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Les programmes scolaires, enjeu de campagne présidentielle : un dossier du Monde

2 mars 2022

Les programmes scolaires, enjeu de campagne
La nomination du haut fonctionnaire Mark Sherringham à la tête du Conseil supérieur des programmes, le 4 février, a déchaîné les critiques. Depuis sa création en 2013, l’instance a multiplié les polémiques, révélant les crispations françaises au sujet des programmes scolaires.

Il ne s’attendait pas à une telle déferlante. « Homme de l’ombre », « discret », comme le qualifient ceux qui l’ont côtoyé, Mark Sherringham est sous le feu des critiques depuis sa nomination à la présidence du Conseil supérieur des programmes (CSP) par Jean-Michel Blanquer, le 4 février. La FSU a exprimé ses « vives inquiétudes » face au choix « d’une personnalité si peu acquise aux valeurs essentielles de l’école publique et laïque ». Le SE-UNSA parle d’un « idéologue conservateur » proche « des milieux catholiques traditionalistes » et pose la question de son impartialité. La Ligue des droits de l’homme évoque une « offensive antilaïque pour l’école de la République », alors que le ministre de l’éducation s’est pourtant fait le défenseur des valeurs républicaines.

Docteur en philosophie, inspecteur général de l’éducation nationale, Mark Sherringham a travaillé dans les cabinets du premier ministre Raymond Barre, en 1980, et des ministres de l’éducation nationale François Fillon et Xavier Darcos, dans les années 2000. Mais ce n’est pas tant son parcours que ses écrits qui créent la controverse. Dans la revue Commentaire, en 2001, mais aussi dans un article paru dans Famille chrétienne, en 2009, Mark Sherringham s’est exprimé sur la nécessité de « réintroduire le christianisme dans le débat éducatif ».

« L’école laïque française est, et jusqu’à un certain point se sait, l’héritière de l’école chrétienne, et il n’est pas du tout sûr que la laïcisation du système éducatif français, intervenue dans le combat contre l’Eglise catholique et le pouvoir des congrégations au début du XXe siècle, marque une exclusion culturelle du christianisme hors du domaine de l’éducation dans notre pays », écrivait-il à l’époque. Mark Sherringham assume auprès du Monde ces propos, « produits il y a vingt ans en tant qu’universitaire ». L’inspecteur général renchérit : « Il y a une police de la pensée qui essaie de se mettre en place dans le débat intellectuel. » En revanche, il réfute toute proximité avec les écoles hors contrat, qui lui est reprochée.

Une passion française
Le Conseil supérieur des programmes n’en est pas à sa première polémique depuis sa création, en 2013, par le ministre Vincent Peillon. Boussole du travail quotidien des enseignants, les programmes scolaires ont tout d’une passion française. Les contenus en histoire et en éducation morale et civique, bien sûr, mais aussi les règles d’orthographe et de grammaire ou, plus récemment, l’enseignement des mathématiques, font partie des sujets inflammables.

Extrait de lemonde.fr du 28.02.22

 

Programmes scolaires : « On n’a pas de réponse sur les finalités de l’école »
Pour Roger-François Gauthier, spécialiste de politiques éducatives comparées, les programmes français sont trop détaillés et manquent d’une cohérence d’ensemble.

Roger-François Gauthier a été membre du Conseil supérieur des programmes de 2013 à 2018. Il est également l’un des fondateurs du Collectif d’interpellation du curriculum, qui milite pour une approche globale des programmes scolaires.

Que faudrait-il pour sortir des polémiques incessantes autour de l’élaboration des programmes scolaires ?
Il faudrait commencer par les évaluer, ceux prescrits mais aussi ceux exécutés réellement en classe par les enseignants. Réaliser un tel audit permettrait de répondre à des questions simples, pour lesquelles nous ne disposons aujourd’hui d’aucun élément : ce que les élèves apprennent en histoire en classe de quatrième a-t-il du sens ou non pour chacun, pour tous, dans une culture durable ? Est-ce en lien avec ce qui est enseigné dans d’autres disciplines ? Est-ce que cela est cohérent avec la façon dont ils vont être évalués au brevet ?

Plus globalement, des programmes définis discipline par discipline et année après année donnent une mosaïque dont la cohérence n’est pas assurée. Il faudrait se placer à un niveau supérieur. Quand on lit le code de l’éducation, on n’a pas de réponse sur les finalités de l’école. En cascade, il semble difficile d’arrêter les programmes d’histoire de la classe de quatrième, pour reprendre cet exemple, si on n’est pas au clair sur les finalités. La réforme du lycée est symptomatique de ce point de vue : on ne s’est jamais demandé ce que devait être la culture d’un bachelier. On ne s’est pas non plus préoccupé de la liaison du socle commun entre le collège et le lycée. Rien de suivi, rien de cohérent !

