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Le choc des savoirs est une contre-réforme du collège (Philippe Wattrelot sur son blog Médiapart)

13 mars

Le choc des savoirs est une contre-réforme du collège
Les fameux groupes de niveau ne sont pas un dispositif isolé. Ils s’inscrivent dans un ensemble plus vaste. Le « choc des savoirs » annoncé par Gabriel Attal le 5 décembre 2023 et que Nicole Belloubet va devoir appliquer constitue une remise en cause du « Collège unique ». Volonté délibérée ou juxtaposition de mesures ? Au final, c’est bien une contre-réforme du collège qui est à l’œuvre.

Philippe Watrelot
Ancien professeur de Sciences économiques et sociales, formateur, militant pédagogique,

Le Choc des savoirs

Gabriel Attal a le sens du timing et de la formule. Dès le 5 octobre, il missionnait une commission pour lui faire des propositions d’amélioration du système scolaire à rendre avant le 5 décembre 2023...
Pourquoi cette date ? Car c’est le jour de la publication des résultats de l’enquête PISA. Et c’est donc ce même jour que Gabriel Attal alors Ministre de l’Éducation Nationale a choisi de présenter son « choc des savoirs » Il dramatise et instrumentalise ainsi les résultats de l’étude réalisée par l’OCDE au service d’un plan global touchant le primaire et le secondaire.

« A compter de la rentrée prochaine, les élèves de 6ème et de 5ème seront donc désormais répartis en 3 groupes de niveaux pour leurs enseignements de français et de mathématiques. Ces groupes seront flexibles et leur dimension adaptée. Des créations de postes permettront de limiter le groupe des élèves les plus en difficulté à une quinzaine d’élèves ». On s’est surtout focalisé sur cette disposition qui suscite beaucoup de réactions aussi bien de la part de ceux (personnels de direction, enseignants) chargés de l’appliquer que de chercheurs qui en montrent les effets pervers. J’ai également contribué à ce débat avec une chronique récente.
Les récentes déclarations de la Ministre dans une interview au journal Le Monde, introduisant de la souplesse et une application dérogatoire pour l’année prochaine, ont été ensuite contredites parl’intervention du Premier Ministre sur France5 assurant que ce dispositif sera totalement appliqué. La crise d’autoritarisme de Gabriel Attal rajoute de la confusion et de l’ambigüité dans la mise en œuvre de cette usine à gaz. Mais ce n’est pas le sujet de ce billet.

Car le choc des savoirs comporte bien d’autres mesures qu’il faut énumérer pour prendre conscience des transformations qu’il implique :

• Des programmes articulés autour d’objectifs annuels
• Des programmes de mathématiques favorisant une approche concrète et imagée (méthode de Singapour)
• Des manuels labellisés obligatoires en mathématiques et en français
• Un socle commun réorganisé (en 2025) autour de compétences disciplinaires, de compétences psychosociales et de repères de culture générale.
• Doublement de l’horaire d’EMC (rebaptisée “instruction civique”et entièrement réécrite)
• Redoublement décidé “à la main” des enseignants
• Passage conditionnel dans la classe supérieure (tutorat, stage de réussite…)
• Le brevet devient « un véritable examen d’entrée au lycée »
• Mise en place d’une “prépa lycée” pour les élèves ayant échoué au Brevet
• Utilisation de l’IA pour des exercices adaptés aux élèves
• Renforcement des enseignements généraux de mathématiques, de français et d’histoire-géographie dans la voie professionnelle

Avec cette liste de mesures, le gouvernement s’attaque à plusieurs fondements de la politique éducative depuis plusieurs dizaines d’années. C’est le socle commun (introduit en 2005 puis modifié en 2013) qui va faire l’objet d’une refonte qui semble s’orienter vers une restriction. L’organisation en cycles d’enseignement (créés en 1989, modifiée en 2013) qui définissait des objectifs à atteindre en fin d’un cycle de 3 ans est remise en question avec le « retour » du redoublement. Et surtout c’est le principe du collège unique (créé en 1975), déjà bien entamé, qui est fortement remis en question. Un retour cinquante ans en arrière…

Un peu d’histoire

[...] Car il est difficile de départager entre coups de comm’ et stratégie globale. Ces mesures sont prises dans un contexte et une idéologie favorables à la sélection et perméable à une certaine démagogie populiste. Elles sont autant le produit des circonstances que d’une volonté clairement établie.

Mais, au final, ce débat est secondaire et ne doit pas empêcher de se mobiliser. Car ce « projet » ou cet ensemble de mesures ne sont pas juste une question technique. La pédagogie c’est éminemment politique !
Veut-on d’une société qui écarte les plus faibles et qui installe encore plus la ségrégation sociale ? Le tri sélectif ça ne devrait pas être pour les élèves !

Scolariser ensemble pour faire société

La remise en cause du collège unique me fait penser à cette expression américaine (à propos de l’immigration) : « le dernier arrivé ferme la porte ». Ici, tout se passe comme si les classes moyennes qui ont profité de la massification et d’une certaine démocratisation scolaire avaient la tentation de refermer la porte derrière eux. « Les « gueux », les moins favorisés, les nouvellement arrivés, les plus pauvres, ceux qui sont en situation de handicap, tous ceux qui ont des difficultés avec l’apprentissage ou qui n’en voient pas le sens, restez à l’écart... Vous allez nous gêner... »

La mixité sociale est aujourd’hui bien malmenée. L’École n’est qu’un des aspects de la ségrégation qu’on retrouve aussi dans nos villes. Rappelons que les ghettos les plus « efficaces » sont les ghettos de riches... L’épisode Oudéa-Castera a permis de le rappeler.
On peut être tenté de dire que cette question est secondaire et que ce qui importe c’est que tout le monde apprenne même si c’est séparément et que la sélection et l’élitisme sont de bonnes choses.
Mais la fonction de l’École n’est pas seulement l’instruction. Dès sa création, l’enjeu de l’École Républicaine est de « faire nation ». Comment faire société quand on n’apprend pas ensemble et qu’on ne vit pas ensemble ?
Le « choc des savoirs » peut aboutir au chaos et à la fragmentation de la société...

Philippe Watrelot
Le 12 mars 2024


Pour aller plus loin, je conseille la synthèse remarquable de Jean-Paul Delahaye sur son blog Médiapart sur l’évolution du collège unique et ses enjeux.

https://blogs.mediapart.fr/delahaye-jp/blog/210222/contribution-la-reflexion-sur-le-college-unique

Extrait de blogs.mediapart.fr du 12.03.24

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