix qui ne peut pas être très sincère car il connait trop bien le système éducatif pour y croire. Mais il a senti que ce serait rentable et très protecteur sur le plan politique. Et cela s’est vérifié.

Dans ses interviews il n’a jamais insisté sur le pédagogisme. C’est la part du système médiatique qui lui était acquise qui a démultiplié la chose. Alors que ses prédécesseurs étaient associés à une identité partisane, il a bénéficié d’emblée de l’appui des trois quarts de l’arc politique français. Il était soutenu par la droite avec enthousiasme, par l’extrême droite et aussi pr une partie de la gauche où le discours contre le "pédagogisme" est très présent, par exemple chez les Insoumis. Il s’est inscrit dans ce courant et a donné des signes de connivence avec des marqueurs à droite comme les fondamentaux, la syllabique, le redoublement, l’uniforme. Cela a eu un effet puissant d’autant qu’il avait une crédibilité et une légitimité par rapport à l’institution Education nationale.

Parlons de cette légitimité. En principe un ministre rencontre de la résistance de l’administration. C’est le jeu normal. JM Blanquer en a rencontré très peu. Peut on dire que son projet est partagé par la technostructure de l’Education nationale et qu’il s’agit d’une déclinaison du nouveau management public ?

Sur ce dernier point je ne sais pas. Mais je montre dans le livre comment en 2017 l’administration met en place les dédoublements à larentrée 2017 alors que tout le monde disait que ce n’était pas possible. Cela voulait dire qu’il avait des relais dans l’administration et qu’il choisissait bien ses collaborateurs. Si l’administration l’a suivi c’est qu’il avait son équipe. Il y avait déjà un réseau Blanquer dans l’administration. Une autre explication c’est que la structure Education nationale était dans la perplexité. JM BLanquer avait l’air de savoir ce qu’il voulait faire et inspirait confiance.

Sur le pédagogisme on peut dire qu’il a banalisé le mot au ministère. Pourtant vous pensez qu’il ne va pas si loi en ce domaine ?

Je vois qu’il multiplie les exceptions. S’il était entier comme un idéologue il serait dans une logique d’éradication. Certes il a fait de R. Goigoux une victime ce qui est injustifiable. Egalement Meirieu. Mais c’est une tête d’affiche pour les anti" pédagogisme". Quand on regarde plus près on voit qu’il connait des "pédagogistes". Il a soutenu les micro lycées. Il soutient Antibi. Il a créé les journées de l’innovation.

A la fin du livre, pour faire un bilan, vous interrogez les anciens directeurs de cabinet de Luc Ferry et de Vincent Peillon et un homme politique de droite. IL ne manque pas quelque chose ? D’après vous quel bilan les enseignants font ils des années Blanquer ?

Bien sur que ça manque dans le livre. Mais je me suis arrêté juste avant que le système Blanquer s’effondre comme un chateau de cartes en janvier dernier. Il est en mauvaise posture. Mais il n’est pas politiquement mort.

Que restera t-il de durable de l’œuvre de JM Blanquer ?

La préparation qu’il aura faite de l’action du prochain ministre. Pour le moment il n’a rien fait d’irréversible. Il a commencé un chantier qui n’est pas terminé. Mais il n’y a pas d’alternative à gauche. Il y a plutot la perspective d’un approfondissement des projets de droite pour l’Ecole pour le prochain quinquennat. La crise de janvier montre que les enseignants sont dans un état d’exaspération et de lassitude incroyables. Je ne vois pas qui après les présidentielles aurait la légitimité de bousculer de manière décisive le système éducatif.

