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Des enfants de trois à seize ans non scolarisés : enfants tsiganes et voyageurs, déscolarisés, décrocheurs, AIS, enfants d’immigrés primo-arrivants... (Rencontre OZP, novembre 2002)

novembre 2002

-----LES RENCONTRES DE L’OZP-----

Observatoire des zones prioritaires - www.ozp.fr

n° 35 - novembre 2002

Des enfants de trois à seize ans non scolarisés

Compte rendu de la réunion publique du 6 novembre 2002

La présence de tous les enfants de 6 à 16 ans à l’école, dans la France du XXIe siècle, est sûre, certaine, évidente, connue de tous et il serait absurde de revenir là dessus ! C’est pourtant ce que l’OZP a voulu faire.

Tous les enfants sont-ils effectivement à l’école ?

Tout de suite, on pense, d’une part aux enfants tsiganes (tziganes) et voyageurs, d’autre part aux déscolarisés, ceux qui abandonnent l’école à partir d’un certain âge. Deux catégories donc :
. En mai 2001, l’OZP avait analysé (Rencontre n° 26) la scolarisation des élèves tziganes (ou tziganes) et voyageurs en ZEP, lors d’une réunion dans le Puy-de-Dôme, département où l’Éducation nationale a créé un « REP voyageurs » avec six collèges, structure tout à fait intéressante.
. Quant aux décrocheurs, déscolarisés et autres élèves de collège ou de lycée qui disparaissent du système éducatif pour diverses raisons, ils intéressent les membres de l’OZP car ils peuvent être révélateurs de dysfonctionnements du système scolaire, mais ne concernent pas directement une association travaillant sur les territoires de l’éducation prioritaire.

Reste-t-il, alors, des enfants non scolarisés qui n’appartiennent pas à l’une de ces deux catégories ? Oui :
. II y a d’abord des enfants relevant de l’AIS - Adaptation et intégration scolaire - (malades, déficients, handicapés), à qui l’on est incapable d’attribuer une place dans un établissement ou une classe adaptée. Ce scandale ne concerne pas le domaine de l’OZP mais est bien connu des enseignants de ZEP car, manifestement, les élèves qui « restent sur le carreau » en attente de placement sont plus souvent issus de familles habitant les ZEP que de familles de milieux aisés.
. II y a aussi, autre scandale, les enfants et les jeunes primo-arrivants pour lesquels le même phénomène d’attente de place existe. Cette situation, on le sait, est absolument illégale. La scolarisation sans délais dans la classe d’âge appropriée et dans le secteur scolaire d’habitation est obligatoire. Les parents ignorent cette disposition, les enseignants aussi ou bien ferment les yeux.

Les chefs d’établissements et responsables de service dans les inspections académiques trouveront un jour, espérons-le, en face d’eux un jugement de tribunal administratif les condamnant. Alors, les choses évolueront. Une plainte, au moins, est en cours, mais les délais sont longs.

Aux deux premières catégories (voyageurs et décrocheurs) s’ajoutent donc deux autres (enfants en attente de placement AIS ou de placement en classe pour non-francophones).
Voilà beaucoup de monde pour un ensemble vide au premier abord !

Reste-t-il, au-delà, encore d’autres enfants qui ne sont pas inscrits à l’école ?
En 1991, un article du quotidien Le Parisien affirmait que des enfants d’une dizaine d’années étaient employés à des travaux de couture douze heures par jour dans des ateliers clandestins dans le nord des Hauts-de-Seine. Gros émoi local, enquêtes multiples... rien n’est découvert !
Le rectorat de Versailles, pour sa part, réagit alors en organisant un stage de formation continue pour le second degré intitulé « Les intouchables de l’éducation ». Il est annoncé au Plan académique de formation et vise à rassembler toutes informations sur les enfants et adolescents non scolarisés et à étudier ce qu’il convient de faire pour les repérer et les scolariser. Le résultat est décevant : des quatre départements de l’ouest parisien concernés, aucune information utilisable ne sort, si ce n’est l’émergence de la question des décrocheurs, dont on commence alors à parler.
De temps à autre, on constate ici ou là qu’un enfant de plus de six ans n’est pas scolarisé. Ces découvertes sont considérées comme des exceptions et, comme ces enfants sont vite repérés par les services sociaux et vite scolarisés, on considère qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter.

L’école sans murs

Pourtant, l’OZP a appris, courant 2002, qu’une « école sans murs » avait été créée en l’an 2000 en Seine-Saint-Denis pour scolariser les enfants non inscrits de deux communes. Il a voulu en savoir plus et a invité les promoteurs de cette « école ».
Frédérique Seychal et Lundja Maury, enseignantes, ont présenté le travail qu’elles mènent avec Françoise Vernevaut, éducatrice. Christine Gouban, directrice d’école, et Robert Patrois, proviseur de lycée, référents institutionnels, étaient présents.

Les villes de Clichy-sous-Bois et ’’Montfermeil forment le territoire sur lequel cette équipe de trois personnes travaille pour la troisième année. L’objectif est de repérer des enfants de quatre à douze ans non scolarisés et de les amener dans les structures scolaires ordinaires correspondant à la scolarité à laquelle ils ont droit. L’enseignement privé catholique, à l’initiative de ce projet, va servir de support.

L’originalité du dispositif repose sur deux points :
. Tout d’abord, le travail de repérage va se faire par immersion dans les actions associatives locales de soutien scolaire, d’action sociale, d’insertion culturelle et professionnelle, de regroupement communautaire. Il ne s’agira pas de constituer des dossiers, d’établir des listes ou des recoupements administratifs, mais d’entrer en contact avec toutes les personnes susceptibles de connaître l’existence d’enfants non scolarisés chez des amis, des voisins, des connaissances communautaires... et de les amener à persuader ces derniers de prendre contact avec « L’école sans murs ». La participation de l’équipe aux bibliothèques de rue lui permet de rencontrer des enfants et des familles dans un climat positif, ce qui, par rapport à l’objectif de « L’école sans murs », se révèle fort efficace.
. D’autre part, la mise au travail scolaire, selon des modalités spécifiques, est immédiate, sans attendre que les conditions administratives (adresse légale, parent ou tuteur déclaré), médicales (vaccinations) et parfois culturelles (disposition mentale des enfants à rejoindre l’école) soient réunies ; dans le même temps, un accompagnement des parents est assuré pour accélérer les démarches en vue d’une inscription scolaire.

Ces deux caractéristiques ont permis de tisser des liens avec les familles et les proches, en évitant le contexte d’une application brutale de la législation. L’équipe, désormais, est connue et considérée comme indépendante des services de la Préfecture - bien que des démarches d’accompagnement des parents doivent parfois être entreprises -, indépendante des services de police - bien qu’il s’agisse souvent de clandestins -, indépendante des services sociaux - bien que des liens réguliers et non dissimulés existent.

Cette démarche à deux volets - prise en charge scolaire immédiate et climat de confiance - permet, on l’a vu, que les délais d’attente de papiers permettant l’entrée à l’école maternelle ou élémentaire du quartier ne soient pas du temps perdu pour les enfants : éducatrice et enseignantes assurent, au cas par cas, une prise en charge éducative et scolaire dont l’objectif, plus que d’enseigner immédiatement, est de développer le désir de scolarité ordinaire avec les autres enfants.
Ce travail avec les enfants se double inévitablement d’un autre travail avec les parents, car l’énergie extraordinaire habituellement déployée par les parents immigrés, même récemment arrivés, même de pays fort éloignés culturellement de l’école française, pour inscrire très vite leurs enfants à l’école a des exceptions : il en existe qui restent passifs, pour des motifs liés à l’absence de papiers, ou encore parce qu’il est plus facile d’utiliser les services que peuvent rendre à la maison des enfants d’âge correspondant à l’école élémentaire pour garder les plus petits.

L’implantation est dorénavant bien assurée
Les écoles maternelles et élémentaires des deux communes sont en contact, les membres de l’équipe participent à certains conseils d’école, les inspectrices de l’Education nationale étant les interlocutrices naturelles de « L’école sans murs ». Des liens permanents existent avec l’ensemble des associations locales touchant les familles. L’IUFM de Livry-Gargan s’intéresse désormais à ce travail.
Le nombre d’enfants touchés est relativement réduit : vingt-cinq au bout de deux ans et demi. Ce chiffre, cependant, peut être considéré comme énorme, si l’on prend comme point de vue que la scolarisation d’un seul enfant est décisive pour son avenir que toutes les mobilisations nécessaires pour y parvenir sont justifiées. À la troisième année d’existence de cette opération, les enfants non scolarisés le sont désormais - ou du moins on peut raisonnablement l’espérer - et l’objectif de l’équipe s’est transformé : celle-ci cherche désormais à jouer le rôle de « pont » entre la maison et l’école pour les familles récemment immigrées qui passent difficilement les obstacles de la scolarisation de leurs enfants nouvellement arrivés en France.

Quelques aspects particuliers ont été évoqués lors des échanges :

Les lieux effectifs de travail : ce sont des salles de centres sociaux, des locaux associatifs mis à la disposition de « L’école sans murs ». L’équipe s’adapte, elle doit souvent changer de lieu, mais elle estime que cette contrainte n’est pas grave. Elle se replie parfois sur l’école de Vaujours, à cinq kilomètres, là où se trouve le support institutionnel de l’institution privée à l’origine du projet.
Cette école de Vaujours a d’abord pris un contact en 2000 avec l’Inspection académique de Bobigny. Du point de vue administratif, les deux postes d’enseignants sont agréés par l’IA. Le poste d’éducatrice, lui, est directement dépendant de l’école de Vaujours, qui, pour son financement, a signé une convention d’aide avec l’organisation des Orphelins apprentis d’Auteuil (OAA).

La pédagogie est adaptée : c’est possible puisqu’il y a très peu d’élèves, parfois un seul ! Il ne s’agit pas d’une pédagogie particulière mais plutôt d’une recherche d’adaptation à chacun, formule qui sera bien plus difficile à pratiquer ensuite à l’école. Il y a des jeux, des livres, un ordinateur. Les enfants sont souvent non francophones. Les enseignants de « L’école sans murs » ont l’expérience d’une école ordinaire et visent donc à se rapprocher des conditions ordinaires d’une classe. On propose à l’enfant tout ce qui existe dans l’école - lecture, arts plastiques...-, disciplines ou activités qu’il connaît rarement car il n’a en général jamais été scolarisé auparavant.

Un des enfants s’est immédiatement révélé dépendre de l’AIS : aux problèmes d’inscription scolaire ordinaire se sont ajoutées les difficultés de reconnaissance par la Commission de circonscription. Mais les problèmes ont été surmontés grâce au travail des uns et des autres. Cependant, comme souvent, un délai d’attente a dû être observé et a été géré par « L’école sans murs ».
Deux autres enfants ont été considérés par la CDES (Commission départementale de l’éducation spécialisée) comme devant être inscrits en IME (Institut médico-éducatif) ou EMP (Externat médico-pédagogique), mais le manque de place chronique dans ce département en laisse encore un des deux en attente aujourd’hui.

Les enfants sans papiers : la présence d’enfants sans papiers étonne un participant, qui explique la procédure d’introduction via l’OMI (Office des migrations internationales). De plus, des services sociaux comme le SSAE (Service social d’aide aux émigrés) assurent le suivi. Quant à l’Education nationale, elle a un réseau de CLIN (classes d’initiation) à partir de sept ans, et de CLAD (classes d’accueil) à partir de douze ans.
L’équipe de « L’école sans murs » précise aux participants que les enfants en question sont accueillis en France par des parents « éloignés » (selon les critères occidentaux), eux-mêmes sans papiers. Nourris, logés, sans allocations familiales, ces enfants aident un peu aux tâches ménagères mais ne vont pas à l’école. Les familles, après avoir été contactées, acceptent finalement de les y envoyer, ce qu’elles n’avaient pas prévu au départ. Ces enfants ne sont pas maltraités ni vraiment exploités. Une fillette de huit ans était là depuis un an à garder un bébé.
A propos du réseau de classes pour non-francophones, l’équipe de « L’école sans murs » indique qu’elle connaît bien les instituteurs ou professeurs des écoles de CLIN mais que leurs classes sont saturées.

La mise en place de la « Veille éducative » : la suite des échanges a permis d’aborder la mise en place de la « Veille éducative », nouvelle formule prévue par les textes qui a notamment pour fonction, avec l’aide des élus locaux, de repérer les non-scolarisés. [NDLR. voir le n° 38, mars 2003, des Rencontres de l’OZP intitulé La veille éducative dans les municipalités.
Si cette « veille » n’est pas en place, les directeurs d’école sont présents dans les CESC (Comités d’éducation à la santé et à la citoyenneté), instances existant dans tous les collèges et qui, elles aussi, ont en charge, notamment, ce travail de repérage. On rappelle également l’article 142 de la loi du 29 juillet 1998, dite de « lutte contre les exclusions », qui oblige les écoles et établissements à choisir les moyens localement nécessaires pour assurer cette mission de lutte. La détection des non-scolarisés apparaît évidemment comme le premier de ces moyens.
D’autres témoignages sont apportés, mais ils concernent des élèves en rupture scolaire ou des élèves évincés du collège ou du lycée. Les problèmes apparaissent alors d’une autre nature.

En conclusion

La conclusion de cette réunion est apportée par un participant : l’Education nationale n’a pas vraiment le souci de repérer les non-scolarisés entre trois et seize ans. Elle estime que ces enfants n’existent pas (1) ou qu’ils vont venir rapidement d’eux-mêmes se faire scolariser. Un travail est pourtant à mener résolument, même si leur nombre est extrêmement faible. Le partenariat avec les services sociaux, les associations locales, tous les parents d’élèves est à développer de façon systématique.

(1) Au niveau national, quelques observations ont montré que le problème existait bien. Voir, par exemple, l’ouvrage de Marie-Paule Poilpot « Être parent en situation de grande pauvreté », page 119 (Eres éd., 2002). Une recherche universitaire mériterait d’être conduite à ce sujet, si aucune n’est déjà en cours.
Au niveau mondial, l’UNESCO a rassemblé le 21 novembre 2002 les spécialistes des « enfants des rues ». Les propos de Xavier Emmanuelli, d’Eric Debarbieux, d’Alain Birot et d’autres ont montré que la France n’était pas hors du débat, même si la dimension du problème n’avait pas la même ampleur que dans les pays en voie de développement

Compte rendu rédigé par Alain Bourgarel

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