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PISA et Choc des savoirs. Entretien des Cahiers avec Patrick Rayou

22 décembre 2023

« Comme si notre système peinait désormais aussi à faire réussir les bons élèves. »

Résultats de l’enquête PISA, niveau des élèves, inégalités de réussite et programmes annuels… Patrick Rayou, sociologue de l’éducation et membre du Collectif d’interpellation du curriculum (CICUR) nous fait part de son analyse sur les annonces récentes du ministre suite aux résultats PISA. Le point de vue intéressant d’un chercheur qui a notamment participé aux travaux aboutissant aux programmes de collège de 2016.

Si vous deviez relever trois points intéressants de l’enquête PISA, que mettriez-vous en avant, même si on peut pointer les limites d’une évaluation de masse des élèves ?
L’enquête PISA est en effet bien contestable, notamment par sa façon d’engendrer un « effet palmarès » qui hiérarchise les systèmes éducatifs au lieu de les aider à se comprendre eux-mêmes et à s’améliorer. Néanmoins certaines données nous renseignent sur l’état et l’évolution de notre école. Parmi celles-ci, cette caractéristique selon laquelle le lien entre la performance et le niveau socioéconomique et culturel des élèves est beaucoup plus marqué en France que dans la moyenne des pays de l’OCDE.

Mais une tendance se dessine : si la France est, de façon stable, un des pays où l’école parvient le moins à endiguer les inégalités socioscolaires, l’ensemble des élèves, y compris les plus performants, glisse progressivement vers des niveaux inférieurs. Comme si notre système peinait désormais aussi à faire réussir les bons élèves. Il est difficile d’analyser cette évolution, mais on peut craindre une baisse globale d’efficacité de notre école, prise dans une spirale qui fait que la moindre réussite suscite un scepticisme qui l’alimente à son tour.

Un autre résultat illustre une caractéristique de notre école, manifestée dans d’autres enquêtes : les collégiens français tracent une frontière assez étanche entre leur vie de pairs et leur vie d’élèves dans l’institution. Ils sont en effet plutôt heureux dans leur établissement, notamment du fait de leurs bonnes relations avec leurs camarades de classe qui deviennent souvent des amis. Tout autre semble être le climat en classe où ils sont plus nombreux que la moyenne de leurs homologues d’autres pays à déclarer ne pas bien pouvoir travailler : beaucoup d’élèves n’écoutent pas le professeur et, pour un élève sur deux, il y a du bruit et du désordre dans la plupart des cours ou dans tous. La dégradation progressive du climat d’étude concerne les établissements défavorisés plus que les autres.

Il y a tout de même une bonne nouvelle : 72,7 % des élèves français de 15 ans envisagent de faire des études supérieures et n’ont pas revu à la baisse leurs projets professionnels depuis 2018 malgré la crise sanitaire. Donc, pas de désamour de l’école de leur part, plutôt le regret que celle-ci ne les aide pas à unir les différentes facettes de leurs vies. Ceci fait écho aux résultats d’une enquête menée auprès de collégiens dans le cadre du Cicur, avec la Maison de la pédagogie de Mulhouse1. Ces collégiens disent en effet aimer apprendre, à l’école ou en dehors. Mais les savoirs scolaires leur paraissent surtout utiles pour « plus tard » et peu en lien avec les savoirs acquis à l’extérieur

Les réactions aux annonces du ministre ont mis l’accent sur le rétablissement de groupes de niveau au collège et sur la réhabilitation du redoublement. Mais ce qui a été dit sur les programmes est au moins aussi important. On risque de revenir en arrière sur l’organisation par cycles et sur tout ce qui permettait d’avancer vers la logique de curriculum2. Qu’en pensez-vous ?
Un trait commun de ces mesures est que, par leur retour au passé, elles peuvent rassurer une partie des professionnels et des usagers de l’école, mais qu’elles tournent le dos à ce que les recherches, nationales et internationales, nous apprennent depuis de nombreuses années. Ces formules ne sont pas de nature à assurer demain l’égalité des chances qu’elles n’ont pas garantie hier. L’OCDE elle-même met en garde contre la création de groupes de niveau autres que temporaires, dans lesquels on cantonnerait toujours les mêmes élèves, les privant d’une hétérogénéité qui est une des clés du développement des personnes. Est-ce une manière de tenter d’éviter le glissement des seuls bons élèves dont atteste PISA ?

Le redoublement, effectué dans les mêmes conditions que l’année précédente, a aussi montré ses grandes limites. PISA en administre d’ailleurs une preuve : les élèves français de 2de ont un niveau nettement supérieur à celui de leurs homologues de 15 ans qui, du fait d’un redoublement, sont en 3e. On peut penser que ce redoublement a remis ces derniers à niveau et que ce sont les apports de l’année de 2de qui font la différence. Ce n’est vraisemblablement pas le cas, car le niveau des élèves de 3e de 15 ans qui n’ont pas redoublé, mais sont sans doute nés vers le début de l’année civile, est plus proche de ceux de 2de que de celui de leurs camarades de 3e. De fait, les collèges victimes de la ségrégation sociospatiale – en REP ou REP + – sont déjà souvent, par la force des choses, de grands groupes de niveau où on n’enseigne pas les mêmes choses qu’ailleurs.

En 2015, le ministère a tenté d’écrire des programmes « curriculaires de cycle ». L’idée était de s’entendre d’abord sur les finalités éducatives de l’école, puis de demander aux différentes disciplines comment elles y contribuaient. D’autre part, même si des bilans de fin d’année étaient maintenus, c’est au long de tout un cycle, sur plusieurs années donc, qu’on formait les élèves à des connaissances et compétences qui n’étaient évaluées qu’à la fin. Il s’agissait d’entrer plus finement dans les processus d’apprentissage en rendant plus visible l’intérêt des apports disciplinaires et de se donner le temps d’étayer les élèves. Cela pouvait passer par un repérage collectif de leurs facilités et difficultés pour opérer un travail de différenciation pédagogique à priori, ou encore par un évitement des redoublements du fait qu’on lissait sur tout le cycle les points à travailler plus particulièrement. Les aléas politiques ont fait que ce projet n’a jamais abouti. [...]

Extrait de cahiers-pedagogiques.net du 21.12.23

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