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"La classe au ministère". Interview de la ministre par des collégiens du collège REP Césaire de Paris 18e pour Les Jours

15 juillet 2016

"La classe au ministère" Interview par des collégiens pour Les Jours

Le 17 juin dernier, les élèves de la 3ème B du collège Aimé Césaire de Paris interviewaient Najat Vallaud-Belkacem au ministère de l’Éducation nationale pour le journal Les Jours et le 26ème épisode de « l’obsession » du journal qui suit la classe depuis un an.
Retrouvez ici l’interview et sur le site Les Jours l’ensemble des articles « Les années collèges ».

Texte Les 3e B, avec Alice Géraud – Vidéo Alexandre Liebert.

Nina avait prévenu ses camarades : "On n’y va pas en mode jaja." Je n’ai pas réussi à savoir ce que signifiait précisément l’expression, si ce n’est, en gros, qu’il ne fallait y aller en jogging. Vendredi dernier, dix élèves de la 3e B du collège Aimé-Césaire sont allés rue de Grenelle interviewer la ministre de l’Éducation nationale. La fin de l’année scolaire approche et la fin de cette série des Jours aussi (tristesse). Durant un an, avec les 3e B, nous avons raconté leurs vies d’élèves, les conseils de classe et de discipline, parlé de l’angoisse de l’orientation scolaire, du rapport entre les filles et les garçons, de la mixité sociale compliquée… Des sujets qui sont aussi ceux de leur ministre de tutelle, Najat Vallaud-Belkacem. L’idée est alors venue d’aller l’interroger pour confronter leurs préoccupations aux siennes. La ministre était partante. Et, vendredi après-midi, pas en mode jaja donc, mais en mode baskets quand même, Delphine, Louanne, Lucie, Dialikatou, Faema, Nina, Suhimbou, Enzo, Vithuran et Rayan ont pris la ligne 12 du métro, traversé Paris du nord au sud et découvert à quoi pouvait bien ressembler un ministère. Dans leurs poches, des petits bouts de papier d’écoliers avec leurs questions griffonnées dessus.

Six filles et quatre garçons, dont deux qui n’étaient plus trop sûrs de vouloir y aller deux minutes avant de partir, avec des excuses plus ou moins bien ficelées. Finalement, on embarque toute la troupe. Antoine Labaere, leur prof principal, et Tiphaine Decormon, la conseillère d’orientation, nous accompagnent. L’affaire débute mal, la ministre va avoir "un peu de retard", prévient sa conseillère presse. Les élèves sont installés dans une salle d’attente au rez-de-chaussée mais, très vite, ne tiennent pas en place. Il y a celui qui veut aller aux toilettes (et, bien sûr, tous les autres à sa suite), ceux qui veulent "aller jouer dans la cour". Un conseiller vient dire poliment qu’il faut faire moins de bruit. Sur le mur où sont représentés tous les anciens ministres de l’Éducation nationale de la République, ils remarquent qu’il n’y a "aucune femme". Puis la première du genre arrive en s’excusant du retard et les invite dans son bureau. Le décor fait les moines, tout le monde s’assoit sagement autour de la grande table et l’interview débute.

