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Rapport parlementaire sur les inégalités dans l’orientation et l’accès à l’enseignement supérieur (20 juin 2023). Les cordées de la réussite n’atteignent pas leur coeur de cible

17 juillet 2023

RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 146-3, alinéa 8, du Règlement
PAR LE COMITÉ D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE DES POLITIQUES PUBLIQUES
sur la mise en œuvre des conclusions du rapport d’information (n° 3232)
du 22 juillet 2020 sur l’évaluation de l’accès à l’enseignement supérieur
ET PRÉSENTÉ PAR
MM. Thomas CAZENAVE et Hendrik DAVI
Députés


EXTRAITS

[page 82]
2. Le poids des inégalités socioculturelles dans l’orientation des élèves

Les données de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l’Éducation nationale sont toujours préoccupantes. Elles confirment la profondeur des inégalités dans les parcours scolaires mises par ailleurs en évidence par les recherches sociologiques.

a. Les inégalités socioculturelles

La dernière synthèse établie par la DEPP ([100]) rappelle l’importance des inégalités de performance dès les débuts de la scolarité : « Dès l’entrée à l’école les inégalités de performances scolaires selon le milieu social des parents sont fortes. Si elles sont stables en français, au cours de l’école élémentaire, elles augmentent en mathématiques. Ainsi, en sixième, à la rentrée 2021, parmi les 20 % d’élèves les plus favorisés socialement, neuf sur dix ont une maîtrise satisfaisante ou très bonne des attendus des connaissances et compétences en mathématiques. » Dans le même temps, « seule la moitié des 20 % d’élèves les moins favorisés atteint une maîtrise satisfaisante », le taux de maîtrise des élèves les plus favorisés dépassant celui des plus défavorisés de 41 points.

Ces inégalités sont stables depuis 2009 et perdurent au long de la scolarité, puisque la France est l’un des pays européens où elles sont le plus prononcées à l’âge de quinze ans. Comme le précise la DEPP, ces écarts en matière de parcours s’expliquent par des différences de compétences liées en partie à l’origine sociale mais aussi, à notes équivalentes, par des différences dans les choix d’orientation selon l’origine sociale et le contexte familial : « En particulier, à notes équivalentes, les élèves issus des milieux favorisés font beaucoup plus souvent des choix d’orientation vers la seconde générale et technologique que ceux issus des milieux populaires », comme le met en évidence le diagramme ci-dessous, qui montre aussi que, inversement, plus les notes des élèves des classes défavorisées sont moyennes, moins le choix se tourne vers la seconde GT, alors qu’il reste élevé dans les classes favorisées.

SOUHAITS D’UNE ORIENTATION EN 2DE GT SELON LE MILIEU SOCIAL
ET LES NOTES OBTENUES AU CONTRÔLE CONTINU DU BREVET
Source : DEPP, L’état de l’école, 2022 (éd. web).

Inévitablement, le niveau de diplôme se trouve ensuite socialement discriminé par l’origine des élèves. Le diagramme suivant illustre les différences considérables de ce point de vue : dix ans après leur entrée en sixième, au moins 85 % des enfants dont les parents sont enseignants, cadres, professions libérales ou chefs d’entreprise, sont titulaires du baccalauréat général ou technologique, ce qui n’est le cas que de 35 % des enfants d’employés de service ou d’ouvriers non qualifiés, et de 25 % des enfants de personnes sans emploi.

NIVEAU DE DIPLÔME DIX ANS APRÈS L’ENTRÉE EN SIXIÈME SELON LE MILIEU SOCIAL
(en %)
Source : DEPP, L’état de l’école, 2022, page 73.

M. Julien Grenet, directeur de recherches au CNRS, professeur associé à l’École d’économie de Paris (PSE) et directeur-adjoint de l’Institut des politiques publiques ([101]), rappelait à ce propos le constat général des recherches sociologiques sur les inégalités sociales et de genre, qui sont fortes dans l’enseignement supérieur et restent constantes depuis plusieurs décennies : environ 30 % des étudiants suivant des formations de type BTS et licences non sélectives sont d’origine favorisée (enfants de cadres, professions libérales, cadres, professions libérales, etc.) ; les formations de type licences sélectives, écoles de médecine, d’architecture comportent entre 50 % et 60 % d’élèves favorisés, quand les étudiants des formations les plus sélectives type classes préparatoires sont à 70 % ou 80 % d’élèves issus de classes favorisées, sans que l’on voie la moindre réduction des inégalités sociales, de genre ou territoriales, depuis au moins les années 2000.

b. La dimension territoriale des inégalités [...]

