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Remarques au Manifeste pour le collège
Roger-François Gauthier et Jean-Pierre Véran viennent de publier un petit livre de 113 pages, « Manifeste pour le collège, (P)oser les termes du débat »[1], un condensé des travaux du CICUR[2], un programme pour la poursuite de ses réflexions, mais aussi des pistes d’actions à mener dès à présent dans nos collèges. Je vous propose quelques réflexions suite à sa lecture.
La conception du collège
Dès l’introduction, les auteurs affirment que « Le collège n’a jamais été pensé. » « contrairement aux préconisations du ministre René Haby (voir annexe 1 en fin d’introduction) on n’a pas voulu voir que c’était la fonction du collège dans le système qui avait radicalement changé : il n’est plus l’école « terminale » pour aucun élève et tous fréquentent un des lycées (général, professionnel ou technologique) à sa suite. On a manqué de s’interroger sur la question de savoir à quel moment et sous quelle forme le système éducatif dans son ensemble devait prévoir et orchestrer une « diversification » des études qui peut être imaginée de façon fort différente. »
Il est ainsi frappant de confronter cette remarque à l’histoire du collège unique racontée sur Vie Publique[3] où les difficultés du collège unique sont essentiellement organisationnelles et non pas fonctionnelles. Le CES, puis le Collège unique ont été créés sans toucher aux premiers cycles du Lycée.
Il faudra attendre l’arrivée de la Gauche pour que ces premiers cycles soient transformés en collèges indépendants du Lycée. Cet acte terminait une grande réorganisation du système scolaire faisant du collège le seul chemin scolaire rejoignant le primaire et les lycées (LGT et LEP). La fonction promotionnelle de certains, attribuée au CEG, disparaissait pour une fonction de triage de tous par le collège, et alors que l’accès aux formations professionnelles était réservé aux meilleurs élèves des CEG, le collège devenait un espace de rejet des mauvais élèves.
Le moment de la diversification s’est imposé entre autres avec la création du BEP dont l’entrée était placée en fin de troisième avec le non-dit (à l’époque) d’une scolarisation de tous jusqu’à la troisième puisqu’on devait supprimer les CAP au fur et à mesure de la création des BEP correspondants[4].
Pourquoi choisir la troisième comme moment de la bifurcation et de l’accès à la diversification ? Il faut rappeler l’obsession de de Gaulle : « On va dépenser une masse de crédits pour absorber une masse de crétins qui, normalement, n’auraient pas eu accès à l’enseignement supérieur. »[5] Comment protéger l’Université, le bac ne suffisant plus ? En renforçant le pallier troisième et donc en fondant le collège trieur qui opère et justifie une bifurcation sur la base d’un triage officiellement scolaire, mais social de fait. Pour cela, il faut la double hypothèse que les savoirs enseignés et les formes de leur apprentissage soient clivants socialement[6] (Edmond Goblot, Basil Bernstein).
L’institutionnalisation du socle commun en France aurait pu être une occasion pour repenser le collège et sa fonction. Mais Gauthier et Véran font le triste constat : « Or, là encore, les gouvernements qui furent paradoxalement à l’initiative de cette position qui aurait pu, avec retard, donner son âme au collège unique, furent dans les deux cas coupables d’avoir refusé la mise en œuvre effective. »
Mais les gouvernements doivent-ils être seuls tenus coupables ? Comme d’habitude, pourrait-on dire, les moyens ne furent pas mis en œuvre. Mais furent-ils réclamés par les personnels ? On doit se rappeler des résistances des enseignants, des syndicats, de l’IGEN même peut-être. La question du socle s’est trouvée prise dans divers conflits, les conflits sur le thème savoir vs compétence, et républicain vs pédagogue (peu évoqués dans ce livre, me semble-t-il, alors que Roger-François Gauthier les avait travaillés[7]). Ajoutons une opposition fondamentale de certains contre toute idée provenant des organisations internationales comme l’OCDE, et l’Europe.
Comme d’habitude, le/les gouvernements de l’époque ont défini l’objectif (le socle) sans travailler sur les conditions de sa réalisation. Le socle supposait des modifications profondes du fonctionnement du collège[8] (telle que la suppression des procédures d’orientation qui impliquent une évaluation sommative tout au cours du collège alors que le socle supposait une évaluation formative), mais aussi une réflexion sur la conception et les conditions de travail des personnels, enseignants notamment.
Comment l’objectif d’un socle commun peut-il rentrer dans les objectifs et motivations professionnelles des enseignants alors qu’ils sont recrutés non sur des bases de pratiques professionnelles, mais sur leur réussite disciplinaire ?
L’orientation
Les auteurs critiquent l’orientation de fin de troisième à la fois pour son aspect autoritaire (orientation subie et orientation choisie), mais aussi social. Le triage sur la base de critères de « réussite scolaire » (laissés d’ailleurs à la charge des enseignants de les définir par eux-mêmes), a de fait pour effet un renforcement des inégalités sociales[9]. Les auteurs évoquent la piste d’un cycle troisième-seconde « cela faciliterait la maturation du projet personnel en permettant à toutes et tous de pouvoir se déterminer en expérimentant ensemble des enseignements généraux, technologiques et professionnels, en vue du cycle terminal. Car si l’orientation reste un enjeu majeur pour le sujet, le rôle de l’institution scolaire est de ne la rendre jamais irréversible et définitive. »[10]
On peut alors se poser la question qui fâche. Repousser l’orientation en fin de seconde et créer un cycle 5 construisant ainsi la continuité entre le collège et le lycée, ne remet en cause ni nos procédures d’orientation ni la fonction triage du collège. Ce qui est à rapprocher d’une remarque des auteurs eux-mêmes : « Les professeurs qui enseignent au collège, nous l’avons dit, sont les mêmes qu’au lycée général, et les disciplines enseignées pour l’essentiel le sont aussi. »
La création du corps des PLC fut sans doute une grave erreur, car elle induisait une continuité professionnelle entre les deux niveaux d’enseignement, mais aussi une identité du travail dans ces deux espaces de notre système. Ceci induit une différence entre le travail rêvé ou idéal, possible en lycée, et le travail réel, dégradé, empêché en collège. Cette situation fait que nombre de PLC, enseignant en collège, rêvent d’enseigner en Lycée parce que l’enseignement y est différent de fait, or en triant les élèves, ils participent à la protection de leur future condition de travail en lycée. [...]
Bernard Desclaux