Les élèves déroulent les questions qu’ils ont préparées ensemble quelques jours plus tôt. Sérieux mais pas vraiment impressionnés. Ils relancent la ministre quand il faut. S’ennuient poliment quand elle énumère les mesures du gouvernement, le « parcours » truc, le « droit » au machin ou la revalorisation du salaire des enseignants. S’étonnent quand elle leur explique une mesure qui les concerne directement (le droit à changer d’orientation professionnelle une fois la classe de seconde commencée) mais dont personne ne leur avait jamais parlé. Ne sont pas totalement convaincus du discours sur les bacs professionnels "formidables". Les intentions politiques sont parfois loin de leurs réalités. Une chose les intéresse : le parcours de la ministre. Comme eux, elle a été scolarisée dans un collège défavorisé (ils n’aiment pas que j’emploie ce terme, "c’est dégradant" dit Nina). Comme beaucoup d’entre eux, elle est issue d’une famille immigrée. Alors qu’ils s’apprêtent à rejoindre des lycées hors REP (réseau d’éducation prioritaire), ils sont inquiets. "Est-ce vrai que ce sera plus dur pour nous ?" Najat Vallaud-Belkacem tente de leur redonner confiance. À la fin de l’entretien, elle discutera longuement avec eux. Que veulent-ils faire plus tard ? À quoi s’intéressent-ils ? Vithuran, comme pour s’en convaincre, lui explique que ça fait quatre ans qu’il ne fait rien au collège, qu’il redouble, mais qu’il va se mettre à travailler l’an prochain. La ministre s’étonne que plusieurs élèves veuillent devenir experts-comptables. "C’est drôle." Ils demandent à aller faire des photos avec elle dans le jardin. Lui font faire un « dab », geste dont on a craint deux secondes qu’il soit vaguement cousin de la quenelle, mais non. Les 3e B ont du mal à repartir. Enzo trouve que le bureau est "vraiment très beau". Suhimbou demande s’il peut partir avec la bouteille de Coca du mini-bar. En mode un peu jaja.

Faema : La semaine prochaine, nous allons passer le brevet. Pourquoi passe-t-on encore cet examen qui ne nous sert à rien, ni pour l’orientation, ni pour le passage en seconde ?

Najat Vallaud-Belkacem : À la fin de la troisième, vous vous séparez alors que jusqu’ici, vous avez toujours été ensemble. Arrivés au lycée, certains vont prendre la voie générale, d’autres la voie professionnelle, d’autres, peut-être, ne continueront pas. La scolarité obligatoire se termine à la fin du collège et c’est bien de marquer le coup avec un diplôme commun obligatoire. C’est à cela que sert le brevet. Le brevet comme le bac ont par ailleurs l’avantage d’être des épreuves nationales, donc ils ont la même valeur que l’on soit issu d’un établissement comme le vôtre ou d’un établissement de centre-ville parisien.

Delphine : Il y a en troisième des élèves qui décrochent parce qu’ils savent qu’ils vont pouvoir arrêter l’école l’an prochain, à 16 ans. Pourquoi l’école n’est-elle pas obligatoire jusqu’à l’âge de 18 ans ?

C’est une très bonne question que je me suis posée moi aussi. Qu’est-ce qui est le plus efficace pour ne pas laisser des gens sur le bord du chemin ? Porter l’obligation de scolarité jusqu’à 18 ans ? Sachant que, pour que ceux qui décrocheront, cela ne changera rien. Ou aller chercher les gens qui ont déjà décroché, quel que soit leur âge, même au-delà de 18 ans ? Il m’a semblé que le plus utile et le plus efficace était cette deuxième option. C’est pour cela qu’on a créé un « droit au retour en formation » qui nous permet d’aller rechercher des jeunes jusqu’à l’âge de 25 ans. On leur dit : revenez, c’est à nous de nous adapter à vous et de vous rouvrir nos portes scolaires. Ce qui n’exclut pas de se reposer un jour la question d’une scolarité obligatoire jusqu’à 18 ans.

Vithuran : En troisième, soudain, on nous impose une orientation professionnelle. Pourquoi ne nous prépare-t-on pas plus tôt à cette orientation pour qu’on ait le temps d’y réfléchir et qu’on ait vraiment le choix ?

Tu as raison. C’est pour ça qu’on a introduit une réforme, le « parcours avenir », que vous ne verrez pas parce que vous êtes en fin de collège, mais grâce à laquelle les élèves entendront parler d’orientation, de mondes professionnels, de visites d’entreprises, dès la classe de sixième. Pour vous, cette réflexion-là ne se faisait qu’en troisième avec le stage professionnel et le choix d’orientation.

Suhimbou : Pourquoi les moins bons élèves sont-ils toujours orientés vers les bacs pro ? Et comment peut-on faire pour que les bacs pro soient mieux considérés ?

