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Laurent Fillion : des élèves de 4e en tournée
Laurent Fililon, professeur d’histoire-géographie et ses collègues Yasmine Vasseur, professeure de Lettres et Jennifer Duchateau, professeure d’éducation musicale, se sont embarqués dans un projet un peu fou avec leurs 23 élèves de 4e du collège Rep+ Vadez à Calais. Ils ont initié « La compagnie des 23 rêveurs », une compagnie de spectacle créée de bout en bout par les élèves. Et qui se produit, et part en tournée, au même titre que toute autre compagnie professionnelle.
Une vraie compagnie de spectacle par des élèves de 4e. C’est un projet un peu fou. Comment est née l’idée ?
L’idée est venue des projets de mini entreprises. Mais plutôt que de faire créer par nos élèves une entreprise de fabrication et de commerce, il s’agissait ici de leur faire créer une compagnie de spectacle, dans toutes ses composantes. C’est un univers qui est plutôt étranger à nos élèves de Rep+. On voulait leur offrir à la fois une ouverture culturelle et la découverte d’un domaine professionnel inconnu.
On leur a demandé d’écrire un spectacle, de le jouer, mais aussi de l’organiser. Ils ont donc découvert les différents métiers du spectacle, des coulisses à la scène… Ils ont eu un aperçu concret des multiples facettes du monde du spectacle. Ils ont pour cela rencontré divers professionnels, créé leur propre organigramme et exercé chacun les métiers nécessaires. Nous avions dans la classe à la fois une directrice artistique et un régisseur, un responsable communication et une chorégraphe, des comédiens et comédiennes, des chanteurs et chanteuses, des musiciennes, des scénaristes, des metteuses en scène, mais aussi des techniciens son et lumière, une costumière ou encore une responsable de la billetterie …
Pourquoi un tel projet ?
Ce projet de compagnie de spectacle s’est inscrit dans les différents parcours pédagogiques du collège. Le parcours d’éducation artistique et culturel – par l’écriture, la mise en scène et la représentation du spectacle, mais aussi par les trois spectacles que les élèves ont vus aussi dans l’année afin d’y trouver des sources d’inspiration. Le parcours avenir – par la découverte effective des métiers du spectacle. Le parcours citoyen – par l’esprit d’initiative, l’engagement et par le thème du spectacle et les programmes d’histoire, de français et d’éducation musicale.
Concrètement, comment s’est monté le spectacle ?
Nous n’avons imposé que le titre du spectacle – « Ils rêvaient d’un autre monde » – et le thème du spectacle – des tableaux sur des personnages historiques vus en classe comme Olaudah Equinao, Voltaire, Olympe de Gouges, Victor Hugo, Jules Ferry associés à quelques textes étudiés en français et des chansons abordées en éducation musicale. C’était aux élèves de proposer ce qu’ils souhaitaient y inclure et sous quelle forme, dans toutes les formes artistiques.
Les connaissances et compétences disciplinaires étaient donc bien présentes dans notre projet. Pour pouvoir écrire et jouer ces tableaux, il a fallu bien assimiler ce qui avait été vu en cours et aller au-delà par des recherches ciblées. Le meilleur exemple est la saynète sur Voltaire. Les élèves chargés de l’écriture ont bâti un dialogue entre Voltaire et Émilie du Châtelet à partir des citations des philosophes des Lumières vues en classe.
Bien évidemment, un projet comme celui-là a fait la part belle aux compétences psychosociales. Avec du recul, on peut dire qu’elles ont toutes été travaillées et acquises par nos élèves. Plus on s’approchait des représentations, plus elles étaient prégnantes. Confiance en soi, maîtrise de soi, prendre des décisions rapidement et efficacement, gestion du stress et des émotions, coopérer, s’entraider, communiquer à l’oral, résolution de conflits : contrairement à d’autres projets où c’est difficile d’évaluer ces compétences, les situations où elles ont été mises en œuvre étaient très visibles et très nombreuses. Ce qui a été particulièrement intéressant c’est que les élèves ont eu conscience d’avoir travaillé ces compétences. Les discussions lors des débriefings après les répétitions ou les représentations ont été très riches sur ces questions.
Il faut bien avoir en tête qu’il ne s’agissait ni d’une option ni d’un club. Les élèves n’étaient pas volontaires ! On mentirait si on affirmait qu’ils ont tous sauté de joie en septembre quand on leur a présenté ce projet. Mais ils se sont accaparé ce projet pour en faire le leur. Et ça, c’est une vraie victoire pour nous.
Vos élèves partent en tournée. Racontez-nous ça !
