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Bilan de l’expérimentation du cartable électronique au collège REP Racine de Saint Brieux (Le Café pédagogique)

2004

Extrait du « Café pédagogique » du 26.06.04 : cartable électronique en ZEP

En février 2003, le collège Racine, ZEP de la préfecture des Côtes d’Armor, fut désigné corps expéditionnaire pour affronter des difficultés jamais rencontrées, pour explorer et débroussailler une terre inconnue et peu explorée dans notre département : le cartable électronique. De l’incrédulité à la réalité, en passant par l’utopie, la colère, le découragement, l’emballement et l’excitation, après être passé par toutes les émotions, nous voilà arrivés au terme de cette première année, en vraie grandeur, d’expérimentation de l’ordinateur portable.
Des ordinateurs portables pour 142 élèves de 6ème et une trentaine de profs, six salles équipées de vidéo-projecteur et tableau numérique, un réseau wi-fi. Tout au long de ces seize mois, nous avons été confrontés à des situations nouvelles, attendues ou imprévisibles, espérées ou craintes, techniques, administratives, pédagogiques, humaines.. Nous avons tenté de trouver des réponses appropriées, des aménagements permettant de résoudre de simples questions bêtement matérielles et des évolutions pour remplir au mieux les missions éducatives qui sont confiées au collège. Certains nous ont soutenus et accompagné avec persistance, d’autres observaient de loin avec attentisme et méfiance avant de savoir s’il fallait emboîter le pas, quelques rares continuent d’ignorer quand ce n’est pas de mettre des bâtons dans les roues.
Au moment où se prépare la nouvelle année, des bilans sont dressés, des bilans institutionnels, financiers, politiques, c’est nécessaire, c’est indispensable. Gardons-nous pourtant des jugements définitifs et tranchés, la poursuite en septembre 2004, avec cette deuxième année, s’installer dans le quotidien, travailler dans la sérénité est peut être plus importante.

L’ordinateur atténue les disparités sociales entre élèves.
Certains esprits chagrins nous menacent toujours des pires châtiments : ils (les élèves) ne sauront plus ni lire, ni écrire, dessiner, compter. Ils n’auront plus le goût de l’effort ni du travail scolaire. C’est la prime et l’encouragement à la facilité, au moindre effort. Car c’est bien connu, les résultats actuels sont indiscutables, et il n’y faut surtout rien changer !

Rassurons les sceptiques, les enfants qui réussissaient n’en seront pas pénalisés, quant aux autres, pourquoi se priver d’un outil supplémentaire, même s’il ne sera pas, c’est évident, la panacée et l’arme suprême. Les cahiers de mes élèves cette année n’ont pas souffert de cet usage renforcé de l’ordinateur. J’ai même, en parallèle, plus utilisé le livre que les années passées. J’affirme même que, pour beaucoup, la durée « d’éveil » sur les notions abordées est sans commune mesure quand l’ordinateur sollicite sans cesse l’attention et le clic tandis que le livre peut laisser vagabonder l’esprit !

Notre ambition d’un collège unique, apportant une culture commune à tous les élèves en fin de 3ème, est une exigence pour aller vers une société plus solidaire. Diversifier les pratiques pour mener plus d’élèves à la réussite, qui, et pour quelles raisons, aurait à craindre de ce risque là ? Pourquoi le cartable électronique serait-il pour des élèves un outil déclenchant essentiel à la réussite de cet objectif ?

Personne ne discute plus de la part prise par les systèmes informatiques et automatisés dans notre société moderne. Que ce soit en matière économique, technique, sociale, culturelle, d’information et de communication, la maîtrise et l’utilisation de ces outils sont devenus indispensables et déterminants. Tout doit être fait, et la formation initiale a cette responsabilité, pour que personne ne reste sur le bord de la route, pour que le maintien à l’écart et cette confiscation d’une technologie ne ferme, dès le départ, des portes au plus défavorisés. Le cartable électronique est facteur d’égalité, de découverte, d’approfondissement. Il permet de lever des obstacles et des blocages, « je ne peux pas progresser parce que j’ai pas d’ordinateur ! » Combien de fois ai-je entendu cette excuse dans d’autres classes. Cet argument a disparu. La première inégalité est donc celle de l’accessibilité et la disponibilité de cet outil. Sans parler de la fraction d’élèves qui ne disposent pas à la maison d’un ordinateur, il faut bien dire qu’avec la meilleure volonté et une planification même très rigoureuse, les salles multimédia des établissements ne permettront que des visites espacées et une utilisation exceptionnelle de l’outil. Sans oublier des classes dont les enseignants continueront d’ignorer ce matériel. Cette année, non seulement mes élèves ne travaillaient pas à 2 ou 3 sur un poste (ou à 1/3 temps seul), mais de plus, souvent ils demandaient à pouvoir emmener l’ordinateur en permanence pour terminer le travail !