Très souvent, bien avant d’être ministre de l’Éducation, j’ai été amenée à discuter avec des jeunes gens de 20 ou 25 ans qui avaient décroché du système scolaire, qui étaient en difficulté, qui n’arrivaient pas à trouver de travail. Et à chaque fois revenaient la même expérience, le même récit, ils disaient : « J’ai décroché car on m’a orienté vers des études qui ne me plaisaient pas. » Et généralement, c’était vers l’enseignement professionnel. À partir du moment où les jeunes avaient eu le sentiment d’être orientés vers quelque chose qu’ils n’avaient pas choisi, forcément, cela se passait mal. Quand je suis devenue ministre de l’Éducation, j’ai eu une priorité : dire stop à l’orientation subie, notamment à l’orientation subie vers le lycée professionnel. Concrètement, à partir de l’année prochaine, les élèves qui arrivent en seconde professionnelle auront jusqu’aux vacances de la Toussaint pour changer s’ils se rendent compte que le lycée professionnel ne leur plaît pas, ou que la filière dans laquelle ils se retrouvent ne leur plaît pas. Changer soit pour revenir en enseignement général, soit pour changer de filière au sein du lycée professionnel. C’est important car c’est complètement inédit et cela n’a pas été simple à faire accepter.

Enzo : Quand vous dites qu’à partir de l’année prochaine, si les élèves ne se plaisent pas en pro, ils pourront aller en générale ou l’inverse, cela veut dire que cela nous concerne nous ?

Oui. Il ne faut pas hésiter à utiliser cette possibilité de changer d’avis à la Toussaint. Après, je le redis ici, je pense vraiment que le lycée professionnel, c’est formidable. Je ne veux pas que vous repartiez d’ici en ayant à l’esprit que c’est moins bien de faire le lycée professionnel que le lycée général. À la fin, vous êtes mieux lotis sur le marché du travail avec un bac professionnel qu’avec un bac général si vous voulez chercher directement du travail. Par ailleurs, si vous voulez continuer vos études après votre bac professionnel (ce que je vous incite à faire), vous pouvez. De plus en plus d’élèves le font. Parfois, on commence un lycée professionnel en se disant qu’on sera ouvrier. Et puis finalement, une fois qu’on a son bac en poche, on se dit qu’on va continuer et on devient ingénieur. Donc c’est aussi des histoires de réussite. Je ne fais pas de hiérarchie entre les différents bacs.

Louanne : Justement, j’ai demandé à être orientée en filière professionnelle parce que je suis passionnée de couture et que c’est le métier que je veux faire. Mais mes professeurs n’ont pas voulu parce que je suis une bonne élève. Trouvez-vous cela normal ?

Je trouve ça dommage. On ne devrait pas te dire ce genre de choses. Je pense que si tu veux faire de la couture, il faut que tu en fasses. N’abandonne pas tes vibrations spontanées. Et dis-toi que c’est toujours possible de doubler tes études d’un CAP ou de quelque chose qui te donnera cette double palette de compétences.

Nina : Certains professeurs nous disent que parce qu’on est dans un collège en REP, au lycée, on sera en retard et on aura plus de difficultés que les élèves venant de collèges plus favorisés. Est-ce vrai ?

Ils vous disent ça pour vous faire travailler [rires]. Est-ce que c’est vrai ? [Silence] Je ne connais pas exactement le niveau de votre collège, mais je crois que vous avez un taux de réussite au brevet équivalent au taux parisien donc j’ai tendance à penser que vous n’avez pas de retard particulier. En revanche, ce qui est vrai, c’est que lorsqu’on est dans un collège où il y a des difficultés sociales importantes, avec des élèves dont les parents sont dans la précarité ou au chômage, où tous les élèves qui nous entourent sont à peu près dans la même situation, on est moins sûr de soi face aux études que lorsqu’on est dans un collège du centre de Paris, et qu’on est entouré de gens qui nous répètent qu’on est l’élite de la France. Le problème, c’est une espèce de timidité sociale que l’on développe quand on est dans ces établissements en REP qui fait qu’ensuite, au contact des autres, au lycée ou dans l’enseignement supérieur, on a l’impression d’être moins à notre place que les autres. C’est un sujet contre lequel il faut se battre à tout prix. Vous n’êtes pas moins légitimes que les autres. Il faut croire en vous.

Dialikatou : Vous-même, vous avez été scolarisée dans un collège un peu comme comme le nôtre, à Amiens. Est-ce que cela a été plus dur pour vous ensuite ?

Maintenant que j’ai plus de recul, je me rends compte que quand j’avais votre âge, en éducation prioritaire, je n’avais absolument pas les infos et les codes pour réussir. Même si j’étais bonne élève. Je sais que cela agace beaucoup de gens mais c’est pour cela que tout ce que je fais en politique tourne autour de ça. Je parle d’égalité face à la réussite car je sais que quand on est dans un collège comme le vôtre, il y a des choses qu’on ne sait pas. On ne sait pas qu’on peut faire des grandes écoles à la sortie du lycée. Les classes préparatoires, personne ne vous en parle, etc. Après le lycée, j’ai fait une fac de droit, à Amiens toujours. Quand j’étais en licence, c’est par le plus grand des hasards que je suis entrée dans un CIO et que j’ai découvert sur une brochure l’existence de Science-Po Paris. Et quand je suis arrivée dans cette école, j’ai découvert que j’étais entourée de gens qui, eux, avaient en tête de préparer Science-Po depuis qu’ils avaient 15 ans.

Rayan : Pourquoi avez-vous voulu faire de la politique ? Est-ce qu’à notre âge, en troisième, vous pouviez imaginer que vous seriez ministre ?

Ah non, pas du tout ! La politique m’est venue assez tard. J’ai des parents qui n’avaient pas la nationalité française et donc ils ne votaient pas. Toute cette culture du vote, de la vie politique, je suis passée à côté toute mon enfance. La politique est arrivée par les hasards de la vie. Lorsque j’étais étudiante à Science-Po, il fallait que je travaille pour payer mes études et j’ai trouvé un travail auprès d’une députée comme assistante parlementaire. J’ai vu fonctionner le Parlement, compris comment se prenaient les décisions. J’ai pris conscience qu’on pouvait agir sur le quotidien en faisant de la politique. Et puis il y a eu le 21 avril 2002, lorsque Jean-Marie Le Pen est arrivé au second tour de l’élection présidentielle. Je ne voulais pas qu’on laisse le Front national s’installer dans le pays sans réagir et je me suis dit que j’allais moi-même prendre une carte dans un parti et faire de la politique. Mais quand j’étais plus jeune, en réalité, je rêvais d’être écrivaine. D’être dans une grande maison sur la plage, concentrée sur mon écriture.

Enzo : Dans notre classe, les filles ont de meilleurs résultats que les garçons. Mais plus tard, elles auront sûrement un moins bon salaire sur le marché du travail. Pourquoi ? Et comment faire pour que cela change ?

Il y a beaucoup de choses qui s’expliquent par la culture. Des mécanismes inconscients qu’on a intériorisés et qui font qu’on va appréhender le monde selon un schéma préétabli. Par exemple, s’agissant des filles et des garçons, ce schéma nous dit que les filles sont faites pour être sages, mignonnes, disciplinées… Et les garçons sont faits pour être vifs, vigoureux, bagarreurs… Le problème, c’est qu’ensuite, on va conforter ces traits de caractères. À l’école, on a remarqué que les enseignants vont être plus sévères avec une fille indisciplinée qu’avec un garçon. Mis bout à bout, il y a des réflexes qui s’installent chez les filles et les garçons. Chez les filles, d’écrire proprement ; chez les garçons, de privilégier les activités sportives par exemple. Chaque sexe est renvoyé en permanence à une image de ce qu’il est censé être. Du coup, pendant la scolarité, c’est utile aux filles. Mais quand on se retrouve sur le marché du travail, ce sont d’autres compétences qui sont attendues, comme la débrouillardise, la capacité à jouer des coudes, etc. Et là, ce sont plutôt les garçons. Il faut se battre contre ces stéréotypes.

Interview réalisée par Delphine, Louanne, Lucie, Dialikatou, Faema, Nina, Suhimbou, Enzo, Vithuran et Rayan.

Texte Les 3e B, avec Alice Géraud – vidéo Alexandre Liebert.

Extrait du site najat-vallaud-belkacem du 03.07.16 : La classe au ministère – Interview par les collégiens d’Aimé Césaire pour Les Jours

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