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Choc de savoirs : l’ex-recteur Daniel Bloch critique le redoublement et juge décevant le dédoublement des classes en regrettant le "Plus de maîtres" (Le Café)

31 janvier

Daniel Bloch : Au-delà des pensées toutes faites

Dans cette tribune, Daniel Bloch, père du bac professionnel et ancien recteur, analyse les différents éléments du « choc des savoirs » présenté par Gabriel Attal, alors aux commandes de la rue de Grenelle. « Peut-on espérer en la réussite de cette nouvelle salve de réformes alors que celles engagées au cours des six années écoulées, depuis le début du premier quinquennat d’Emmanuel Macron ont, pratiquement toutes échoué ? » interroge-t-il. Et comme à son accoutumée, certaines de ses positions peuvent surprendre – comme celle sur le redoublement. Mais c’est à dessein argumente-t-il, « Il s’agit d’apporter des éléments au débat ».

Au « choc PISA », le gouvernement entend répondre par un « choc des savoirs », recentrés sur les fondamentaux : le français et les mathématiques. Parmi les premières mesures d’accompagnement, on note la remise à l’honneur des redoublements, la constitution de classes à effectifs réduits, l’institution de groupes de niveau, la volonté d’élever celui des diplômes. Peut-on espérer en la réussite de cette nouvelle salve de réformes alors que celles engagées au cours des six années écoulées, depuis le début du premier quinquennat d’Emmanuel Macron ont, pratiquement, toutes échoué ? Il en a été ainsi pour le premier degré, avec des effets plus que décevants des dédoublements de classes des écoles relevant des réseaux d’enseignement prioritaire, avec la réforme du baccalauréat sur laquelle il a fallu revenir, avec la « transformation » de la voie professionnelle, qui n’a conduit qu’à en accentuer la détresse. Un espoir donc bien fragile, tant les réformes proposées, – aujourd’hui comme hier – l’ont été sans avoir bénéficié, au préalable, d’un état des lieux partagé. Un exemple significatif, avec le volet relatif à la réforme de l’enseignement professionnel qui n’a pas reçu, ces premiers jours de janvier, une seule voix favorable au Conseil supérieur de l’Éducation : ni des personnels éducatifs, ni des associations d’élèves ou de leurs parents, pas même des représentants du monde économique. Des réformes dont le Parlement est aussi tenu à l’écart, alors qu’il s’agirait de traiter d’une « grande cause nationale ».

Une approche trop académique des savoirs ?

Nous proposons un premier sujet de réflexion : nos enseignements, à l’École comme au Collège, ne se caractériseraient-t-ils pas de leur caractère trop « académique », ce qui mettrait à mal les élèves issus des milieux socioprofessionnels les moins favorisés ? C’est ce que l’examen des données PISA peut-nous suggérer. Ce programme se fonde sur des tests portant sur la compréhension de l’écrit, la culture mathématique et les sciences. Par ces tests sont évaluées les aptitudes des élèves à appliquer les connaissances acquises à l’école aux situations de la vie réelle, plutôt que leur maîtrise d’un programme scolaire précis, ce qui, compte tenu de la diversité des pays participant à ce programme, n’aurait guère de signification. Si la France se situe dans le classement international PISA à un niveau bien moyen, ne serait-ce pas, en partie, parce que nos enseignements seraient ainsi trop académiques ? En mathématiques, par exemple, la manipulation d’objets, leur “toucher”, l’approche par des jeux ou la résolution de problèmes concrets, leur explicitation verbale enfin, ne constituent-elles pas les éléments fondateurs de la méthode dite “de Singapour” dont les résultats sont le plus souvent considérés comme “probants” ? Autre exemple : dans notre pays, avaient été introduites, dans la deuxième partie des années 80, des classes de quatrième et de troisième à coloration technologique ou professionnelle destinées à des élèves volontaires en difficulté au Collège, avec une pédagogie de projet, sans rompre avec le socle commun. Leur développement avait conduit notre pays à situer ses élèves, en fin de troisième du Collège, à un très bon niveau en Europe. De leur suppression, à la fin des années 90, avait résulté une régression. Ces classes pouvaient, sans doute, être considérées comme contribuant à la ségrégation sociale. Nous ne proposons pas de les réintroduire, mais d’ouvrir davantage notre École sur le monde économique et technologique qui l’entoure, pour qu’elle ait pour tous davantage de sens, en mettant à profit ce qui avait constitué l’originalité et la réussite de ces 4ème et 3ème à coloration technologique ou professionnelle. A l’heure où se pose la question des enseignements au Collège, avec notamment la récente décision visant à supprimer la technologie en classe de sixième – au profit des « savoirs fondamentaux », ne faudrait-il pas, tout au contraire, viser à développer, tout à la fois, les connaissances académiques et les capacités à les mettre en œuvre, en prenant en compte les contextes, variés ceux au sein desquels ces savoirs seront à appliquer, et ceci dans le cadre même de chacun des enseignements dispensés, en évitant la stratification des savoirs ? Nous proposons ici de mettre en question l’ « idée-force » largement partagée suivant laquelle il serait indispensable de concentrer l’action éducative sur les savoirs « académiques » ou « fondamentaux » en réservant de ce fait l’apprentissage de leurs usages aux élèves « orientés » plus tard vers la voie professionnelle ?

Fin du redoublement : fausse bonne idée ?