La capacité de cet outil à accompagner l’enseignant et à soutenir l’élève dans l’acquisition des compétences, la construction des savoirs et des connaissances est réelle. Plus de rigueur, plus de méthode, plus de précision sont nécessaires pour aboutir au résultat demandé ou espéré. L’ordinateur est inflexible, et miracle, la sanction et la nécessité de refaire est acceptée plus facilement (inconsciemment) par l’élève. C’est que cet outil, sans broncher, accepte le droit à l’erreur, la possibilité de recommencer et de repartir à zéro plus facilement et plus discrètement que le prof le plus « compréhensif » ! Cette possibilité de simulation, de verdict immédiat et de reprendre son travail, est sans aucun doute un avantage énorme, quand, même s’il est très rapide, un enseignant ne s’occupe que d’un élève à la fois !

Venons en à la lecture, à l’écriture, au vocabulaire, aux apports divers, à la culture. L’ordinateur, auquel ceux dont on plaint « l’inculture ou le manque de pratique » n’ont probablement pas eu accès, serait un facteur aggravant. Au travers d’une multitude d’exercices (QCM et autres formules diverses) ils ont, plus qu’avant, accès à des notions et des informations nouvelles. Sous des formes attractives (pourquoi gâcher son plaisir) les exercices sont faits, et refaits avec un esprit de réussite et de progrès souvent surprenant. Et même la plupart des jeux, pour les avoir observés par-dessus l’épaule de mes enfants, apportent des connaissances nouvelles, surprenantes et exactes (Versailles, l’Égypte.). En classe le gain de temps est fantastique, l’exercice est refait trois fois avant que le professeur n’ait eu le temps de parcourir la moitié d’une rangée !

Cela donne la possibilité pour certains d’aller plus loin, pendant que j’aide ceux qui sont en panne pour atteindre le minimum attendu. La différenciation en est renforcée. L’entraide entre élèves se développe et des solidarités se manifestent. Dans les phases d’apport, j’ai la possibilité plus facile de m’appuyer sur le travail, les réussites ou les erreurs d’un élève, en utilisant ces moyens modernes de projection (vidéo-projecteur et tableau numérique) pour expliquer à la classe et visualiser les corrections et les apports théoriques. Les élèves apprennent à partager leurs difficultés et leurs réussites.

Le travail individuel est renforcé dans beaucoup de matières qui, par nécessité ou par obligation, font appel à l’informatique (Technologie, expérimentations, Histoire Géographie.). Tout ce que je faisais auparavant avec les élèves agglutinés devant l’écran ou en rond autour d’une TV, tout ce qui fait appel au monde extérieur, tous les montages audio-visuels interactifs sont utilisés au mieux de leurs possibilités. Même l’autonomie des élèves dans la gestion d’une liste de tâches est accrue.

Enfin, cela peut paraître anecdotique et futile, mais même le correcteur orthographique, inlassable et obstiné quoique imparfait (voir ce texte !) et l’usage de la souris, apportent un plus. Dextérité, coordination main / œil, latéralisation, précision, orthographe et grammaire. sont ainsi travaillés régulièrement et subrepticement ! J’en viens même à glisser des pièges dans les textes de travail pour aiguiser leur attention. L’ordinateur permet donc d’infléchir des pratiques qui s’appuient sur une culture dominante (celle de l’écrit) et favorisent les élites en place, il fait sauter des verrous discriminatoires, c’est une véritable révolution !

L’ordinateur est un outil de médiation entre professionnels, d’évolution du métier. Ce matériel est une bénédiction (provocation gratuite ! ) pour faire évoluer les pratiques et transformer le métier d’enseignant. Le temps des seuls cours magistraux, où des spécialistes dévidaient les mêmes litanies tout au long d’une carrière est fini. Les logiques disciplinaires, l’emploi du temps saucissonné et immuable pour toute l’année, l’exercice individuel et libéral de ce métier doivent être remis en cause. Le cartable électronique peut y contribuer. Que ces évolutions inquiètent et troublent, c’est normal, le changement est toujours porteur de craintes.
Les premiers mois de cette expérimentation ont entraîné une explosion du travail collectif et en équipe. Déculpabilisés devant cet outil, cette humilité retrouvée s’est vite transportée sur le terrain pédagogique et humain. Les échanges se sont multipliés, les portes des salles de classe restent souvent ouvertes. Cet exercice collectif du métier est un bon remède contre les souffrances individuelles, contre ce sentiment d’isolement face à des situations délicates. Ce travail en équipe engagé au travers du cartable permet d’affronter, de partager ses incertitudes et mieux répondre à ses angoisses. On commence par mutualiser des problèmes techniques puis doucement on échange des outils pédagogiques avant de glisser vers les questions humaines et scolaires. C’est gagné.
Certains collègues franchement hostiles en septembre s’y sont mis petit à petit. Ainsi en Français, sans révolutionner l’enseignement, l’apport de l’informatique permet une nouvelle approche. Cela ne supprime pas les brouillons, mais la production finale, imprimée et parfois illustrée est un appeau non négligeable pour faire rédiger (je n’ai pas dit seulement écrire) les élèves. L’écriture devra être abordée à d’autres moments !
La correction (pré-correction) immédiate et l’instantanéité de l’évaluation, pour certains types d’exercices permettent de gagner du temps et de l’efficacité, de la crédibilité (pour l’élève aussi !).