Notre souhait était d’aller plus loin que le simple spectacle de fin d’année en leur faisant jouer plusieurs dates, dans des lieux différents et en leur faisant vivre une mini tournée. La « compagnie des 23 rêveurs » s’est donc produite quatre fois sur scène. Dans une salle de spectacle – le Pavillon des Plantes du Channel, scène nationale de Calais. Dans la cantine du collège devant les autres classes puis devant un public extérieur. Dans le plus grand camping des Hauts de France, à la frontière belge, dans un chapiteau et sur une scène spécialement montée pour elle.
Il fallait donc s’adapter à des tailles de scène et des qualités sonores différentes ; les installations et répétitions prenaient alors sens aux yeux des élèves. Il fallait aussi prendre conscience que le public était différent d’un lieu à l’autre, ce qui a permis d’éviter l’excès de confiance après la réussite de la Première.
L’aspect « tournée », nous l’avons vraiment vécu lorsque nous sommes partis pour deux jours dans un camping situé à 50 kilomètres du collège. Pour beaucoup d’élèves qui n’ont pas l’habitude de quitter leur quartier et surtout de découcher de chez eux, c’était en soi toute une aventure !
Il leur a fallu organiser la logistique : le transport des costumes, des éléments de décor, les instruments de musique, le matériel pour le son et la lumière. Avec leurs valises, la soute du bus était pleine ! Ce n’est qu’une fois sur place qu’ils ont découvert le chapiteau et la scène. Ils ont montré des capacités d’organisation et d’adaptation qui n’étaient pas acquises lors des premières répétitions en classe. Entre les installations, les répétitions, la découverte des mobil homes et les moments d’animation offerts par le propriétaire du camping, les élèves chargés de la communication ont vraiment joué leur rôle en allant à la rencontre des clients du camping pour distribuer des invitations pour la représentation du soir. Avec une belle efficacité puisqu’ils y ont joué à guichet fermé ! Ce fut vraiment – avec la Première au Channel – le moment fort de ce projet !
Quel impact a ce projet sur tes élèves ?
Si je ne devais en retenir qu’un, c’est la cohésion, l’esprit d’équipe ! On a vu un groupe se souder au fur et à mesure du projet surtout dans les derniers temps quand les représentations approchaient. Ils ont eu peur ensemble, ils se sont parfois découragés ensemble, mais ont su rebondir ensemble et surtout réussir ensemble. On a vu des élèves qui s’ignoraient jusque-là, s’entraider – pour l’habillage avec les costumes par exemple ou les préparations de scène pendant le spectacle. On en a vu d’autres qui ne s’entendaient pas avant ce projet se féliciter mutuellement à la fin d’une représentation. Ils ont d’ailleurs pris conscience du groupe qui s’était constitué et soudé. Du coup, deux ou trois élèves qui ne sont pas entrés dans cette dynamique se sont retrouvés un peu en marge et s’y sont raccrochés sur la fin.
Un autre impact c’est l’estime d’eux-mêmes qu’ils ont gagnée en menant avec réussite ce projet. Certains élèves nous ont impressionnés en surpassant leur timidité pour certains, en montrant des capacités de mémorisation peu utilisées dans le cadre scolaire classique pour d’autres, en transformant leur problème de comportement en dynamisme constructif, et en se révélant meneurs d’équipe …
Ils ont aussi appris à s’organiser. Et ce fut sans doute le plus difficile et ce sur quoi les professeurs ont le plus douté. Tenir les dates qu’on s’était fixées pour l’écriture et la préparation du spectacle a été une gageure. Surtout, l’organisation minutée et millimétrée des spectacles a été jusqu’à l’ultime répétition avant la Première, un objectif bien dur à atteindre. Il fallait que toute la classe connaisse parfaitement la mise en place du matériel sur et autour de la scène, puis l’enchaînement des 9 tableaux sur une heure de spectacle avec les changements de costumes, de matériel sur scène, les réglages du son et des lumières. Ils nous ont bluffés et ont bluffé le public sur ce point.
Il fallait voir leur fierté à la fin de chaque représentation. Ils ont pris conscience d’avoir fait quelque chose exceptionnel. Les parents, pour certains peu habitués à voir l’école, étaient eux aussi très fiers.
Finalement ce projet nous a démontré que quand on croit au potentiel de nos élèves – fussent-ils en Rep+ – on parvient à les faire réussir sur un projet qui était pourtant très ambitieux.
Pas besoin de groupes ou de classes de niveaux, mais au contraire une émulation et une coopération au sein d’une équipe qui se soude pour l’occasion. Notons aussi que la diversité de nos élèves a été une richesse et sans doute une source de motivation pour réussir un spectacle dont le message mettait en avant le refus des inégalités.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda