"Le plus innovant vient des enseignants, jeunes pour la plupart et débutants" : un reportage de Libé dans un collège ZEP d’Ivry Port (94) :

7 février 2008

Extrait de Libération.fr du 06.02.08 : Contre le ghetto, le collège réinvente la ZEP

Jusqu’au 8 février, date de l’annonce par Nicolas Sarkozy du plan banlieue, « Libération » enquête sur les principales questions de société dans les quartiers. Aujourd’hui, l’enseignement.

En sortant de son entretien avec le père d’un élève, le principal adjoint est soulagé. Il l’avait convoqué pour lui annoncer l’exclusion de son fils et proposer une solution pour le reste de l’année. « Le père a accepté, explique-t-il. Son fils va aller dans une classe relais pour les jeunes en décrochage scolaire. Il sera dans un autre collège du secteur, mais il reviendra une fois par semaine. Comme il est en troisième, ce sera l’occasion de lui trouver une orientation. »

Le collège Molière d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) compte 456 élèves, dont un peu plus de la moitié appartiennent à des catégories sociales défavorisées. « Dix-sept origines linguistiques se côtoient », précise la principale, Véronique Sahl. Il est en Zone d’éducation prioritaire (ZEP) mais n’a pas le label « Ambition réussite » réservé aux établissements les plus difficiles. Le collège est situé à Ivry Port, une ancienne zone industrielle qui abrite des HLM en briques, des hangars abandonnés et de vieux immeubles squattés par des familles étrangères en attente de papiers ou de logements. Mais le quartier est en rénovation, et si près de Paris, on voit arriver des bobos qui achètent d’anciens ateliers et en font des lofts.

Pour le collège, l’enjeu est double. D’abord, comment éviter qu’il devienne un établissement-ghetto, déserté par les familles favorisées soucieuses de donner les meilleures chances de réussir à leurs enfants ? L’an dernier, 61 % des collégiens de Molière ont décroché le brevet contre 78 % en moyenne nationale.
Par ailleurs, la carte scolaire - l’obligation d’inscrire son enfant dans le collège de son quartier - va être supprimée à la rentrée. Ce qui fait courir le risque de voir s’envoler les meilleurs éléments et, plus généralement, les enfants plus aisés. « Déjà, la stratégie d’évitement joue à plein vers les écoles privées » , souligne Véronique Sahl.

Défis. Ensuite, comment tirer vers le haut des élèves qui arrivent en sixième avec de sérieuses lacunes ? Selon une récente étude, 15 % des écoliers ne maîtrisent pas la lecture et l’écriture en fin de CM2. Une moyenne nationale qu’il faut majorer dans l’éducation prioritaire. « Le problème est de gérer l’hétérogénéité des élèves et de maintenir la mixité sociale », résume le principal adjoint.

Le collège Molière se trouve ainsi face aux grands défis des établissements ZEP qui peuplent les banlieues défavorisées. Pour éviter le ghetto, il faut proposer des filières d’excellence : langues rares ou anciennes, cursus enrichi. Pour les élèves « décrocheurs », il faut un encadrement renforcé - alors que l’on réduit le nombre de postes - et des pédagogies innovantes.

En raison de son statut, l’établissement dispose d’une quarantaine d’heures par semaine en plus à répartir. Elles vont en priorité aux dispositifs de soutien en français (un atelier lecture pour les sixièmes, des cours pour les élèves ayant des troubles d’apprentissage). Une dizaine de collégiens difficiles ont un atelier hebdomadaire - « J’apprends mon métier d’élève » -, d’autres des heures de français langue étrangère.

Débutants. Le plus innovant vient des enseignants, jeunes pour la plupart. Les débutants étant affectés en ZEP. Prof de maths, Franck Salles, 32 ans, propose avec sa collègue de français un travail de « narration de recherche ». Il distribue une feuille blanche aux élèves, avec un problème à résoudre. Un exemple : « Deux personnes se rencontrent, elles se donnent une poignée de mains. Trois personnes se rencontrent, combien cela fait-il de poignées de mains ? Puis cinq, puis dix, puis cinquante, etc. »« Le but est qu’ils écrivent leur démarche, leurs erreurs. Souvent, ils arrivent à des formules incroyables. Les plus faibles réussissent en général bien, cela les valorise », explique Salles. Ayant passé deux ans en Irlande, il donne aussi un cours de maths en anglais pour une classe « spécialité anglais ».
Prof d’Allemand, Véronique Petit, 32 ans, est un pilier de la filière « bi-langue » anglais-allemand qui démarre en sixième. Elle a organisé l’an dernier une rencontre avec des collégiens de la banlieue de Cologne : « Les enfants n’avaient jamais rencontré d’Allemands, ils n’en revenaient pas de voir qu’ils avaient les mêmes intérêts. »
Pour l’ouverture sociale, il y a les visites à l’école d’ingénieurs voisine, avec des cours de maths sur place et des étudiants qui « tutorent » les élèves. « Ici, un élève de quatrième peut se retrouver en bi-langue avec l’option anglais renforcé et du latin, que nous proposons de la cinquième à la troisième », se félicite la principale.

Il y a enfin « l’accompagnement éducatif » après l’école, voulu par Nicolas Sarkozy et mis en place dans les collèges ZEP. 80 élèves y sont inscrits. Ils proposent de l’aide aux devoirs, du théâtre en espagnol, des échecs... Les profs sont invités à les animer, avec heures supplémentaires défiscalisées à la clé. Mais tous ne sont pas chauds : ils préféreraient des postes en plus pour décharger les classes, limitées à 25 en ZEP mais difficiles à tenir, et pour étoffer le personnel de surveillance, souvent des contrats précaires, face aux nombreuses « incivilités ». Mais de cela, il n’en est pas question, à Molière comme ailleurs.
Véronique Soulé

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