 

[page 93]
b. L’exemple des cordées de la réussite

Le dispositif des cordées de la réussite n’a cessé de monter en puissance depuis sa création il y a une quinzaine d’années au point d’intéresser aujourd’hui quelque 185 000 élèves par an, près de 800 établissements du second degré étant concernés.

Les cordées actuelles, qui ont fusionné sous cette appellation deux dispositifs précédents pour créer un continuum d’accompagnement de la troisième au post-baccalauréat, sont destinées en priorité aux élèves scolarisés en éducation prioritaire ou en quartiers prioritaires de la ville (QPV), aux collégiens et lycéens de zone rurale et isolée ainsi qu’aux lycéens professionnels et technologiques. Ces dispositifs ont pour ambition de faire de l’accompagnement à l’orientation un réel levier d’égalité des chances, en donnant « à chacun les moyens de sa réussite dans l’élaboration de son projet personnel d’orientation quel que soit le parcours envisagé : poursuite d’études dans l’enseignement supérieur ou insertion professionnelle directe » ([120]). Le dispositif propose un parcours progressif et cohérent pour l’élève en fonction de ses besoins, reposant sur diverses modalités d’accompagnement : actions individuelles ou collectives (tutorat, mentorat, ouverture sociale et culturelle, découverte des métiers, du monde de l’entreprise…).

MODE DE FONCTIONNEMENT DES CORDÉES DE LA RÉUSSITE

Source : « Les cordées de la réussite, intentions et effets d’un dispositif pour l’égalité des chances, enquête dans l’académie de Strasbourg », Sophie Kennel.

Selon les documents budgétaires présentés dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023, les cordées s’inscrivent dans le cadre du continuum « -3+3 » et visent à « accroître l’ambition scolaire des jeunes collégiens et lycéens issus des milieux sociaux modestes et à lever les obstacles psychologiques, sociaux et culturels qui peuvent freiner leur accès aux formations de l’enseignement supérieur, notamment aux filières d’excellence ». Elles permettent « d’accentuer significativement le taux d’accès dans l’enseignement supérieur, notamment en ce qui concerne les sections de STS et d’IUT ».

De ce point de vue, la plupart des observateurs sont plus prudents concernant le bilan de ces dispositifs. Comme il n’y a pas de suivi statistique des élèves « encordés », il est en premier lieu très difficile d’en mesurer les effets sur la durée. Mme Valérie Cabuil fait remarquer qu’il n’y a sans doute pas d’évolution de la population dans l’enseignement supérieur, mais que, en revanche, il existe un effet inspirant et entraînant des cordées qui facilitent une meilleure connaissance entre le secondaire et le supérieur ([121]). Mais selon les études sociologiques de terrain, cette politique d’individualisation massive de l’accompagnement ([122]), qui repose sur l’idée d’un effet d’entraînement sur les autres élèves, ne bénéficie pas à la population qu’elle vise mais surtout aux élèves des classes moyennes scolarisés dans les établissements populaires, voire boursiers, d’un bon niveau scolaire. Ainsi, une étude auprès de jeunes inscrits dans des cordées dans l’académie de Strasbourg ([123]) relève que ces élèves « ont déjà une volonté de poursuivre des études supérieures et qu’ils voient le dispositif comme un levier pour atteindre cet objectif. Ils sont 74 % à déclarer savoir ce qu’ils veulent faire plus tard et 77 % ont confiance en leur avenir. De façon très affirmative, 97 % déclarent être ambitieux et le même pourcentage affiche une forte motivation pour leur scolarité ». À l’évidence, il ne s’agit pas là du cœur de cible des cordées de la réussite, supposées s’adresser aux élèves qui s’autocensurent et ne se projettent pas dans leur orientation ou la subissent. Les élèves qui s’inscrivent dans les cordées de la réussite ont au contraire un projet préexistant à leur entrée dans le dispositif et sont confiants. Leur participation à une cordée représente un plus dans leur parcours, qui leur permet notamment une acculturation avec l’enseignement supérieur, conclut l’auteure.

Les cordées de la réussite : l’importance de la visibilité du parcours

95,5 % des lycéens qui ont participé à une cordée de la réussite durant leur scolarité au lycée et qui ont souhaité que cette caractéristique figure dans leur dossier ont reçu une proposition ; 86,9 % d’entre eux l’ont acceptée.

