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Territoires vivants de la République, avec Benoît Falaize. Compte rendu de la Rencontre OZP du 17 octobre 2018

20 octobre 2018

Rencontre OZP avec Benoit Falaize, historien et Inspecteur général, autour du livre qu’il a coordonné : « Territoires vivants de la République ». Il était accompagné de l’une des auteure de ce livre (signés sous le pseudonyme de Wahida.)

Benoït Falaize rappelle d’abord pourquoi ce livre a été entrepris : il a été chargé d’études laïcité et valeurs de la République de 2015 à 2017, nommé juste après les attentats de 2015. Il avait auparavant travaillé sur l’Histoire de l’immigration et sur l’école avec Abdelmalek SAYAD.

Ce qu’il a vu alors dans les établissements l’a convaincu de la nécessité de répondre aux récits dominants dans les médias et à un ouvrage paru en 2002, qui a fait beaucoup de mal et dont le titre résume les clichés diffusés dans ces médias : « Les territoires perdus de la République ». Dans ces territoires, « les quartiers », les enseignants seraient désarmés face à des élèves anti-France, homophobes, etc. Il serait par exemple impossible de travailler sur la Shoah.

Or il a constaté que, partout, les enseignants ne sont pas nécessairement désarmés ; certains même lui répondaient que « si !, ils enseignaient la Shoah ». Ces témoins ont accepté sans problème de participer à cet ouvrage, pour rendre justice au travail des enseignants mais aussi pour défendre la jeunesse de France, en particulier celle que l’on renvoie toujours à ses origines.

Ce livre aborde donc tous les sujets sensibles : les concurrences mémorielles, la Shoah, la guerre d’Algérie, la laïcité ; l’enseignement laïque des faits religieux, l’homophobie, le genre. L’essentiel pour B. Falaize est le regard que l’enseignant porte sur ces élèves : Les voit-il d’abord comme une source de problèmes à venir ? Ou positivement : ce qu’on va pouvoir faire ensemble ? Un regard bienveillant (qui n’empêche pas, bien au contraire, l’exigence et la rigueur) conditionne tout.

La bienveillance était déjà le maître mot chez Ferdinand Buisson malgré l’image que nous avons gardé de l’école de la IIIème République.

Nous ne faisons pas d’angélisme. Oui, le fondamentalisme a pu pénétrer dans l’école. Oui, toute une partie de la jeunesse est en réaction. Mais c’est à l’école de traiter ces problèmes et lorsque les enseignants ont les gestes professionnels adaptés, qu’ils connaissent leur sujet, il n’y a plus de problème.

Et pourquoi toujours stigmatiser les mêmes ? Il y a aussi une radicalité d’extrême droite. Des franges entières d’enseignants basculent dans le racisme, d’autres se heurtent à un radicalisme néo-nazi chez leurs élèves.

Le témoignage de Wahida.

Après Charlie Hebdo j’ai été sollicitée par le MEN : en effet, j’avais travaillé pendant des mois avec mes élèves sur le blasphème avec le dessinateur de Charlie Hebdo, Charb. Il y avait un désaccord profond, mais le dialogue avait été possible : il suffit pour cela que les élèves soient autorisés à dire leur désaccord. On peut entendre leur parole et, ensuite la retravailler. Si cette parole ne peut se dire à l’école, où s’exprimera-t-elle ? Qui leur donnera les outils pour dépasser les préjugés ?

Après Charlie, tout ce que je voyais dans les classes était ignoré par la presse nationale. Les journalistes qui me contactaient voulaient seulement me faire dire des choses négatives sur la conduite des élèves pendant la minute de silence et voulaient entendre des paroles provoquant l’indignation, mais aucun n’a publié les paroles positives de mes élèves.

C’est vrai, la minute de silence était difficile pour certains, mais on a travaillé là-dessus. Ces jeunes sont en construction, c’est leur évolution ultérieure qui compte.

