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"Débattre à partir des mythes" (2e édition revue), coordination Michel Tozzi, Chronique Sociale Editions, 208p., (ToutEduc)

31 décembre 2021

Additif du 26.01.22

Michel Tozzi : La DVP pour une "citoyenneté réflexive"
" La Discussion à Visée Philosophique (DVP) a une visée politique. Elle contribue à l’éducation à la citoyenneté réflexive". Michel Tozzi, philosophe et professeur honoraire de sciences de l’éducation, revient, dans " Débattre à partir des mythes. À l’école et ailleurs" (Chronique sociale), sur la mise en place de la DVP en classe et son rôle dans la formation intellectuelle des enfants.

Qu’est-ce que la discussion à visée philosophique ?

La discussion à visée philosophique est un échange entre les enfants, échange animé par l’enseignant ou un animateur. Ces échanges ont une double visée. Une visée démocratique car il y a partage des rôles entre les différents participants. Il y a un président de séance, un reformulateur, un synthétiseur et des observateurs. Nous sommes dans un système de co-animation, où l’animateur a partagé son « pouvoir ». Le président est sur la forme du débat, c’est-à-dire qu’il gère les prises de parole selon des règles. L’animateur, qui est généralement l’enseignant, s’occupe du fond, ce qui lui permet d’avoir une attention accrue à tous les élèves.

La deuxième visée est philosophique. La difficulté réside dans cette deuxième visée, comment faire en sorte que la discussion soit démocratique mais aussi philosophique ? Trois processus de pensée permettent d’entrer dans une discussion à visée philosophique. La problématisation, c’est-à-dire quand les élèves problématisent, se posent des questions, remettent en question les opinions et les préjugés de leurs camarades. La conceptualisation, c’est quand ils essaient de conceptualiser, de définir les notions qu’ils utilisent. L’argumentation, ce qui revient à ne pas dire ce que l’on pense mais penser ce que l’on dit. Argumenter les raisons pour lesquelles ils disent ce qu’ils disent, argumenter les objections qu’ils font à leurs camarades et argumenter les réponses aux objections qu’on leur fait.

Le rôle de l’animateur est d’être vigilant quant à ces processus de pensée et de faire en sorte que les élèves les mettent en œuvre, notamment au travers d’interventions de type « mais pourquoi tu dis ça ? » ou encore « pourquoi cette question te semble importante ? »… Tout cela permet de déterminer les enjeux de la question posée en début de séance et, progressivement, passer à sa problématisation.

A quoi cela sert-il ?

La discussion à visée philosophique (DVP) sert essentiellement à développer la pensée réflexive des participants. C’est très important pour les enfants qui sont des êtres de sensibilité et d’imagination mais pas encore des êtres de raison. La DVP sert à éveiller la pensée réflexive en accompagnant les enfants pour qu’ils posent eux-mêmes les questions existentielles qui les touchent, qui les intéressent et qui les affectent. Il s’agira ensuite de les accompagner pour qu’ils trouvent d’eux-mêmes la réponse à la question qu’ils se sont posés. En deux mots, la DVP sert à penser par soi-même, en se débarrassant des préjugés et opinions pour accéder à une pensée rationnelle.

La DVP a aussi une visée politique, elle contribue à l’éducation à la citoyenneté réflexive. Par son aspect démocratique, elle permet aux élèves d’apprendre à prendre la parole dans un groupe, d’apprendre à écouter les autres et à comprendre ce qu’ils disent. Argumenter sur le fond permet que ces débats citoyens deviennent réflexifs.

Comment organiser ce type de débat ?

D’un point de vue organisationnel, il faut que les élèves soient en cercle. Pour débattre, on doit pouvoir se voir. D’ailleurs les masques masquent les émotions alors que le para-verbal et le non-verbal jouent un rôle important dans ce type de discussion.

Dans ce cercle, la place de chacun est réfléchie. L’animateur est au centre, à sa droite se tient le président de séance – ce qui permet de symboliser la co-animation : l’un tient le fond, l’autre la forme. A la gauche de l’animateur se tient le reformulateur, puis le secrétaire de séance – appelé aussi synthétiseur. Cette organisation permet à l’animateur de veiller à ce que chacun tienne bien son rôle.

Bien entendu, à chaque séance les rôles sont redistribués. Chaque fonction permet de développer des compétences spécifiques. Le président permet de gérer un groupe en fonction de règles.

