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L’avis des enseignants sur la réforme Attal : hétérogénéité, redoublement, compétences (site du socio-historien Laurent Frajerman) [avec une mise à jour du 02.01.24]

3 janvier

Les enseignants et la réforme Attal. Hétérogénéité, redoublement, compétences...

Avertissement : ce billet n’a pas pour vocation de délivrer un avis global sur le projet de réforme présenté par Gabriel Attal, de commenter sa faisabilité ou l’atteinte à la liberté pédagogique (manuels d’Etat, méthode précise d’enseignement des mathématiques à l’école primaire). Je m’intéresse ici à la réception de son discours parmi les enseignants. C’est l’occasion de faire le point sur des enjeux fondamentaux du système éducatif.

Sommaire :

L’avis des enseignants sur l’hétérogénéité, les classes de niveau
L’avis des enseignants sur le redoublement
L’évaluation par compétences, le dispositif le moins critiqué
Conclusion

 

Gabriel Attal vient d’annoncer un train de mesures conséquent pour réformer l’Education Nationale, qui ont suscité l’approbation des français et la critique des experts éducatifs et des syndicats. Il opte clairement pour un système scolaire plus sélectif, au nom de la qualité, d’un enseignement exigeant. Rappelons certains points essentiels :

mise en place de groupes de niveaux au collège en français et mathématiques, ce qui limite l’hétérogénéité (mais ne la fait pas disparaitre au niveau des classes)

facilitation du redoublement, notamment à l’école primaire, confié aux équipes pédagogiques

retour des notes comme base de l’évaluation

Ces choix sélectifs seraient couplés à des mesures compensatrices : effectifs moindres dans les niveaux faibles, stages durant les vacances scolaires et classe de préparation à la seconde pour ceux qui échouent au brevet.

[tableau]

La réaction favorable de l’opinion était prévisible, la majorité des mesures phares de cette réforme étaient populaires, selon des sondages précédents. Avec les enquêtes internationales, plus personne ne conteste la baisse du niveau des élèves français, même pour les meilleurs. Cela crédite le discours sur le nivellement par le bas :

[tableau]
Sondage IFOP/JDD 2017. En bleu les propositions correspondant globalement au plan Attal
Par opposition, la réforme du collège de Najat Vallaud-Belkacem était majoritairement rejetée par l’opinion publique et les enseignants. Celle-ci se basait sur un tout autre référentiel : offensive contre les matières considérées comme élitistes (latin, allemand, etc.) pour assurer un enseignement uniforme, vu comme le gage d’une démocratisation du système scolaire, promotion systématique de l’évaluation par compétence à la place des notes, interdisciplinarité etc.

Deux camps se dessinent donc, très classiques. Mais comment se situent les acteurs de terrain dans ce débat, ceux qui sont au cœur du système, et sans lesquels rien ne se fait ? Si aucun sondage ne permet d’estimer l’adhésion actuelle des enseignants à l’un d’entre eux, des enquêtes ont testé par le passé leur opinion sur les mesures phare du projet Attal, dont le questionnaire scientifique Militens (2017, dirigé par LF).

Lire aussi :
Tribune de Laurent Frajerman dans Le Monde, 31 mai 2022 : « Espérons que le nouveau ministre de l’éducation se rendra à l’évidence : tout ne peut pas se gouverner par les nombres »

Conclusion

Une tendance lourde des politiques éducatives, qui explique de nombreux choix « pédagogiques », est la rationalisation budgétaire : baisse des salaires des enseignants, limitation du redoublement, chasse aux options dans le second degré et aux RASED dans le premier degré, suppression des dédoublements de classe inscrits dans la réglementation (par exemple, l’éducation civique en 1/2 groupe), au nom de la souplesse et de l’initiative locale. Dans ce cas, officiellement, les établissements ont toujours la latitude de créer de tels groupes à effectifs réduits, mais en prenant dans une enveloppe globale qui se réduit d’année en année et sans qu’un nombre maximum d’élèves ne soit prévu. Ainsi, le dispositif de soutien scolaire « devoirs faits » s’est souvent effectué en classe entière. On comprend que la France dépense 1 point de moins du PIB pour l’éducation qu’en 1995. On peut établir un lien direct entre ce sous-investissement chronique et la régression du système scolaire français dans les classements internationaux (PISA, TIMSS et PIRLS) :

DEPP 2023 : les dépenses d’éducation par rapport au PIB, 1980 -2022
Gabriel Attal ne revient que sur le redoublement, et en partie sur les demi groupes. Son projet sépare en effet les classes au collège entre un tronc commun et deux matières, français et mathématiques, enseignées en groupes de niveau. Seul le groupe le plus faible serait dédoublé. On est loin de la solution idéale aux yeux des enseignants, dont 94 % souhaitent « alterner davantage travail en classe entière et en petits groupes » afin de « faire réussir tous les élèves » (sondage OpinionWay, 2014).

Dans les entretiens, on ne perçoit pas de remise en cause globale du modèle de démocratisation scolaire discount en œuvre depuis 50 ans, mais plutôt un grand pragmatisme, un rejet des idéologies. Il était difficile d’obtenir une réponse à la question "Pour vous, c’est quoi être enseignant ?", destinée à recueillir les valeurs générales des professeurs, à situer leur rapport à l’élève. L’équipe de Militens a constaté qu’ils ne théorisaient pas ces aspects, dans leur majorité.

En revanche, le questionnaire Militens montre clairement que les éléments concrets de ce modèle, tels qu’ils ont été appliqués durant ces dernières décennies, sont désapprouvés par une majorité. J’ai en effet construit un indice synthétique regroupant des questions emblématiques des normes pédagogiques officielles de l’époque, telles que le travail en équipe, l’importance de la formation continue etc. (voir annexe)

Indice de réaction à la "pédagogie officielle" en 2017. Militens
60% des PE contestent ces normes (- 10 points par rapport aux PLC, ce qui est cohérent avec les observations sociologiques). Cette critique concrète des politiques de démocratisation des dernières décennies signe pour moi leur panne, plus qu’un rejet total. Le redoublement comme les classes de niveau sont devenus l’exception. De ce fait, ces pratiques ont changé radicalement de nature. Les recherches vieilles de 25 ans ou plus ne peuvent rendre compte de cette réalité.

Les enseignants ne veulent sans doute pas de retour en arrière, mais souhaitent plutôt une pause. A mon sens, remettre le redoublement sous la responsabilité des équipes enseignantes ne risque pas de provoquer une hausse spectaculaire de celui-ci. Plus probablement, les enseignants aspirent à reprendre la main sur les décisions d’orientation, non pas tant dans un esprit sélectif, que quand ils sont confrontés à des situations problématiques. Et pour réaffirmer que l’école est un lieu dédié au savoir...

Lire aussi :
Tribune de Laurent Frajerman dans L’Humanité, 7 mai 2013 : « L’accompagnement, un levier pour enrichir les pratiques enseignantes »

Extrait de laurent-frajerman.fr du 27.12.23

 

Voir aussi la mise à jour :
Réforme Attal : le hiatus entre enseignants et recherche dominante en éducation
Réforme Attal : le hiatus entre les enseignants et la recherche dominante en éducation
Dernière mise à jour : il y a 1 jour

Avertissement : ce billet complète le post suivant : "Les enseignants et la réforme Attal. Hétérogénéité, redoublement, compétences..."

Extrait de laurent-frajerman.fr du

Le site de Laurent Frajerman

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