Les candidats dont le parcours dans les cordées de la réussite a été mentionné, avec leur accord, dans le dossier disposent d’un taux de proposition d’admission sensiblement supérieur au reste de la population lycéenne de terminale. Ce gain est particulièrement important pour les lycéens issus de la voie professionnelle avec un écart positif de 6,7 points par rapport aux autres lycéens de cette voie n’ayant pas été inscrits en cordées ou n’ayant pas signalé cette caractéristique dans leur dossier.

Pour l’accès à l’enseignement supérieur, les formations présentes sur Parcoursup peuvent valoriser la participation des lycéens aux cordées de la réussite lors de l’examen des candidatures. Pour 2023, plus d’un tiers des formations (hors apprentissage) ont fait ce choix, et cette information est désormais explicitement visible des lycéens et de leurs familles sur la fiche formation.
Source : Jérôme Teillard, chef de projet Parcoursup, DGESIP.

 

CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS

CONCLUSION

Notre pays fait face à des enjeux écologiques et sociaux importants. Nous ne pourrons pas affronter les défis qui sont devant nous, sans une jeunesse capable d’aller vers les métiers de demain. Dans ce contexte, l’offre de formations et la politique d’orientation sont essentielles. Cette politique d’orientation doit croiser les besoins en qualifications, les souhaits des élèves et l’offre existante en formations.

La politique publique d’orientation des élèves doit donc être un chantier prioritaire de notre pays. Elle doit permettre de lutter contre les déterminismes sociaux.

Or aujourd’hui cette politique est caractérisée par un manque d’objectifs précis et un éclatement des acteurs sans coordination nationale qui se traduit par une dilution des actions menées et des inégalités fortes entre les élèves.

Afin de combattre les inégalités à la racine, il est crucial de fixer des lignes claires, qui définissent les prérogatives de chacun des acteurs et les objectifs de cette politique publique dont l’impact pourra être évalué.

Notre rapport préconise de porter une nouvelle ambition pour la refondation de notre service public d’orientation par la mise en œuvre des propositions suivantes :

1. Se doter d’une politique nationale de l’orientation en définissant des objectifs précis, des moyens et des missions clarifiées pour chacun des acteurs.

2. La création d’un délégué interministériel à l’orientation chargé de la mise en œuvre de la politique publique en lien avec les régions. Il pilotera l’ONISEP, ainsi que les différentes initiatives de l’État pour l’orientation telles que le programme Avenir ou les PIA, et assurera le suivi de la mise en œuvre par les universités des « oui si » afin de les renforcer et les pérenniser.

3. Le renforcement de l’accompagnement à l’orientation avec la mise en place d’un module dédié dans la formation initiale de tous les professeurs et d’une offre de formation continue à l’orientation proposée chaque année aux professeurs principaux, avec une forte incitation pour qu’ils la suivent. L’offre de formation continue doit donc être renforcée sur cette thématique et le remplacement des professeurs assuré le temps de leur formation.

4. Garantir l’effectivité des 54 heures auxquelles tous les élèves ont droit dans tous les établissements, par l’inscription dans les emplois du temps des lycées et la prise en compte dans la Dotation Horaire Globale des établissements.

5. La labélisation des intervenants extérieurs au sein des établissements afin de s’assurer de la qualité des interventions. Ce contrôle a priori doit permettre un accès de ces acteurs aux établissements, en accord avec l’équipe pédagogique, afin de renforcer la découverte des métiers, de l’entreprise et de l’enseignement supérieur.

6. La présence de certains critères dans Parcoursup comme les lettres de motivation ou le lycée d’origine doit être questionnée afin de ne pas renforcer les déterminismes au moment de l’admission dans l’enseignement supérieur.

7. La qualité des formations présentes sur Parcoursup, notamment celles privées hors contrat, doit être mieux contrôlée. Les services de l’État doivent exercer un contrôle strict des formations présentes dans Parcoursup avec exclusion de la plateforme en cas de manquements, soit relevant d’un défaut de déontologie, soit d’une qualité insuffisante des formations.

8. Les filières sélectives doivent être contraintes de classer tous les candidats et ainsi remplir leurs formations au niveau de leurs capacités d’accueil.

9. Les chercheurs doivent pouvoir bénéficier d’un accès plus rapide, plus complet et mieux documenté aux données de Parcoursup et plus généralement aux parcours du collège à l’université, pour mieux comprendre les déterminants de l’échec scolaire.

10. Engager une réflexion sur l’offre de formation avec la mise en place d’une cartographie des filières en tension, qui établisse si ces tensions sont dues à un manque d’offre ou à une trop forte demande et propose donc d’allouer des moyens supplémentaires là où ils font défaut.

Le rapport au format PDF

Extrait de assemblee-nationale.fr du 20.06.23

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