Cet outil a été générateur d’une plus grande ouverture sur l’extérieur. Il facilite les contacts et l’utilisation de matériels et de ressources d’origines diverses (sites académiques, institutionnels ou de collègues, journaux et sites étrangers.) dont l’usage était auparavant exceptionnel (quand un créneau miraculeusement se découvrait en salle multimédia) pour le plus grand profit des élèves. Certains collègues, qui depuis des années n’ont suivi aucune formation, ont ainsi réussi à approcher de nouvelles pratiques. Des compétences et des motivations nouvelles se sont révélées, ignorées ou inutilisées, des matières marginalisées (mais les Itinéraires De Découvertes sont aussi à l’origine de ce mouvement) ont émergé, (re)mettant en valeur des personnels et des élèves. C’est un paradoxe, mais la machine a aussi remis l’humain au centre des préoccupations.

L’établissement aussi dans son ensemble est touché par l’irruption de cet outil. Autour d’une vague demande perçue comme une blague il y a 16 mois, s’est constitué un véritable laboratoire d’idées et de relations. Quels bouleversements ! Des initiatives ont ainsi, dans la quasi-ferveur d’un bouillonnement, pu être imaginées et menées sans le souci du qu’en dira-t-on !

De l’occupation des locaux, à la gestion des agendas et des réunions qui se succédaient, des contingences commerciales aux innovations techniques (ne faudrait-il pas déposer des brevets ?), personne, de la direction aux agents de service, n’est resté en dehors de l’événement. Comment oublier ces instants privilégiés d’échanges, quand, en quelques jours, de l’énoncé d’une difficulté technique rencontrée par les utilisateurs et de l’ingéniosité des agents du collège sont conçues et fabriquées des installations qui répondent au besoin ! Cette expérimentation a prouvé qu’un établissement public et une collectivité locale, même dans des circonstances inconnues, sont capables de travailler et monter un projet, de mettre en synergie des moyens humains et financiers. Qui aurait cru qu’à peine 6 mois après le lancement de l’idée, un collège public et le Conseil Général, dont on gausse souvent l’immobilisme et la lenteur, pourraient dès la rentrée, doter chaque élève de 6ème d’un ordinateur et se lancer dans une expérimentation qui n’a rien d’une improvisation. La disponibilité des uns et des autres a été constante. Nous avons le sentiment d’avoir été écouté même si toutes nos demandes (parfois excessives il faut en convenir) n’ont pas été exaucées. Cette dynamique s’est engagée parce que tout un établissement était concerné, qu’un projet global servait de catalyseur, parce que le travail n’était pas confiné à quelques initiés pour le bénéfice d’un nombre limité d’élèves triés sur le volet.
Cette expérimentation a aussi permis de dépasser les a priori, les rancœurs, voire les hostilités et prouvé que l’on peut travailler avec les partenaires extérieurs (Centre Social, Maison des Jeunes..) et faire (re)venir les parents, tous les parents, dans l’école. Comment ne pas mentionner la formation préparée par la MJC et que la majorité des parents, volontairement, ont suivie. La mise à disposition de ce matériel et les efforts consentis, dont personne n’ignore le coût pour la collectivité, a probablement aussi été un facteur déclenchant pour une parcelle de confiance retrouvée. Ce sentiment d’être respecté, à l’égal de tous, de ne pas être des demi-citoyens, de croire que l’institution et le pouvoir local accordent à leurs enfants les mêmes chances de se construire un avenir, commence à réconcilier des parents avec l’école.

Au regard de cette première année ma conviction reste entière. Cet outil est une nécessité pour aider nos élèves à préparer leur avenir. L’ambition initiale, réduire la fracture numérique est raisonnable, même si les idées du départ (emmener l’ordinateur et avoir une connexion Internet à la maison) posent encore trop de difficultés techniques, matérielles et financières dans l’immédiat.
La généralisation et la banalisation de ce matériel dans les établissements sont impératives. Après cette mise en bouche, c’est avec gourmandise et une appétence renouvelée que j’aborde la rentrée de septembre 2004.

Philippe Colas.

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