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"Il ne suffit pas de déclarer sa fidélité aux classes populaires pour les rencontrer" (tribune de Thierry Pech, directeur de Terra Nova dans Le Monde)

9 novembre 2021

Thierry Pech : « Il ne suffit pas de déclarer sa fidélité aux classes populaires pour les rencontrer »
TRIBUNE
Thierry Pech
Directeur de Terra Nova

Selon le directeur du think tank Terra Nova, il existe une « incapacité persistante », de la part des partis et notamment de gauche, à comprendre les transformations et les divisions d’un monde populaire beaucoup plus divers qu’autrefois.Publié aujourd’hui à 01h19, mis à jour à 15h04 Temps deLecture 9 min.

Tribune. Voilà plus de dix ans que la gauche est accusée d’avoir « abandonné les classes populaires ». Ce faisant, elle aurait délibérément brisé son socle électoral historique et organisé sa propre déroute. Ceux qui adhèrent à ce récit prétendent en avoir trouvé la preuve dans la publication, en mai 2011, d’un rapport de Terra Nova sur la stratégie électorale de la gauche qui lui conseillait de rechercher les suffrages des jeunes, des femmes, des diplômés, des minorités et des quartiers populaires plutôt que ceux des ouvriers et des employés.

J’ai, dès mon arrivée à Terra Nova, pris mes distances avec ce rapport, mais la polémique qu’il a suscitée masque, aujourd’hui encore, un fait qui empêche la gauche de renouveler son assise : une incapacité persistante à comprendre les frontières et les transformations du monde populaire. C’est cette difficulté qui était le plus problématique dans l’analyse de Terra Nova, comme chez la plupart de ses contradicteurs, et qui transparaît, aujourd’hui encore, dans l’ensemble des discours politiques.

Le monde ouvrier, éloigné de l’industrie
Commençons par les ouvriers, composante longtemps hégémonique des classes populaires dans l’imaginaire collectif. La tendance des dernières décennies est clairement au déclin : les ouvriers représentent aujourd’hui 20 % de l’emploi total, soit 10 points de moins qu’au début des années 1980 et 20 points de moins qu’à la fin des années 1950. Le monde ouvrier s’éloigne en outre de l’industrie : si les ouvriers qualifiés (fraiseurs, chaudronniers…) n’ont pas trop mal résisté, les ouvriers non qualifiés sont passés, en quarante ans, de près de 30 % de l’emploi ouvrier à 15 % environ. Les deux tiers des ouvriers d’aujourd’hui ne travaillent plus dans le secteur industriel.

De fait, l’identification des ouvriers aux prolétaires des grands ateliers industriels d’antan relève de la persistance rétinienne d’une gauche nostalgique. Si elle veut renouer avec les ouvriers d’aujourd’hui, il ne lui suffira pas de parler au monde de l’usine ou de faire des gammes sur la réindustrialisation (projet essentiel, mais pour d’autres raisons). Qu’ils soient chauffeurs, cuisiniers ou maçons, la majorité des emplois d’ouvriers se trouve en effet aujourd’hui dans des entreprises de plus petite taille où la socialisation des expériences de travail est moins aisée, les interactions avec les autres catégories plus diversifiées et les syndicats souvent absents. Le sentiment d’appartenance au monde ouvrier s’est d’ailleurs affaibli : au début des années 2010, un quart seulement des ouvriers se considérait encore comme appartenant à la « classe ouvrière ». Celle-ci n’a pas seulement perdu en nombre et en cohérence : elle s’est aussi dépouillée d’une conscience d’elle-même et des grands récits qui lui donnaient forme.

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Extrait de lemonde.fr du 08.11.21

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