Cette manière de concevoir les programmes est très franco-française. Comment cela se passe-t-il ailleurs ?
Il y a des évolutions intéressantes en matière de programmes, quand par exemple l’Etat définit moins d’éléments dans le détail au niveau national, et que l’établissement local est chargé d’en définir beaucoup plus. En Italie, l’équivalent de nos programmes nationaux se résume à de grandes directions. Pour les Français, une telle pratique semble absolument inacceptable, alors qu’ailleurs les enseignants jugent ce processus central dans leur pratique du métier.

Quid du rôle des enseignants dans l’élaboration des programmes ?
Les enseignants français voient les programmes tomber d’en haut. Les choix relèvent de fonctionnements opaques, où ils ne se sentent pas impliqués. Beaucoup sont fatigués de la course à l’échalote dans ce domaine et veulent qu’on arrête la valse incessante des programmes.

Faudrait-il, pour élaborer les programmes, une instance de l’ordre d’un conseil, qui soit indépendant et au-delà du temps politique ?

Extrait de lemonde.fr du 28.02.22

 

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« On ne réécrit pas des programmes dans le but de relever le niveau de l’école »
Les contenus des enseignements scolaires sont modifiés d’abord pour accompagner les réformes et pour s’adapter à l’évolution du système éducatif et de la société, explique Philippe Raynaud, vice-président du Conseil supérieur des programmes, dans un entretien au « Monde ».

Philippe Raynaud, professeur émérite de science politique, est vice-président du Conseil supérieur des programmes (CSP). Il a suivi le travail de révision des contenus d’enseignement menés par le CSP, de la maternelle au lycée.

On parle beaucoup de chute du « niveau » des élèves. Est-ce que les programmes ont une responsabilité ?
Cette question du niveau des programmes ne me semble pas être la bonne porte d’entrée. On ne réécrit pas des programmes dans le but de relever le niveau, même si on vise, évidemment, à les rendre les plus rigoureux possible.

Le plus souvent, comme cela a été le cas pour le lycée durant ce quinquennat, on ajuste les programmes aux réformes entreprises – en l’espèce, une nouvelle architecture et de nouvelles matières. Les programmes sont faits pour inspirer l’action des enseignants, de manière à ce que les élèves puissent les apprendre et les assimiler, en lien avec l’évolution du système éducatif, de la société, de l’enseignement supérieur. Le fil rouge est celui-là. Il va dans le sens d’une plus grande efficacité de l’école. Mais est-ce que le niveau monte parce qu’on élargit le champ des apprentissages ? Est-ce que, au contraire, en le resserrant, on approfondit mieux les notions ? La réponse ne va pas de soi. La notion de niveau est porteuse de polémiques.

D’où ces polémiques viennent-elles ?
Souvent, elles viennent d’une confusion entre les programmes et les manuels. Des parents nous interpellent : « Vos programmes ne sont pas bons. Dans le manuel de mon enfant il y a tel point qui pose problème. Ou tel point que je ne trouve pas… » L’écriture des manuels est du ressort des éditeurs. Quand un nouveau programme paraît, un temps d’ajustement est nécessaire pour que les manuels s’adaptent.

Comment réécrire des programmes sans les rendre plus lourds ?
Eternel problème que celui des programmes surchargés ! Mais pourquoi le sont-ils, alors que tout le monde sait qu’ils devraient l’être moins ? Parce que – quel que soit le niveau, quelle que soit la discipline – des associations, des politiques, des parents nous interpellent. Chacun y va de sa demande. On voit aussi des tribunes fleurir dans la presse. C’est le jeu démocratique… et c’est infini. Mais la logique d’un programme ne peut pas être dictée par la commande. Pour éviter la surcharge, notre rôle est de donner des lignes directrices, de fixer ce qui est prioritaire.

Il faut donc faire des choix. Comment ?
Disons que nous aidons le ministère à préparer des choix qu’il lui revient de faire, et qui ne peuvent jamais contenter tout le monde. En sciences économiques et sociales, nous avons recentré les programmes sur la microéconomie plutôt que sur les discussions doctrinales. Nous pensons avoir abouti à de meilleurs programmes, et on nous reproche pourtant des « impasses ». En philosophie, nous avons élargi le canon de grands auteurs en ajoutant des auteurs de culture arabe, chinoise, indienne… En histoire, nous recevons des demandes constantes pour valoriser la place des femmes, l’histoire coloniale.

Extrait de lemonde.fr du 14.02.22

 

La question du « niveau » à l’école : un débat qui vient de loin
Les propos déclinistes ont gagné presque tous les partis et résonnent à nouveau avant l’élection présidentielle. Les études tendent à les relativiser, même si l’enseignement français peine à compenser les inégalités de naissance.

