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Les parcours d’excellence en REP+, une étude dans le dossier de "Formation Emploi" sur la sélection (ToutEduc)

19 octobre 2022

Les nouvelles logiques de sélection à l’école, à travers le prisme des Parcours d’excellence (Cereq)

Quelles formes et quelles logiques de sélection sont à l’œuvre dans l’enseignement, et quels effets ont-elles sur les trajectoires des élèves ? Marianne Blanchard et Philippe Lemistre, sociologues, les décrivent, en se fondant sur les différentes contributions au numéro 158 de la revue Formation Emploi, comme “tout ce qui contribue à ce qu’une partie de la population des élèves/étudiant.es n’accède pas à certaines filières et formations.“ Elles apparaissent “au fondement de la ségrégation sociale et genrée qui caractérise encore aujourd’hui les trajectoires scolaires, en dépit des politiques de généralisation scolaire".

Ils décrivent ainsi un “nouvel âge de la sélection“ qui se caractérise notamment par un système éducatif massifié et ségrégué, avec des “parcours qui restent fortement différenciés, notamment en fonction du sexe et de l’origine sociale“. En effet, quel que soit le niveau considéré, “la durée des études et le niveau de diplôme atteints dépendent de ces deux variables : les sortants précoces du système scolaire sont plus souvent des garçons d’origine populaire, tandis qu’à l’inverse, l’obtention d’un diplôme de niveau bac + 5 concerne principalement les classes supérieures et de plus en plus de femmes, celles-ci étant aujourd’hui plus diplômées que les hommes." Et, au-delà du niveau atteint, “le type de formation tend à discriminer de façon croissante les parcours : conformément au processus de démocratisation ségrégative, l’élargissement social de l’accès à un niveau scolaire (baccalauréat, enseignement supérieur) s’accompagne d’une différenciation croissante des composantes propres à ce niveau.
“ Ainsi, continuent-ils, alors que les enfants d’ouvriers représentaient, en 2020, 13 % des bacheliers, ils étaient sur-représentés parmi les bacheliers professionnels (20 %) et sous-représentés en filière générale (9 %), à l’inverse des enfants de cadres (21 % de l’ensemble, 7 % des bacheliers professionnels et 30 % des bacheliers généraux). Des clivages qui s’exacerbent dès que l’on entre dans le détail de ce diplôme, car “qu’il s’agisse du baccalauréat général, technologique ou professionnel, les filières et spécialités participent d’une ségrégation sociale et sexuée".

Libre choix

Ce nouvel âge de la sélection se caractérise également par la multiplication des dispositifs de sélection et par l’importance d’un discours du libre choix faisant peser sur les élèves la responsabilité de leur parcours de formation. Si les formes de sélection les plus précoces ont été abolies, elles “se retrouvent sous des formes amoindries et/ou plus tardives, à la faveur du processus d’ ‘élimination différé‘ identifié dès 1979 par Françoise Oeuvrard“, désignant le report dans le temps des processus d’exclusion des élèves de classes populaires : “l’allongement de la scolarité obligatoire à 16 ans en 1959 a ainsi conduit à maintenir ces derniers plus longtemps dans le système éducatif, en remplaçant ‘le mode brutal de sélection et d’élimination‘ par des formes de hiérarchisation douces (entre établissements, entre filières, entre options et entre élèves)“. Une autre étude a montré qu’en dépit de la mise en place du collège unique, en 1975, puis de la suppression du palier d’orientation en 5e vers les voies professionnelles, le collège reste une instance opérant un tri scolaire et social, par le biais du placement dans des classes atypiques, le redoublement et enfin l’orientation vers la voie professionnelle à la fin de la classe de 3e.

Le système scolaire français se caractérise de façon plus générale “par un sentier de dépendance fort, la trajectoire dans le secondaire (avoir redoublé ou non, être passé par la voie professionnelle ou non, le choix des options et le type de baccalauréat) imprimant sa marque sur la trajectoire future et les chances d’accéder ou non à certaines formations.“ L’orientation dans le secondaire, largement liée aux résultats scolaires est ainsi “toujours en même temps sélection et présélection“.

Parcours d’excellence

Une des contributions de la revue s’intéresse, dans le secondaire, à l’éducation prioritaire qui “s’est inscrite dans une logique de sélection individuelle se caractérisant, depuis le début des années 2000, par la multiplication des dispositifs destinés à élargir le recrutement social de l’accès aux filières d’excellence". Cette notion d’excellence “s’est progressivement imposée dans la politique française d’éducation prioritaire entre 1999 et 2005 et y a perduré à travers une succession de programmes s’en réclamant.“

Les multiples politiques d’excellence (dont font partie les "parex", les parcours d’excellence étudiés dans cet article, mais aussi les Cordées de la réussite, les Conventions éducation prioritaire, les Pôles excellence,..) “cristallisent ainsi une montée en puissance de la rhétorique du mérite. Elles entérinent l’idée d’inégalités justes entre les élèves, à condition qu’elles reposent sur des écarts de talents, d’effort ou de volonté.“

Alors que “ces programmes entendent préserver l’illusion méritocratique“, les auteurs souhaitent analyser les dynamiques sélectives du programme national parex (2016-2020), et les conceptions du mérite qu’elles mobilisent, en investiguant les processus de sélection propres à ce programme à l’échelle d’une académie particulièrement dotée en établissements relevant de l’éducation prioritaire. Avec pour idée de “mettre en évidence les effets combinés de l’hétérogénéité des visions du mérite et du mode de gouvernance propre à ce dispositif“.

