Séminaire OZP du 13 mai 2023. Table ronde : comment faire réseau ?

22 mai 2023

Séminaire OZP du 13 mai 2023.
« Faire réseau en éducation prioritaire ; quels contenus ? quelle animation ? »

Table ronde suivie d’un débat :
« Comment faire réseau ? »

Avec la participation de :
Jean-Claude Rolland, conseiller pédagogique de circonscription à Epinay-sur-Seine,
Philippe Rocher, coordonnateur d’éducation prioritaire à Epinay-sur-Seine,
Pascal Sientzoff (Carep de Reims),
François-Régis Guillaume (OZP), animateur.

De gauche à droite : J.-C- Rolland, Philippe Rocher, F.-R. Guillaume, P. Sientzoff-

 

Introduction, par François-Régis Guillaume
Beaucoup a déjà été dit ce matin sur le fait qu’un réseau d’éducation prioritaire c’était du temps (de la pondération ou du remplacement), des échanges, des moments et lieux de rencontres, des espaces, des instances, des outils, des leviers, des sites, des personnels et des pilotes et coordonnateurs. Egalement sur le fait qu’un réseau nécessite appelle impulsion et engagement.
Lors de enquête "Enseigner en collège en ZEP" de la Depp en 1997 à laquelle j’ai participé, les enseignants interrogés définissaient une ZEP d’abord sous l’angle des moyens supplémentaires et 35% des enseignants pensaient ne pas être en ZEP.
Voir aussi la Note d’information de 1998 : "Enseigner en ZEP"

Jean-Claude Rolland
Je suis conseiller pédagogique de cette circonscription depuis 2002 et aussi formateur.
La circo Epinay-sur-Seine est une circonscription à 100% éducation prioritaire puisque toutes les écoles de la ville en font partie. Elle compte 15 écoles élémentaires, 15 écoles maternelles. La ville compte également 4 collèges : 2 en REP+ et 2 en REP.
Pour le conseiller pédagogique qui arrive et constate les difficultés de nombreux jeunes enseignants la question est de savoir comment les aider à ne pas vivre dans la solitude et comment faciliter les échanges de pratiques. Mais il importe d’abord de connaître les préoccupations professionnelles des uns et des autres.
Pour cela, j’ai lancé à titre personnel en 2003 un premier site appelé Eppée sur la plate forme Ouvaton
Note de l’OZP : ce site n’est plus alimenté mais reste accessible au public car l’abonnement au site de l’hébergeur continue à être réglé.
Sur ce site, le forum le plus couru au départ, à l’époque où les réseaux sociaux n’existaient pas, était celui des Atsem, des agents qui dépendent de deux autorités et qui se doivent de travailler avec d’autres.
En 2005 le Rectorat a voulu favoriser le développement des sites d’écoles : on a ouvert un site dans chaque école et un site de circonscription. Puis ces sites ont été fermés du fait d’une mise à jour et cette mémoire a été perdue.
En 2014 un nouveau site de circonscription a été ouvert. Il est très ergonomique. Les écoles ont pris l’habitude d’y échanger et notamment avec une visée de mise en commun de leurs productions. Ce site conserve en archive l’histoire de la circonscription. Il a aussi permis de développer une culture de l’évaluation partagée, support d’un travail collectif.
Nous n’avons pas peur des regards extérieurs et avons une politique de transparence : le site est accessible à tout le monde. Son fonctionnement repose aussi sur la confiance mutuelle vis-à-vis des enseignants. Pendant la longue grève administrative des directeurs d’école, la circonscription a quand même pu travailler sur les évaluations, dans le même esprit de partage des informations et de travail collectif.
L’accompagnement que nous proposons est d’autant mieux accepté que nous disposons de ce capital de confiance auprès des professeurs des écoles. Déjà avant la création des sites, le conseiller pédagogique était reçu dans les classes sans difficulté.

