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Finir sa carrière d’enseignant de collège en éducation prioritaire. Un paradoxe, par Dominique Zambon, Editions L’Harmattan (entretien avec Le Café)

9 janvier

Dominique Zambon : Ces profs qui restent en éducation prioritaire

Dinosaures aigris ou richesse inexploitée ? Dominique Zambon, ancien PLP et formateur d’enseignants en ESPE, s’intéresse aux professeurs qui font le choix de finir leur carrière dans les collèges REP et REP+. Son ouvrage (Finir sa carrière d’enseignant de collège en éducation prioritaire, L’Harmattan) est un bel hommage au métier. Au terme d’une enquête auprès d’enseignants des collèges REP+ du département du Rhône, il dresse le portrait de professeurs qui “ont une typologie particulière”. Sociologiquement proches de leurs élèves, ils sont portés par des valeurs et ont une intelligence pratique du métier. Appuyés sur leur expérience personnelle et professionnelle, ces enseignants vivent les dures épreuves du métier comme la preuve de leur professionnalité. Fardeaux pour une institution à qui ils rappellent trop souvent sa mission éducative, véritables reproches vivants, ces professeurs expérimentés mériteraient reconnaissance et prise en compte dans la mémoire collective de la profession. Dominique Zambon explique son point de vue dans cet entretien.

“La fin de carrière est un lieu obscur de la recherche en sociologie de l’éducation”, nous dit Dominique Zambon, à propos de son livre. “J’ai choisi ces professeurs en fin de carrière car ils sont une énigme. Pourquoi restent-ils en éducation prioritaire alors que la norme est d’en partir au plus vite ?”. Ancien cadre du bâtiment, devenu PLP en génie civil, Dominique Zambon se reconnait dans ces enseignants à qui il porte beaucoup de respect. C’est cette affection que l’on retrouve dans son ouvrage et qui conduit nos questions.

L’éducation prioritaire connait un turn-over important. Qui sont ces professeurs qui restent ? Ont-ils un profil particulier qui les rapprochent de leurs élèves ?

Pour la plupart, ils ont une typologie particulière. C’est une génération qui a connu les contrecoups de Mai 68. Malgré les injonctions, ils n’en sont jamais descendu. Ce sont des gens qui ouvrent leur gueule. Ils ont connu la réforme Haby, le collège unique puis, en 1981, la mise en place de l’éducation prioritaire. Dans le Rhône ils ont aussi le souvenir de la Marche des Beurs. Les nouvelles générations d’enseignants n’ont pas connu cela. Autre point fort : ils se reconnaissent à travers leurs élèves. La plupart sont entrés dans l’enseignement comme auxiliaires. Ils ont connu les débuts de l’éducation prioritaire où ils avaient une grande marge de manoeuvre et où ils ont fait beaucoup d’innovations avant que l’institution reprenne la main. Il y a aussi parmi eux des parcours inverses : des enseignants installés dans des conditions d’enseignement confortables qui s’ennuyaient et voulaient confronter leur professionnalisme au terrain.

Il y a t-il des différences entre les disciplines d’enseignement ?

Certains enseignent en Segpa et ont un rapport particulier aux élèves. Par exemple des professeurs qui ont créé leur propre atelier et vivent une situation un peu excentrée dans leur établissement. Le point commun c’est l’importance des réseaux qu’ont développé ces professeurs avec des intervenants extérieurs de l’établissement. Des réseaux porteurs de projets. Des professeurs de disciplines générales restent à cause de cela.

Ces professeurs travaillent dans des conditions plus difficiles que leurs collègues. Comment tiennent-ils ?

Il y a plusieurs bases à leur solidité. La première c’est le chef d’établissement. Des liens se sont créés autour de projets pédagogiques. Il y a aussi le travail d’équipe. Pour faire face aux épreuves, les professeurs se serrent les coudes et travaillent ensemble en disciplinaire et en interdisciplinaire. Surtout ils sont portés par des valeurs. Ils sont très sensibles aux conditions de vie des élèves. Ils savent entourer les élèves d’une certaine bienveillance. Certains professeurs, par exemple, vont directement dans les familles pour régler les problèmes. Ils ont leur propre réseau et connaissent la banlieue.

Vous dites qu’ils ont une vision globale du métier. C’est à dire ?

Ce sont des professeurs qui savent s’écarter du pur transmissif. Il savent s’adapter à la météo locale. Ils ont une intelligence pratique du métier. Ils savent observer les élèves, voient les yeux qui s’échappent, pressentent les difficultés cognitives. Ils savent aller vers les élèves pour les régler. Cette attention fine aux élèves les aide aussi à désamorcer les conflits.

Ce sont des professeurs qui ont de l’expérience. Mais l’expérience de quoi ?

Leur autorité se construit dans leur expérience de jeune issu d’un quartier populaire. Il savent bouger dans la classe. Face aux événements, ils ne fuient pas. Ils avancent. Ils ont les codes des familles populaires et savent entrer en contact avec les élèves et les familles.

Votre livre évoque leur rapport à l’épreuve. C’est une formulation surprenante. Quel rôle joue l’épreuve dans la vie de ces enseignants ?

En éducation prioritaire, l’épreuve est constitutive du métier par les origines des élèves qui vivent des épreuves en permanence. L’épreuve vient de l’extérieur et de l’intérieur des murs du collège. L’extra muros c’est savoir voir l’élève dans sa globalité. Les enseignants savent qu’ils ne peuvent pas agir sur l’extra muros. Alors ils mobilisent leur professionnalité sur ce sur quoi ils peuvent agir. Ils savent anticiper les épreuves. Surtout, ces professeurs vont à l’épreuve car c’est leur adrénaline. Ils en ont besoin. C’est dans l’épreuve qu’ils peuvent exercer leur professionnalité et qu’ils font leurs preuves. Je donne en exemple un professeur d ‘EPS qui chaque fin de journée accueille les élèves exclus. Il prend “tous les tordus”. Mais c’est dans ces moments qu’il apprend des choses qu’il ne peut apprendre que là.

Ces enseignants ont développé des compétences particulières. Lesquelles ?

D’abord la prise de parole quelque soit la personne en face. Ensuite ils ont su développer leurs propres réseaux. Ils ne remettent pas en cause leur milieu d’origine. Ils sont des gens importants dans le quartier. Ils travaillent de façon collective. Ils acceptent d’être dérangés. C’est même dans ce dérangement qu’ils trouvent leur salut. Certains parlent de sacerdoce.

Aujourd’hui la mobilité est vue comme une qualité professionnelle pour un enseignant. Il doit être “agile”. Rester dans son établissement est mal vu. Ces professeurs sont-ils un fardeau pour l’Education nationale ou une richesse ?

Les deux. Ils sont un fardeau car ils gardent la mémoire de tous les anciens et leur chef d’établissement le sait. Chaque nouveau principal est comparé aux anciens. Et les normes antécédentes comptent toujours. C’est difficile de remettre en cause la façon d’organiser les conseils de classe ou de supprimer des projets pédagogiques lancés depuis longtemps. Ils sont une richesse car ils sont bienveillants et à l’écoute des jeunes. Ils ont acquis un vrai patrimoine d’expériences. L’Education nationale devrait permettre sa transmission. N’oublie pas : les élèves n’aiment pas les maths. Ils aiment le professeur de maths…

Propos recueilli par François Jarraud

Dominique Zambon, Finir sa carrière d’enseignant de collège en éducation prioritaire. Un paradoxe. Préface de Françoise Lantheaume. Postface d’Aziz Jellab. Editions L’Harmattan.ISBN 978-2-14-049357-7, 26€

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Extrait de cafepedagogique.net du 09.01.24

Dominique Zambon, Finir sa carrière d’enseignant de collège en éducation prioritaire. Un paradoxe. Préface de Françoise Lantheaume. Postface d’Aziz Jellab. Editions L’Harmattan

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