Concernant les questions abordées, elles sont décidées collectivement à la suite de la lecture d’un texte. Il est important que la question travaillée émerge du groupe et qu’elle soit votée par le collectif classe.

Le temps de la discussion varie en fonction des niveaux, elle peut durer de 10 à 50 minutes. A la fin de la séance, il y a une phase métacognitive durant laquelle on réfléchit à la façon dont la discussion s’est déroulée, notamment à partir des remarques des observateurs. Ces remarques se basent soit sur la manière dont les fonctions ont été occupées- chaque fonction ayant un cahier des charges, soit sur le ressenti des différents acteurs soit sur les observations des observateurs. Cette phase est assez longue et est très importante.

Pourquoi s’appuyer sur les mythes ?

Ce n’est pas un impératif, on peut aussi travailler sur une boîte à questions ou la littérature de jeunesse. J’ai choisi de travailler sur les mythes pour plusieurs raisons. Les mythes sont une histoire. Travailler sur une histoire permet aux enfants de se projeter et de s’identifier aux héros, ce qui leur permet de vivre des dilemmes moraux par une forme de médiation culturelle qui du fait que ce ne soit pas leur dilemme devient une expérience de pensée. Le mythe est une histoire qui a une dimension anthropologique très forte. Les mythes soulèvent souvent le problème de l’origine, comme le mythe de la caverne de Platon. Et pour finir, je ne choisis pas n’importe quel mythe. Je choisis les mythes Platoniciens car cela habitue les élèves à baigner dans une culture philosophique qu’ils retrouveront par la suite et parce qu’avec ces mythes, nous sommes vraiment à l’origine de la philosophie.

Quelles difficultés peuvent rencontrer les PE qui se lancent dans l’aventure ?

Pour les enseignants qui sont déjà dans une démarche de pédagogie coopérative où la structure démocratique est déjà en place, c’est beaucoup plus facile d’instaurer des DVP. Paradoxalement, en formation initiale, comme les étudiants n’ont pas encore de pratique, là aussi, c’est plus simple de les initier aux discussions réflexives. Pour les enseignants et enseignantes déjà en poste, généralement, leur dernière expérience avec la philosophie date de la terminale. Donner une dimension démocratique au débat est plus évident que de donner une dimension philosophique, c’est là la difficulté. Ils et elles ne rencontrent pas de difficulté avec l’argumentation mais les phases de problématisation et conceptualisation sont plus compliquées à appréhender. Il faudrait une formation au processus de pensée dès la formation initiale et lors de la formation continue. Pour accompagner les enseignants et enseignantes qui souhaitent se lancer dans les DVP J’ai mis en ligne plusieurs vidéos.

Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda

Extrait de cafepedagogique.net du 26.01.22

 

Les mythes pour apprendre à philosopher à l’école (ouvrage)

 Marcel : “L’animal ne ressent la souffrance que si on la lui fait à lui tandis que les hommes peuvent comprendre la souffrance des autres.“

 Nawelle : “C’est pour ça que les hommes peuvent réfléchir avant d’agir.“

 Nadia : “Pour mieux connaître le Bien et le mal, il faut tout le temps se mettre à la place des autres.“

 Le maître : “Au début de notre conversation, nous nous demandions si le Mal était le propre de l’homme. Est-ce que vous pensez que maintenant nous avons une idée plus précise de cette question ?“

 Nawelle : “Le Mal, c’est quand les hommes font le Mal par plaisir. Les animaux le font par nécessité.“

Voici un extrait d’une discussion à visée philosophique (DVP) autour du mythe de l’anneau de Gygès (Platon, 2ème livre de La République) par une classe de CM2 et qui porte sur le rapport de l’homme au pouvoir et au bien.

Ce travail de débat sur les mythes a été impulsé par les nouveaux programmes de 2000-2001 qui ont mis en avant l’organisation de débats argumentés, et plus précisément de débats d’interprétation en français. Des travaux du Groupe d’élaboration de ressources (GER) sur l’oral réflexif ont conduit à la rédaction d’un ouvrage qui s’appuie sur la valeur formatrice des débats d’interprétation en français, “mais en encrant la pensée des élèves dans de grands textes issus de la tradition philosophique occidentale“.