Philippe Rocher
Philippe Rocher est coordonnateur depuis 2005 et se présente comme le coordonnateur en fonction le plus "vieux" en Seine-Saint-Denis et - sans doute craint-il - en France. Il fonctionne sur deux réseaux. Après un passage dans un autre réseau en cours de création à la demande de l’institution, il revient à Epinay cette année.
Le site est structuré à partir des réseaux d’éducation prioritaire. Il s’agit de mettre en commun, d’organiser le collectif, de favoriser aussi l’interprofessionnel au sein de la circonscription en interconnectant les réseaux pour favoriser la mutualisation et non la concurrence. Les formateurs REP+ sont intégrés à ce travail collectif.
Le rapprochement avec les collèges a été grandement facilité par la place qu’il consacre aux mathématiques (J.-C Rolland est référent mathématiques de circonscription). Chaque semaine le site publie des énigmes mathématiques et toutes les classes jouent le jeu sur un padlet.

Ce site constitue un pôle commun pour des métiers différents jusqu’au cœur des classes. On diffuse tout ce qui se passe dans le réseau, notamment les comptes rendus des différentes réunions. Nous avons développé un grand sentiment d’appartenance à la circonscription et à la ville d’Epinay. Les conseillers de circonscription participent aux formations éducation prioritaire.
A Epinay, en dehors des quelques sites d’écoles encore actifs [voir la rubrique "Détails" du site de la circonscription), un site de collège appuyé sur son CDI a fonctionné quelque temps puis s’est arrêté.

François-Régis Guillaume : Quelle attitude ont les pilotes face à ces innovations ?

J.-C. Rolland. Nous avons au départ posé une exigence d’autonomie sur les contenus qui a été acceptée. Cette liberté de manœuvre repose sur la confiance et la loyauté de notre part.

P. Rocher. La place du second degré sur notre site ne va pas de soi. Le portail diffuse toutes les informations aux deux degrés. Le site de la circonscription fonctionne comme un Carep local. Je dépends à la fois de l’IEN de la circonscription et de l’IEN chargé de l’éducation prioritaire au niveau départemental. On m’a confié la mission de créer un REP+ intercommunal (Myriam Makeba) et j’ai fonctionné en binôme avec le principal. J’ai développé aussi un partenariat avec les maisons de quartier. Cette parenthèse éphémère a compté beaucoup dans ma vie professionnelle
Malheureusement le cycle 3 n’existe guère en réalité. Il ne suffit pas de 2 ou 3 réunions par an pour faire réseau. Moi qui suis là depuis longtemps je constate qu’on recommence sans cesse avec les mêmes problématiques.

Pascal Sientzoff
Pascal Sientzoff, professeur d’histoire et géographie dans l’académie de Reims, a pris la responsabilité du CAREP de Reims depuis 2012.

Il est essentiel que les gens se connaissent à la fois en tant que personnes et dans leurs métiers spécifiques. Il faut aussi qu’ils connaissent leur environnement et qu’ils travaillent ensemble dans la durée.
Veut-on vraiment faire réseau ?
La situation diffère de celle présentée par Sophie Fournier où l’on travaille pour obtenir le label E3D. Nous, on nous donne le label d’abord et on doit se débrouiller après pour faire réseau, pour établir le projet. Je suis assez pessimiste mais je pense que l’on doit néanmoins continuer.
La question centrale sur notre action doit être celle-ci : Où est l’élève dans tout cela ?
Il m’a fallu d’abord me former pour être formateur. C’est une posture délicate, et on le perçoit bien quand on pénètre dans la salle des professeurs : c’est un lieu où on vide son sac mais ce n’est pas un espace de travail. Les établissements manquent de salles de travail permettant des rencontres en petits groupes. Notre fonction repose essentiellement sur la relation. Les réseaux se construisent d’eux-mêmes mais de façon très différente selon l’échelle, nationale, académique ou locale.
La création des RAR et ma nomination comme professeur référent m’ont fait beaucoup avancer sur le plan professionnel. Elles m’ont d’abord montré que le travail d’équipe n’existe pas spontanément. Il faut construire ses partenariats de travail.
On dit souvent que nos élèves ne possèdent pas les codes de l’école mais nous, avons-nous les codes de ce travail collectif ?
Il faut d’abord donner le goût de la rencontre, reconnaître autrui, améliorer la réciprocité dans les relations. Le Carep propose un accompagnement mais l’accompagnement n’est pas accepté par tous. Les gens veulent-ils vraiment être accompagnés ? Pour cet accompagnement, je demandais aux pilotes d’expliciter la demande du terrain mais je n’ai jamais pu voir les enseignants.
Il faut partir des élèves et des familles avant de construire le faire réseau, expliquer ce qu’est un objet de travail et en faire ressortir un suffisamment précis au sein des écoles. Quant aux jeunes enseignants, il faut les aider à sortir de l’image ancienne qu’ils ont de l’école. Mais à cause du turnover des pilotes, les projets s’arrêtent subitement. Il est essentiel de garder des traces et un minimum de mémoire. Pour favoriser la mise en place des projets, il faudrait une formation en ingénierie de projet.
Le caractère "gazeux" du réseau est un avantage, de même le fait que le coordo soit hors structure.

