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Profs de ZEP, eux-mêmes anciens élèves de ZEP (Le Parisien)

10 novembre 2004

Extrait du « Parisien » du 09.11.04 : profs de ZEP anciens élèves de ZEP

Profs issus des cités : ça change tout : la population des profs va se rajeunir en grande partie dans les dix prochaines années. Parmi ces nouveaux venus, de nombreux enseignants issus de l’immigration. Motivés, fiers de leur réussite, ils veulent booster celle de leurs élèves.

Khadija, professeur d’espagnol, vient de reprendre ses cours après ses premières vacances de titulaire. Nommée dans un lycée réputé difficile du Val-de-Marne, la jeune femme de 26 ans fait partie de ces nouveaux profs que François Fillon, le ministre de l’Education, a rencontrés la semaine dernière, dans le cadre de ses déplacements et déjeuners pour élaborer sa nouvelle loi pour l’école dont la première ébauche sera dévoilée le 18 novembre. Mais parmi ces milliers de jeunes enseignants qui d’ici dix ans auront remplacé 50 % du corps actuel, elle incarne une toute nouvelle génération, celle issue des cités et des familles immigrées.

« Alors que pendant mes études et mes stages, on ne m’a jamais parlé de mon origine ici, très vite, dès mon deuxième cours, mes élèves m’ont questionnée, ils voulaient absolument savoir si j’étais arabe, raconte la certifiée. J’ai été obligée de répondre mais je ne sais pas si cela change leur comportement, ils m’ont juste paru contents, presque flattés. » Toutefois, comme la majorité de ces nouvelles troupes enseignantes, Khadija hésite à témoigner. « Cela me gêne, en quoi suis-je différente parce que j’ai grandi en banlieue, née de parents tunisiens ? De toute façon, depuis que j’ai donné une réponse à mes élèves, je n’ai plus jamais abordé cette question avec eux, ni avec mes collègues d’ailleurs. » « Cette attitude ne m’étonne pas, c’est encore tabou de parler de l’émergence de ce groupe, explique Patrick Rayou, sociologue qui vient de publier une « Enquête sur les nouveaux enseignants » (Bayard).

Ces fils et filles des cités existent et c’est très probablement un plus pour les élèves qui vont les côtoyer ». Aucune étude du ministère de l’Education nationale ne traite du sujet. Rue de Grenelle, on évoque l’impossibilité de sonder des professeurs en fonction de leur appartenance ethnique ou religieuse. Pour la première fois, Jean-Louis Auduc, directeur adjoint de l’IUFM (institut universitaire de formation des maîtres) de Créteil, a choisi de braver l’interdit. Résultat de son enquête : près de 20 % des futurs profs dans l’académie de Créteil ou de Lille, dans une moindre mesure à Versailles ou à Aix-Marseille, sont issus de l’immigration et ont suivi leur scolarité en ZEP (zone d’éducation prioritaire). Et leur nombre, insignifiant il y a dix ans, augmente. Leurs principales caractéristiques : un papa ouvrier, une maman sans profession, une fratrie importante, des conditions difficiles de logement mais une réussite scolaire rapide, une réelle motivation à l’égard du métier, les relations parents-enseignants vécues comme l’enjeu majeur de l’école, et une forte conscience concernant leur statut spécifique. C’est-à-dire ? « Même s’ils s’interrogent sur un risque de ghettoïsation, en redoutant que les enseignants ayant fait leurs études en ZEP se retrouvent systématiquement dans ces établissements, ils ont une vision assez claire de ce qu’ils peuvent apporter aux élèves, compte tenu de leur cursus », note Jean-Louis Auduc.

« L’autorité nécessaire peut se révéler impossible en cas de trop grande proximité »

Et de citer les propos de Kheira, symbole de ces nouveaux « hussards » de la République : « Je veux enseigner en ZEP parce que les élèves ne sont pas plus terribles qu’ailleurs, il y a trop de préjugés sur les cités alors que je sais, parce que j’y ai vécu, qu’il y a des choses belles qui s’y passent. Au fond, je veux y mettre un peu de lumière. » Comme la majorité des nouveaux venus dans la profession, ils sont affectés au départ dans ces établissements plutôt « chauds » là où ils ont justement vécu et étudié. « C’est un atout face à nos classes colorées, mais l’autorité nécessaire peut se révéler impossible en cas de trop grande proximité », tempère Bruno Descroix, 33 ans, auteur de « Demain, les profs » (Editions Bourin, 19 €) et qui enseigne à Bobigny (Seine-Saint-Denis). Qu’une nouvelle génération de professeurs issus des banlieues, des lycées ZEP émerge est fondamental, il ne faut en aucun cas qu’elle aboutisse à une ségrégation encore plus forte entre les gamins. »

Laurence Le Fur.

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