Notre second sujet de réflexion : le redoublement. Ce dernier a été considéré, depuis des décennies, comme inutile : des milliards d’économie à réaliser, pour les uns et, pour les autres, le moyen d’en finir avec la souffrance des élèves discriminés par un redoublement dont l’absence d’efficacité pédagogique aurait été établie. Il y a vingt ans de cela, 34 % des élèves de troisième générale des collèges avaient un retard d’au moins une année, ayant redoublé. Ce taux n’est désormais plus que de 9 % : il a donc été réduit d’un facteur voisin de quatre. L’ inutilité du redoublement pourrait être considérée comme démontrée au vu de l’évolution sur la même période des taux d’échec au diplôme national du brevet. En 2002, ce taux était de 22 %. Vingt années plus tard, il est considérablement réduit ; il n’est plus que de 12 %. Et pourtant, suivant le programme international pour le suivi des élèves (PISA) – que nous appelons ici encore à l’aide – la proportion d’élèves en très grandes difficultés à la sortie du Collège s’est accrue au cours de ces vingt années : de 15,2 % à 26,3 % pour la compréhension de l’écrit, et de 16,6 % à 28,8 % pour les mathématiques. En 2002, avec environ 16 % des élèves en grandes difficultés en français et/ou en mathématiques, le taux d’échec au Brevet était de 22 % : rien d’anormal. Mais comment ne pas s’interroger sur le fait qu’avec désormais près de 28 % d’élèves en grandes difficultés, soit presque deux fois plus que vingt années plus tôt, le taux d’échec au brevet se soit réduit de près de la moitié, conduisant à ce qu’il y ait nettement moins d’élèves échouant au brevet que d’élèves en grandes difficultés ? Le seul fait d’obtenir aujourd’hui le brevet atteste-t-il vraiment des capacités à réussir dans le cycle qui suit ? Le « zéro redoublement » n’a pas fait la preuve de son efficacité. Il doit pourtant figurer aux premiers rangs des objectifs à atteindre, mais par d’autres moyens que par une injonction administrative. Il implique qu’année après année, ou cycle après cycle, un niveau donné de compétences soit atteint. Faute de quoi, comme aujourd’hui, le « zéro redoublement » continuera à faire écran à la réalité, à masquer l’urgence des réformes à entreprendre.

La formation des enseignants, angle mort des politiques éducatives

Ces élèves en grandes difficultés sont très majoritairement issus de milieux défavorisés. Sinon, peut-être aurait-cessé plus tôt de les ignorer. Comment leur porter assistance ? Nous nous limiterons à un exemple permettant de mettre en évidence, pour autant que ce soit encore nécessaire, la question de la formation des enseignants, même si elle ne constitue qu’un élément de réponse. Nous ne reviendrons pas sur un de ses aspects déjà brièvement abordé avec la question de l’ouverture des programmes d’enseignement, de leur transversalité, de la nécessité de les situer, au Collège au-delà de champs par trop étroitement monodisciplinaires. Ce qui implique, en amont, des licences, puis des masters, moins spécialisés. Un combat qui n’est plus nécessairement perdu d’avance. On ne peut demander aux seuls élèves de faire la synthèse des enseignements qui leur sont dispensés, sans mieux les accompagner. Poursuivons en examinant un autre aspect de la politique destinée à réduire la proportion d’élèves en grandes difficultés, celle s’appuyant sur la division par deux des effectifs des classes, et plus particulièrement des classes de grande section de maternelle, du CP et aussi de CE1 relevant d’écoles situées dans le périmètre des réseaux d’enseignement prioritaire (REP). Cette politique a, de fait, conduit à quelques progrès, mais bien en deçà de ce qui en était attendu, pour deux raisons objectives. En premier lieu, cette mesure ne touche que le quart des élèves en difficultés : tous les élèves de REP ne sont pas en difficultés, et les trois quarts des élèves en difficultés ne sont pas dans des écoles de REP. Il est donc nécessaire de la repenser. Mais il s’agit, ici encore, de poser la question de la formation des enseignants. L’insuffisance des résultats obtenus par le dédoublement de classes ne devrait-elle pas être attribuée, en partie, à l’insuffisance de l’effort consenti en matière de formation initiale, comme continuée, de nos enseignants ? La prise en compte individuelle des élèves le plus en difficultés, dans des classes hétérogènes, ne va pas de soi. Et pourquoi avoir choisi cette approche, celle des classes dédoublées, alors que la recherche avait établi que la stratégie « Plus d’enseignants que de classes », permettant la mise en place de groupes momentanés de besoin, avait fait davantage ses preuves, comme en avait témoigné par exemple le succès du dispositif PARLER, expérimenté autour des années 2005. Un dispositif impliquant une formation très lourde des intervenants, mais ayant échoué en son absence. Une évidence s’impose : une réforme peut réussir ou échouer, non en raison de ce qu’elle sous-tend, mais par la manière dont elle est effectivement « implantée » dans la classe. Á choisir entre l’« effet-programme » et l’« effet-maître », c’est, sans hésiter, l’effet-maître qui devrait l’emporter, et qu’il faut ainsi cultiver. Mais mieux vaut-il ne pas les dissocier.

Daniel Bloch

Dernier ouvrage paru : Histoire engagée de l’enseignement professionnel, Presses universitaires de Grenoble, juin 2022.

A paraître : Quel avenir pour l’enseignement professionnel, Presses universitaires de Grenoble, mars 2024 :

Extrait de cafepedagogique.net du 30.01.24

 

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