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Pierre Merle : la notation est plus généreuse dans les zones défavorisées ?

22 octobre 2007

Extrait du « Café pédagogique mensuel », n°86, octobre 2007 : Le Café Pédagogique Mensuel - Edition pédagogie

« La classe », par François Jarraud

Les notes sont-elles justes ?

Entretien avec Pierre Merle

Les notes sont-elles justes ? Certes, s’il est bien une activité que les profs font sérieusement, c’est la notation. Ils en connaissent les conséquences dans un système qui se focalise sur les moyennes. Pourtant quand on compare sa notation à celle de ses collègues, souvent on est très surpris. Pierre Merle révèle dans son dernier livre les résultats de nombreuses études docimologiques (la science de la notation). Au risque d’affronter les tabous.

François Jarraud : Pour vous, Pierre Merle, la note est une activité sociale comme les autres et l’enseignant note un élève bien réel dans une situation précise. Et forcément cela influe sur sa notation. Peut-on le démontrer ?

Pierre Merle : Dans mon ouvrage (Les notes. Secrets de fabrication, 2007), je présente de nombreuses recherches menées depuis plus de 30 ans par des psychologues et des sociologues. Ces deux catégories de chercheurs travaillent différemment. Les premiers mènent des expériences (certaines sont très intéressantes), les seconds étudient des données réelles. Par exemple, les sociologues comparent les moyennes annuelles obtenues en mathématiques et en français par 1700 élèves scolarisés en quatrième aux résultats obtenus par ces mêmes élèves à des tests de compétence standardisés dans ces deux disciplines.

Les résultats des recherches des psychologues et des sociologues convergent totalement (ce qui n’est pas si fréquent). Les résultats sont surprenants. Il existe des « biais d’évaluation », c’est-à-dire des erreurs systématiques de notation des copies. L’enseignant est influencé par les caractéristiques socio-scolaires de ses élèves : l’origine sociale, l’âge, le redoublement, le sexe... Ainsi, à niveau identique aux tests de compétence en mathématiques et en français, les enfants de cadres sont mieux notés en classe que les enfants d’ouvriers. Il en est de même des élèves non redoublants par rapport aux redoublants. On peut penser que ces derniers subissent un préjugé négatif en raison de leur scolarité antérieure et sont, pour cette raison, sous notés.

FJ : Peut-on dire de ces influences qu’elles sont conscientes ou inconscientes ? Pour dire les choses plus clairement, quelle est la part des préjugés de classe dans la notation ?

PM : L’écrasante majorité des professeurs étant attentive à la question de l’équité et de la justice scolaire, l’influence des caractéristiques socio-scolaires des élèves sur la notation est inconsciente. Un nombre non négligeable des professeurs pressentent toutefois, intuitivement, être influencés par les comportements des élèves en classe (par exemple, la participation orale qui est susceptible de varier selon l’origine sociale et d’influencer ultérieurement de façon positive la notation de l’écrit).

Cependant, la conscience claire de l’existence de préjugés est rare. Je dirais, à titre personnel, pour avoir enseigné dix années en lycée, que le fait de ne plus faire remplir de fiches de renseignements sur mes dernières années d’enseignement a modifié ma perception d’une partie des élèves. Je perdais en quelque sorte des repères alors même que, comme beaucoup de professeurs, je lisais pourtant rapidement les fiches de renseignements que je faisais remplir par « mes » élèves.

FJ : Quelle est la part de « l’erreur » du professeur ?

PM : D’abord, il faut retenir l’essentiel : les notes données par les professeurs sont plutôt bien corrélées avec les tests de compétence standardisés. Toutefois, des analyses statistiques approfondies (l’analyse multivariée) montrent que lorsque que l’écart moyen de notation en classe entre les enfants de cadres et d’ouvriers est de 2,2 points en faveur des premiers (données recueillies sur 1700 élèves scolarisés en classe de quatrième), un demi-point de moyenne (soient 25 % de l’écart) n’est pas justifié par les différences de compétence aux tests standardisés et s’explique par le statut social des élèves considérés (notes de mathématiques et français confondues).

Dans les décisions d’orientation ou de redoublement, ce biais d’évaluation, pour les élèves tangents, peut avoir des conséquences importantes. Il ne faut donc pas s’arrêter seulement aux niveaux des « biais » qui peuvent sembler faibles et qui ne remettent que marginalement en cause la hiérarchie des classements mais étudier aussi leurs conséquences, d’autant que ces biais s’accumulent. Par exemple, la notation d’un élève d’origine ouvrière, de sexe masculin, redoublant, avec déjà un an de retard, diffère radicalement en termes de biais de notation de celle d’une fille, d’origine aisée, avec un an d’avance.

La probabilité que le premier élève soit réellement moins bon que le second est considérable. Les modalités de notation en classe tentent toutefois à sur-estimer cet écart.

FJ : Peut-on dire que si l’on est élève en lycée professionnel, il vaut mieux avoir un prof immigré fils d’ouvrier qu’une jeune fille de bonne famille ?

PM : À ma connaissance, il n’existe pas de recherches statistiques sur les façons de noter des professeurs selon leur parcours scolaire ou leur origine sociale.

Dans les entretiens que j’ai menés, les professeurs d’origine populaire manifestent une certaine réticence à l’égard de notations très basses, très sélectives, qui leur paraissaient contraires à l’objectif de démocratisation de l’école.

Le statut de l’enseignant - professeur contractuel d’un côté, agrégé de l’autre - est susceptible également d’influencer la notation (le professeur contractuel déclarant plus fréquemment être hostile à la sélection qu’il a généralement subie).

Toutefois, les variables sociales concernant chaque professeur sont nombreuses (diplôme, statut, nombre d’années d’enseignement, établissements d’exercice, âge, présence d’enfants.) et se combinent d’une façon quasi imprévisible avec ses expériences professionnelles.

Dans l’état actuel des recherches, on sait seulement que la notation d’un professeur est influencée par l’établissement d’exercice (la notation est plus généreuse dans les établissements situés en zones défavorisées, plus sévère dans les quartiers aisés).

(Lire la suite sur le « La Café pédagogique mensuel » n°86

Pierre Merle, IUFM de Bretagne

Entretien : François Jarraud

Dernier ouvrage de P. Merle : « Les notes. Secrets de fabrication » ; PUF, 2007

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