Après le Bataclan, cette minute avait été préparée et surtout une maturation s’était produite chez les jeunes, ils avaient pris conscience de la gravité des attentats mieux que du temps de Charlie

La laïcité

Benoit Falaize. Après 2015, un effort important a été entrepris pour que, partout, des éducateurs soient bien au fait de la question de la laïcité. Auparavant, on constatait chez les enseignants et les responsables éducatifs une méconnaissance de l’histoire et des fondements de la laïcité. Il fallait du temps pour qu’on se rende compte que l’on exigeait d’adolescents une maturité qu’on trouve chez peu d’adultes pour comprendre la complexité de cette notion.

Les systèmes d’identification des adolescents sont complexes et il est difficile en histoire de traiter avec eux le 8 mai 1945, la fin de la guerre et la libération de la France mais aussi les évènements de Sétif et de Madagascar.

La culture.

Wahida témoigne sur le besoin de culture de ces élèves. Si l’école ne leur donne pas les codes, qui le fera ? On a l’obligation de les instruire, sur tout : les humanités,’la musique, le jazz, les classiques. C’est vital pour eux. Enseignante pendant 7 ans en lycée professionnel, je n’ai jamais eu de problème pour les emmener au théâtre. j’ai aussi le souvenir d’une belle victoire : leurs réactions à la lecture en classe de Montaigne et du chapitre sur les cannibales : "Mais madame, c’est comme ça qu’on parle de nous ». L’occasion d’un beau travail pour se repositionner.

Pour ma part, j’ai toujours tenu à tout enseigner sans me retenir devant leurs éventuels réflexes religieux. En cas de protestation, on ouvrait le dialogue et je développais la distinction entre les croyances personnelles et familiales de chacun et la culture de l’école.

Des participants appuieront ce témoignage. Un directeur d’école de Nanterre parle de la fierté des élèves et de leur famille après avoir monté le Cid.

BenoIt Falaize cite le travail d’un collège sur la Shoah où les élèves ont chanté des chants Yiddish, devant leurs mamans voilées ,sans qu’ aucune ne soit choquée. Mais bien sur ce jour-là, on aurait aimé voir l’ensemble des journalistes éducation français !

Les médias aiment les scandales et les petites phrases, c’est pourquoi ils préfèrent inviter Zemmour.

Nous sommes face à une question sociale plus qu’à un problème ethnique. Dans le débat on précisera que la question est à la fois sociale et ethnique

LE DÉBAT

Marc Douaire encourage à lire et à faire lire ce livre qui pousse à "faire société".

Un principal souligne que nous ne devons plus avoir avoir peur du débat : on doit développer une formation au débat, y compris et surtout sur les questions sensibles.

Wahida témoigne et se dit choquée par ce qu’elle a pu entendre dans les médias cet après midi. Ainsi, la référence à un travail fait par des élèves journalistes sur « l’islamisation de la Seine Saint Denis », ou les déclarations d’un gradé policier accusant J.-L.Mélenchon de se conduire "comme un caïd de banlieue", comme si les jeunes des banlieues étaient la référence négative universelle.

Un CPE en LP à Champigny confirme qu’il y a une radicalité autre que religieuse. La concurrence mémorielle existe mais est à mettre en relation avec les discriminations. Les débats sur les discriminations de genre font oublier les discriminations sociales et ethniques.

A propos du besoin de culture, un participant évoque le conflit entre culture populaire et culture savante. Comment les articuler ? Benoît Falaize rappelle que depuis le 19ème siècle il y a toujours eu une dévalorisation de la culture populaire.

A plusieurs reprises, le débat a bifurqué vers l’image de l’éducation prioritaire dans la presse à propos du rapport de la Cour des Comptes publié le jour même. On a cité par exemple le titre d’un article du Monde : "l’aveu d’échec de l’éducation prioritaire". Plusieurs participants regrettent qu’on ne parle qu’en négatif de ce dispositif et jamais de "nos réussites et de notre travail quotidien."

Wahida conclut en disant qu’elle doit tout à l’éducation prioritaire.

Compte rendu rédigé par François-Régis Guillaume

 

Voir aussi : Territoires vivants de la République. Ce que peut l’école : réussir au-delà des préjugés, coordonné par Benoît Falaize, éditions la Découverte, août 2018. Entretiens des auteurs avec le Café, ToutEduc, les Cahiers pédagogiques

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