Pour Sylvie Queval, maîtresse de conférences en Sciences de l’éducation Lille 3) qui en signe la préface, “le mythe ne parle pas de lui-même, il suggère, oriente l’attention, éveille l’intérêt. Elle ajoute qu ’il “importe que le maître ait clairement identifié, pour lui-même, son projet lorsqu’il décide d’introduire la lecture de mythes dans sa classe. C’est comme supports de la pensée qu’un atelier philosophique convoquera les mythes.“

Ce livre collectif, écrit sous la coordination de Michel Tozzi, professeur en Sciences de l’éducation (Montpellier 3) propose ainsi des éléments de compréhension des mythes, des suggestions de dispositifs et outils, des idées pour se former, ou encore des commentaires à destination des enseignants ou formateurs qui sont la base de la discussion réflexive ici mise en relief.

Celle-ci promeut le développement d’un échange entre participants sous la conduite d’un animateur, d’une “interaction sociale verbale sur laquelle les participants vont réfléchir, exercer leur raison pour s’enrichir mutuellement de leur cheminement intellectuel“, avec l’idée que le mythe a une portée transhistorique.

Martine, enseignante, raconte ses difficultés dans l’exercice : “Mes élèves sont petits en âge et ont du mal à prendre du recul par rapport à la parole de l’adulte. Il leur est aussi difficile de sortir de l’immédiateté.“ Mais pour Sylvain, “tout enfant est en mesure de produire une pensée qui vient de lui, à condition qu’on le lui permette. De plus, dans le cadre d’une classe coopérative, ces discussions ne peuvent qu’enrichir ce qui se construit déjà, notamment en ce qui concerne l’idée du vrai. Pour moi, philosopher, c’est l’art du doute, ce qui ne peut que contribuer à créer dans un esprit de classe la relativité des opinions.“

Exercices préparatoires à la compréhension d’un mythe (par exemple sur le rapport de l’homme à la vérité avec l’allégorie de la caverne), lire ensemble, débat d’interprétation (discussion à visée démocratique, philosophique), formulation de questions... plusieurs méthodes sont décrites avec pour objectifs la maîtrise du langage oral, le développement de la pensée, ou l’éducation à la citoyenneté.. Selon les auteurs, avoir de telles discussions repose sur trois processus de pensée du “philosopher“ (problématiser, conceptualiser, argumenter). Ils ont choisi, là où l’école sert à la création d’une culture commune partagée, de se baser sur des mythes “à cause de ce qu’ils nous disent d’universel sur la condition humaine“ et en particulier avec Platon car ils sont chez lui un “moyen privilégié de faire réfléchir“.

Interrogée sur son expérience, Mireille, enseignante également, considère d’ailleurs qu’ “il s’agit de mettre à disposition des enfants un espace de parole, d’échanges et de réflexion sur les grands problèmes de la vie.“ Elle espère d’ailleurs “que ces activités aident les enfants à réfléchir par eux-mêmes, développent leur esprit critique par l’intermédiaire d’un rapport non-dogmatique au savoir, les conduisent à mieux entendre la parole de l’autre et contribuent à en faire des personnes citoyennes, responsables de leurs actes, et non toujours soumises aux dernières influences.“

De plus, “les enfants aiment bien qu’on leur raconte des histoires“ mais souvent les adultes se contentent de les lire. Comme décrit par Bruno Bettelheim dans “Psychanalyse des contes de fées“, la sensibilité et l’imagination opèrent un lent mais fondamental travail de signification par projection.

Ici, décrivent les auteurs de cet ouvrage, “notre parti pris pédagogique est d’accompagner la lecture de mots et d’interactions qui vont verbaliser, conscientiser cette signification, la thématiser, pour en faire un sujet et un objet de discussion et d’échanges autour des questions que les enfants se posent à son propos.“

Sofiane, 6 ans, considère qu’ “avec des questions tu peux creuser encore plus parce qu’y en a y vident toutes les idées qui zont dans la tête, y’en a des fois y posent une question et on creuse encore plus“, tandis qu’Anissa, 7 ans “pense qu’une DVP c’est bien, qu’on partage toutes les idées des autres, on se met dans un sujet, c’est bien, on partage tout, les idées, on les cache pas.“

Débattre à partir des mythes (2ème édition revue), coordination Michel Tozzi, Chronique Sociale Editions, 208p., 14€

Extrait de touteduc.fr du 29.12.21

 

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