Mérite

Premier enseignement, ces programmes qui offrent aux élèves un ensemble de sorties culturelles, d’activités axées sur l’orientation et d’accompagnement scolaire, s’inscrivent dans la lignée d’autres programmes d’égalité des chances marqués par une volonté de distinguer certains élèves, mais “sans que les critères de cette distinction ne soient réellement définis“. Ceux-ci “semblent osciller entre plusieurs définitions du mérite et diverses stratégies pour l’identifier. Leurs objectifs changeants en sont un premier indice : ils visent tantôt l’ouverture sociale des filières d’élite, s’appuyant alors sur une définition du mérite comme position atteinte ; tantôt l’élévation des aspirations des élèves de l’éducation prioritaire, sans privilégier les filières les plus sélectives, se référant à une définition en termes d’écart mesuré, ou encore l’apport de ressources auprès d’élèves en demande, sans objectif précis en termes d’orientation.“

Il en est de même pour le contenu donné au mérite, avec des définitions différentes qui “coexistent ou s’opposent : une acception académique qui réserve ces programmes aux élèves aux meilleurs résultats scolaires, celles et ceux pour lesquel.les une poursuite d’études sélectives est considérée comme envisageable“, et une acception qui peut être qualifiée de ‘néolibérale‘, s’appuyant sur l’identification d’un ‘potentiel‘, catégorie populaire au sein de ce type de programme, ou qui tend à privilégier la motivation.“

Ainsi ces différents programmes d’égalité des chances “tendent à combiner, dans des proportions variables, ces critères scolaires, comportementaux et motivationnels. Ils contribuent ainsi à une redéfinition du mérite, relativisant sa dimension scolaire au profit de nouveaux critères, tendance commune à d’autres pays.“

Cependant, en pratique, “la mise en œuvre de ces politiques oblige à trancher ou à combiner ces différents usages, poursuit l’article du Cereq. Dans les textes ministériels relatifs aux programmes d’excellence mis en place en éducation prioritaire, cette notion n’est jamais définie et les critères permettant de l’objectiver ne sont pas explicites. Non tranchée à l’échelle nationale, cette problématique est déléguée à l’échelle académique, puis aux établissements du secondaire qui s’y trouvent confrontés concrètement par la nécessité de mettre en place ces programmes et donc de sélectionner les élèves bénéficiaires.“

La logique globale est de "donner aux élèves issus des milieux modestes des moyens supplémentaires de réussir et d’exceller dans la voie qu’ils ont choisie". Les élèves ciblés ne doivent donc pas nécessairement l’être en fonction de leurs résultats scolaires, tous les élèves ont théoriquement la possibilité d’y participer s’ils le souhaitent. Mais “ce cadrage national relativement large se heurte à la notion d’excellence inscrite dans le nom même du programme et à la nécessité de sélectionner pour l’opérationnaliser. Le passage à l’échelon académique agit comme un révélateur de ces contradictions. Dans l’académie enquêtée, le Rectorat fait le choix de restreindre la cible aux élèves se projetant dans des études supérieures. Dès les premières réunions de pilotage entre acteurs éducatifs des établissements et le Rectorat en 2016-2017, un désaccord voit le jour entre, d’une part, des tenants d’une "excellence pour tous" s’opposant a priori à toute forme de sélection entre les élèves et, d’autre part, ceux qui affirment ne pas avoir peur du mot "excellence"‘ et revendiquent une lecture relativement élitiste du dispositif“.

Sélection

Pour les référents Parex (acteurs éducatifs tel qu’enseignant, CPE ou chef d’établissement), définir l’excellence renvoie à des débats éthiques parfois difficiles à trancher. Ils provoquent donc de nombreux arbitrages, renvoient à des injonctions paradoxales (l’excellence, la sélection des élèves volontaires et la réussite de tous) et ouvrent la porte à une variété de mises en œuvre et de pratiques.

Pour les chefs d’établissement, il s’agit surtout de sélectionner les élèves aux meilleurs profils scolaires, se fondant sur une définition absolue et académique du mérite ; pour les CPE, il s’agit plutôt d’élargir les publics cibles, en cherchant à étendre la définition du mérite mobilisée (par exemple en invoquant la notion de mérite "civique") ; enfin, la dimension motivationnelle apparaît centrale dans la vision que les enseignants ont du mérite ; elle est aussi un moyen de s’assurer que les élèves sélectionnés perdureront dans le dispositif.

De plus, cette sélection, qualifiée de “peu cadrée institutionnellement et porteuse de logiques hétérogènes“, conduit à une sélectivité et des modalités d’entrée dans le programme qui sont variables d’un établissement à l’autre.

Au final, il semble pour les auteurs de cet article qu’existe "une forme de contradiction entre le principe général des PAREX (accompagner des élèves volontaires pour assurer l’égalité des opportunités de réussite) et son objectif initial, la levée de l’autocensure dans des choix scolaires ambitieux pour les élèves de REP+". De plus, “la montée en puissance du concept de ‘l’élève volontaire‘, qui saurait choisir rationnellement les opportunités favorisant son parcours scolaire, symptomatique d’une nouvelle logique de sélection, génère au contraire de l’autocensure de la part d’une partie des élèves qui ne perçoivent pas l’intérêt immédiat de certains dispositifs.“ Le Cereq souligne en outre la surreprésentation des filles parmi les élèves PAREX, et dresse un portrait-robot de l’élève PAREX typique au sein de la population des élèves REP+ : une bonne élève d’établissement de centre-ville. De même, dans la majorité des établissements enquêtés, la performance scolaire demeure un élément structurant et le niveau de sélectivité reste important.

Revue Formation Emploi n°158, Un nouvel âge de la sélection scolaire ?, 155p., CEREQ, juillet 2022.

Extrait de touteduc.fr du 11.10.22

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