« Niveau » des élèves, niveau du « décrochage », « niveau » des enseignants et de leur recrutement, « niveau » du budget et de l’encadrement… Le mot, à moins de soixante jours de l’élection présidentielle, a trouvé sa place dans la campagne. Une grille d’analyse attendue, l’une des plus répandues dès lors qu’on débat de l’école.

Et pour cause : elle parle à tous, aux parents des 12,5 millions d’élèves scolarisés, comme aux grands-parents – et aux anciens élèves qu’ils ont été. La plupart des postulants à l’Elysée l’ont bien compris, en plaçant les « fondamentaux » – ce « lire-écrire-compter » auquel l’actuel ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, a ajouté un quatrième objectif, « respecter autrui » – parmi leurs propositions. Chacun avec ses mots propres, son ton.

La candidate de la droite, Valérie Pécresse, en appelle à un « sursaut national » pour « relever le niveau » – « sursaut » qui, pour elle, passe notamment par l’ajout de deux heures de français par semaine à l’école primaire, et d’une heure en plus de mathématiques. A l’extrême droite, Marine Le Pen plaide pour « remettre au cœur des programmes » le français, les mathématiques et l’histoire – quand bien même la France consacre déjà plus d’heures que ses voisins, au primaire, à ces apprentissages.

La dynamique défendue par Eric Zemmour surfe, elle aussi, sur cette tendance : face à l’« effondrement du niveau académique », il recommande de « recentrer l’école autour des savoirs fondamentaux ». A l’autre bout du champ politique, Jean-Luc Mélenchon insiste sur la « transmission des savoirs », mais elle passe, pour le candidat de La France insoumise, par une remise en jeu des réformes du lycée et du collège. Et ce, en « renouant » avec une organisation scolaire fondée sur le « groupe classe » et des « horaires suffisants ».

Extrait de lemonde.fr du 14.02.22

 

Inégalités scolaires : « Il semble non seulement essentiel mais inévitable que les politiques s’en emparent »
Pour la sociologue de l’éducation Barbara Fouquet-Chauprade, l’école a besoin de « politiques d’envergure qui dépassent le temps du quinquennat » pour réduire les inégalités scolaires.

Barbara Fouquet-Chauprade est sociologue de l’éducation et maître d’enseignement et de recherche à l’université de Genève. Elle coprésidera à la mi-novembre, à Paris, avec d’autres chercheurs, une conférence de comparaison internationale sur la gouvernance des politiques éducatives organisée par le Centre national d’étude des systèmes scolaires (Cnesco). Elle interroge la « complexité » à faire campagne pour une école plus juste, moins inégalitaire.

L’école s’est imposée comme un thème fort de ce début de campagne présidentielle. Comment l’analysez-vous ?

J’avais été plutôt étonnée de son absence relative lors de la précédente campagne ; on peut donc se réjouir de cette irruption précoce. Que l’école soit, d’ores et déjà, au cœur du débat est plutôt un signal positif.

Cela dit, elle l’est à un niveau de généralités encore important. On entend raisonner, un peu comme des slogans, des mesures emblématiques – « l’école du futur » dans la bouche du chef de l’Etat, le « doublement des salaires » dans celle d’Anne Hidalgo [candidate du Parti socialiste], des propositions communes à Xavier Bertrand et à Valérie Pécresse [candidats à l’investiture du parti Les Républicains] sur le recrutement ou les « fondamentaux »… Mais sur la capacité à concrétiser de telles promesses et à les insérer dans de réels projets, on est encore dans le flou.

Cela traduit-il un rapport différent à l’école après dix-huit mois de crise sanitaire ?
Il est certain que la crise sanitaire est venue rappeler à tous, et aux décideurs en premier lieu, l’importance que revêt l’école pour les familles. A-t-elle pour autant bouleversé notre rapport à l’école ? Je n’en suis pas sûre. A ce stade, les premières propositions mises en débat disent quelque chose des postures politiques de départ, sans révéler encore vraiment le projet (ou les projets) de société qu’il y a derrière.

Ces postures, par ailleurs, ne sont pas tout à fait inattendues : en puisant, à droite, dans une inspiration libérale, en misant, à gauche, sur les questions des ressources humaines, les premiers candidats (ou les candidats pressentis) sont chacun à leur place, chacun dans leur rôle. Il n’y a pas pour le moment de rupture radicale avec les positionnements passés.

Si l’on s’en tenait à ce que nous disent les enquêtes nationales et internationales, il y aurait une logique à concentrer ce discours politique sur la question de la réduction des inégalités. Or ce n’est pas, ou rarement, le cas…
La recherche montre une augmentation continue des inégalités. La France est le pays où on explique le plus les inégalités scolaires par l’origine sociale des élèves. La crise sanitaire est venue le rappeler, et peut-être même l’exacerber.

Extrait de lemonde.fr du 19.02.22

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