Voir à gauche les mots-clés liés à cet article
Le débat sur la laïcité relancé : « Le mot tabou, c’est le mot religion »
À l’occasion de sa revue de presse, mardi, Paul Arcand commente le retour du débat sur la laïcité en marge des événements survenus à l’école Bedford et des propos du chef péquiste Paul St-Pierre-Plamondon.
Le leader du Parti québécois souhaiterait renforcer la loi 21 sur la laïcité de l’État afin d’empêcher l’envahissement de la religion dans nos écoles. Il voudrait une plus grande mixité pour éviter la mainmise de certains groupes religieux.
C’est vrai que c’est peut-être difficile d’établir une espèce d’engouement pour la culture francophone et les valeurs québécoises et ça fait ce qu’on appelle des ‘‘écoles multiethniques’’. C’est la réalité à Bedford et dans d’autres écoles de Côte-des-Neiges. Mais on fait quoi ? On déplace des immigrants qui se concentrent dans certains quartiers de Montréal et on les saupoudre ? On prend des petits de souche et on les envoie dans ces écoles ? Quand même, avouons-le, c’est une opération qui n’est pas simple à concrétiser.
Paul Arcand
Le mot tabou, c’est le mot religion [...] La mosquée n’est pas loin, il y a des influences, il y a des questions culturelles, mais beaucoup de questions religieuses et je pense qu’il faut vraiment mettre l’accent là-dessus et ne pas se laisser distraire afin de ne pas avoir peur d’être accusé d’intolérance ou de racisme.
Extrait de lapresse.ca du 22.10.24
Pour une école vraiment laïque et égalitaire
Des enfants en difficulté traités de « paresseux » ou de « causes perdues ». Des enseignants qui nient l’existence de l’autisme et interdisent à des spécialistes d’accéder à leur classe pour soutenir les élèves à besoins particuliers. Des élèves privés de cours de sciences et d’éducation sexuelle. Des enseignants incompétents et rétrogrades qui font la pluie et le beau temps à l’école. De la violence et de l’intimidation perdurant pendant sept ans. Des mécanismes de suivi et de surveillance défaillants au Centre de services scolaire de Montréal (CSSDM) pour maintenir un milieu d’apprentissage sain et sécuritaire. Des mesures de reddition de comptes insuffisantes au ministère de l’Éducation.
Ce que révèle l’enquête sur l’école primaire montréalaise Bedford est grave et choquant pour quiconque croit à une école laïque, où l’égalité hommes-femmes est respectée et le bien-être des enfants, la priorité1.
Rappelons que cette enquête, déclenchée par le ministre Bernard Drainville à la demande de Marwah Rizqy après un reportage du 98,5 FM, fait suite à une autre enquête interne d’un psychologue industriel datant de 2021 n’ayant pas mené aux changements qui s’imposaient à l’école Bedford2.
L’enquête du ministère de l’Éducation rendue publique vendredi fait état d’une bataille idéologique entre deux clans à l’école Bedford. Un clan dominant, composé principalement d’enseignants d’origine maghrébine, qui a tenté d’imposer une vision rétrograde de l’éducation, de la pédagogie et des relations avec les élèves. Et un clan minoritaire, aussi composé en partie d’employés d’origine maghrébine, dont certains étaient les plus farouches détracteurs du clan majoritaire.
Les grands perdants de la bataille ? Les enfants défavorisés de cette école du quartier Côte-des-Neiges. Des élèves pour qui l’école n’a pas été, pour reprendre les mots de la députée Marwah Rizqy, le « rempart contre l’obscurantisme » qu’elle aurait dû être.
Cette affaire témoigne d’un double échec. Le premier ? L’échec des mécanismes de gouvernance de l’école, comme les enquêteurs et plusieurs autres observateurs l’ont déjà souligné3. Trois ans après la remise du rapport d’un psychologue industriel et près de sept ans après les premiers signaux d’alarme concernant l’incompétence et le zèle idéologique de plusieurs enseignants, il est, comme le conclut l’enquête, inexcusable que des démarches sérieuses pour garantir aux enfants le milieu d’apprentissage sain auquel ils ont droit n’aient pas été entreprises par le CSSDM.
Alors que l’on a déjà vu une enseignante d’un autre centre de services scolaire être congédiée pour avoir simplement parlé à des journalistes et soi-disant « miné le lien de confiance des parents envers l’école publique4 », on comprend mal ici que le CSSDM n’ait pas pu sévir sept années durant pour mettre au pas des enseignants qui ont trahi leurs élèves et miné leurs chances de réussite.
Le deuxième échec révélé par cette affaire est celui de la loi 21. En lisant les deux rapports, on comprend que certains des employés musulmans mis en cause n’ont pas respecté le devoir de neutralité religieuse qui incombe à tout enseignant et font peu de cas de l’égalité hommes-femmes. Des élèves ont été privés de cours de sciences et d’éducation sexuelle, témoignant d’une faillite de l’école comme lieu de transmission de savoir (et non comme lieu de transmission de croyances). Des membres du centre communautaire musulman Darlington – qui relayait récemment sur sa page Facebook un appel à manifester contre l’éducation sexuelle lancé par des parents de différentes origines et confessions – ont dénigré l’enseignement de l’école Bedford dans les réseaux sociaux et ont exercé de fortes pressions sur l’école. Un incident cité dans le rapport d’enquête a même amené la direction de l’école à appeler le 911.
Les premiers problèmes signalés à l’école Bedford l’ont été en 2017, deux ans avant l’entrée en vigueur de la Loi sur la laïcité de l’État. De toute évidence, ils se sont poursuivis bien après, sans que cette loi y change quoi que ce soit.
Pourquoi ? Parce que la loi 21 rate la cible en s’attardant davantage à ce que l’enseignant a sur la tête plutôt qu’à ce qu’il pourrait avoir dans la tête.
Le devoir de réserve plus strict en matière religieuse qui lui est imposé se traduit dans la loi par l’interdiction de porter un signe religieux dans l’exercice de ses fonctions.
Résultat : une féministe musulmane qui, à l’instar de la lauréate du prix Nobel de la paix Malala Yousafzai, porterait un foulard, n’a pas le droit d’enseigner dans une école québécoise. Aussi compétente et inspirante soit-elle. Alors qu’un homme intégriste qui ne porterait aucun signe religieux, excepté des idées rétrogrades ostentatoires, peut enseigner des années durant sans problème. Aussi incompétent et obscurantiste soit-il.
Si on veut que l’école soit un sanctuaire laïque, où les élèves peuvent s’épanouir et développer leur esprit critique à l’abri de toute pression intégriste, du prosélytisme, des discours haineux, sexistes, homophobes ou autres, ça ne sert finalement pas à grand-chose d’exiger des enseignants qu’ils laissent leur kippa, leur turban ou leur voile au vestiaire. Ce sont l’incompétence, l’ignorance et le zèle religieux qu’il faut tenir loin des portes de l’école.
1. Consultez le rapport d’enquête de 2024
2. Consultez le rapport d’enquête de 2021
3. Lisez l’article « Un dur constat d’échec autour de l’école Bedford »
4. Lisez la chronique « Congédier la messagère »