Propos recueillis par François Jarraud

Extrait de cafepedagogique.net du 04.03.22

 

Jean-Michel Blanquer, un authentique intellectuel, au risque de la mégalomanie (ouvrage)
"Jusqu’où se poursuivra ce que Jean-Michel Blanquer a commencé à faire dans l’Education nationale ?" se demande Luc Cédelle. Le journaliste, fin connaisseur du système scolaire, souligne qu’au vu de l’absence de perspective d’alternance "à court terme", "tout ce qui est fait aujourd’hui n’est pas voué à être défait" et le ministre, "sûr de ne pas être désavoué par le prochain, peut tout se permettre. Y compris de se confondre soi-même avec la République".
C’est ainsi qu’il conclut le portrait, à la fois psychologique et idéologique, d’un homme "complexe", difficile à déchiffrer. Retraçant son parcours, il décrit un intellectuel qui puise à bien des sources et assume ses contradictions, mais aussi un responsable politique dont les erreurs "n’impriment pas", à qui les réussites sont "attribuées d’avance" et qui a bénéficié, au moins jusqu’à l’automne 2020, d’une forme d’"immunité" face à l’opinion publique, d’une "magie protectrice". Il apparaissait comme un "ministre d’excellence".

L’itinéraire de Jean-Michel Blanquer commence en 1985, quand avec deux amis étudiants comme lui à Sciences po, François Baroin et Richard Senghor, il crée une association pour réécrire la déclaration des droits de l’Homme. Il apparaît comme un humaniste, soucieux de faire de ces droits "rien moins que le principe organisateur de toute la planète sur le plan politique". Plus tard, sa thèse en droit public, consacrée aux "méthodes du juge constitutionnel", témoigne de sa prédilection pour "l’accumulation de changements imperceptibles ou d’apparence mineure" mise au service "d’une stratégie de changement radical".

Il bénéficie d’une conjoncture favorable, quand il arrive au ministère, il apparaît comme "la personnalité capable d’inverser les manettes" alors que court "la rumeur d’un déclin éducatif français". Il s’inscrit "dans la condamnation du ’pédagogisme’, ce qui s’est avéré d’une puissante rentabilité en matière d’opinion publique et d’alliances politiques", tout comme ses propos en faveur du retour du b.a.-ba, des leçons de grammaire, des tables de multiplication, des redoublements..., ce qui ne l’empêche pas de soutenir les pédagogues des micro-lycées ou le combat d’André Antibi contre "la constante macabre". "Ces contradictions - celles d’un discours conservateur qui ne se soucie d’aucune rigueur, mais aussi celles du personnage Blanquer, se voulant libre de tout préjugé et soutenant ce que ses soutiens rejettent -, sont difficiles à suivre sans une sensation de tournis." Il est toutefois aidé par "sa déstabilisante sincérité", et par la difficulté qu’ont les observateurs à le situer politiquement, même s’il aurait sans-doute pu être le ministre de l’Education nationale de François Fillon, si celui-ci avait remporté la présidentielle.

Et Luc Cédelle, peu suspect de la moindre complaisance à l’égard de l’islamisme, semble regretter que le ministre ait renoncé à être inclassable lorsqu’il a dénoncé l’islamo-gauchisme, au risque de favoriser "une situation de maccarthysme rampant". Et il constate le net affaiblissement de la position du ministre. Certes il a réussi à imposer un certain nombre de réformes, celle du bac notamment, jusque là considéré comme irréformable, il a "imposé ses vues sur la manière d’enseigner les fondamentaux", mais à quel prix ? Au sein de l’institution, "l’état de malaise est considérable, le découragement profond (...). Il a perdu la confiance." Alain Boissinot, un ancien recteur, met à son actif "son engagement, sa volonté, son intelligence" mais à son passif "son côté bonapartiste, ses passages en force, sa façon de vouloir imposer ses vérités. Et bien sûr, ses positions clivantes hors éducation..." Après les enseignants, c’est l’opinion publique qui pourrait bien décrocher face à la conception clivante de la République qu’il a choisi d’incarner.

"Le système Blanquer, analyse d’un discours sur l’école et la société", Luc Cédelle, éditions de l’Aube, 327 p., 24€

Extrait de touteduc.fr du 08.02.22

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