Anne Armand (conseil scientifique de l’OZP) rappelle qu’elle choquait les néo-certifiés en formation en déclarant que finalement la connaissance de leur discipline n’était pas le plus important.
Il faut sortir de la résolution de problèmes et s’attaquer plutôt aux aux contradictions fondamentales qui bloquent tout, surtout au niveau des échelles supérieures, académiques ou nationales.

FRG : les cités éducatives favorisent-elles le fonctionnement en réseau ?
PR : elles ont plutôt tendance à morceler les réseaux existants. [Voir en bas de cette page le complément d’information envoyé par l’intervenant]
J.-C. Rolland : rien ne fonctionne ensemble entre les cités éducatives et l’éducation prioritaire

 

Note du Quotidien des ZEP : Jean-Claude Rolland et Philippe Rocher sont déjà intervenus il y a longtemps (en mai 2006) lors de la Journée OZP "ZEP-REP. A la recherche de l’excellence pédagogique. Pour une professionnalisation enseignante"
Ils y ont animé un atelier sur le thème "Pratiques de réseaux". L’exemple d’un réseau Internet local à Epinay-sur-Seine".
Voir le compte rendu détaillé de cette intervention qui apporte de nombreuses informations complémentaires sur la création du site et son évolution ultérieure.

Compte rendu rédigé par Marc Bablet et Jean-Paul Tauvel

 

Après publication de ce compte rendu, Philippe Rocher, que nous remercions pour ces précisions, nous a fait parvenir le complément d’information suivant sur la Cité éducative d’Epinay.

Deux quartiers QPV seulement ont été choisis. Pour le premier degré, 14 écoles, soit quasiment la moitié des écoles de la ville (30), toutes en EP. Sur mon REP+ de 10 écoles (un des plus gros de l’académie de Créteil), 6 seulement sont en cité éducative, les 4 autres n’étant pas dans le quartier QPV concerné.
Pour le second degré, deux collèges sur 4, et les deux lycée de la ville.

Pour les 14 écoles qui appartiennent à la Cité Educative d’Epinay tout en étant membres de deux REP+ différents, cette situation semble à première vue aller dans le sens du travail fédérateur inter-REP/REP+ du site de circonscription, mais le problème est qu’à la différence de La Courneuve la Cité ne se propose pas de fédérer les écoles de tout le territoire. Seuls l’échelle circo, ses réunions de directeurs, son équipe, ses partenariats municipaux… et le site le permettent.

Et à une autre échelle, ce qui fédère surtout les acteurs ce sont les REP+, qui sont certes concernés, mais la Cité Educ ne semble pas jusqu’ici avoir contribué à un quelconque renforcement de la synergie et de la cohésion des réseaux en tant que réseaux résonnants et raisonnants.

Il est toutefois encore possible d’envisager de financer (et c’est beaucoup de cela qu’il s’agit…) des projets ambitieux en intercycles et interdegrés sur les axes retenus. Et pour les écoles en cité éducative, les pilotes, les chargés de mission ville et educ.nat., et les coordos REP+, ont fait en sorte cette année que la mutualisation du matériel soit respectée, ce qui signifie que ce matériel appartient à toutes les écoles en cité éducative de la ville et peut être utilisé par chacune d’elles selon ses projets et besoins. Une mise en commun qui limite la dimension trop micro locale des projets… lesquels sont aussi à interroger parfois quant à leur impact sur la réussite des élèves et la réduction des inégalités scolaires.

Il reste qu’à l’échelle de la ville un sentiment d’inégalité s’est aussi fait sentir, d’autant que certaines écoles en REP considèrent à juste titre que leur situation et leurs besoins (en formation par exemple, et en temps de travail en équipes) sont exactement les mêmes que ceux des écoles voisines en REP+.

 

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