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Tristes souvenirs scolaires en ZEP pour Ladji Doucouré (champion du monde d’athlétisme)

30 août 2007

Extrait de « Libération » du 29.08.07 : Athlé à la tâche

Ladji Doucouré, 24 ans. Gamin, dans sa cité de l’Essonne, il se rêvait footballeur. Aujourd’hui, à Osaka, ce coureur polyvalent va tâcher de conserver son titre mondial sur 110 mètres haies.

Champion du monde du 110 m haies, enfin revenu de blessure, il entre en lice aujourd’hui à Osaka pour défendre son titre. Dans la plus grande incertitude. Mais qu’il finisse aux fraises ou sur le podium, une chose est sûre, affirme son frère aîné en riant : « Vous ne le verrez pas en combinaison moulante. Ça, c’est pas pour lui. Ladji, il a toujours couru en short. » Le short du footeux contrarié.

Gamin, il voulait être footballeur. L’athlétisme, qu’il commença à 12 ans, devait le mener au ballon rond. « Quand on m’a proposé de faire de l’athlé, au collège, mon frère m’a dit : Vas-y, tu vas apprendre à bien courir, ça te servira pour le foot. On pensait être très très malins. J’ai accepté. C’était tactique. » Ses potes ont moqué longtemps ses piges sur le tartan (« L’athlé, c’est pour les filles », « Tu déconnes, Ladji »). Les railleries ont duré jusqu’à ce qu’il devienne champion du monde cadet, à 16 ans, battant le record mondial de sa catégorie d’âge.

Doucouré, dernier avatar de l’école française des haies (Stéphane Caristan, Guy Drut), court donc en short et s’excuse des failles de sa culture athlétique, emmagasinée sur le tard. Comme vieilles gloires françaises, il cite Michel Jazy, Roger Bambuck, mais cale sur l’ordre des syllabes de Micheline Ostermeyer. Il dit aussi : « J’ai voulu savoir pourquoi ils avaient inventé les haies ; ils ont voulu faire la même chose avec les hommes qu’avec les chevaux. C’est les Anglais qui ont fait ça... J’ai lu un truc là-dessus. C’est ça, non ? »

Ladji Doucouré a grandi dans un petit appartement de la cité des Erables, à Viry-Châtillon (Essonne). La mère, d’origine sénégalaise, est à la maison, le père, malien, est cariste. Il a deux sœurs et un frère. Enfance « avec des moments difficiles, comme dans toutes les familles. Petit, je ne comprenais pas que tout le monde parte en vacances l’été, et nous pas. Puis j’ai pigé que pour mes parents, de toute manière, cela n’aurait eu aucun sens de prendre la voiture pour aller à la mer. Pour eux, partir en vacances, ça ne pouvait être que retourner en Afrique. Mais c’était trop cher pour y aller tous. » Lui a fait le voyage une fois, à 7 ans. Deux mois au Sénégal dont il conserve un souvenir vague. Les autres étés, il les passait à jouer au foot sous le cagnard.

Ladji jouait milieu gauche. Au poste de milieu droit, il y avait le frère, aîné de deux ans, Boro, le presque jumeau, qu’il ne lâchait pas. « Enfant, j’étais pas Ladji. J’ai toujours été le frère de Boro. Je traînais avec les plus grands. J’étais timide. Celui qui regarde avant de faire. Quand on faisait un concours de jongles, le plus fort jonglait d’abord. Moi, j’étais le dernier. Pareil pour jeter une pierre au-dessus du grillage de l’école et toucher l’arbre. Je ne me suis pas affirmé au départ. »

Sauf sur le terrain de foot, où il y allait sans réserve. « Quand ça chauffait, ils me mettaient arrière gauche. Parce que je cavalais, que j’avais pas peur de tacler, ni des menaces. » Il rêvait centre de formation et recruteurs au bord des terrains. Il dit s’être peu intéressé à l’école, qui le lui a bien rendu. « Le collège était en ZEP. Le prof principal estimait qu’on n’avait rien à faire en filière généraliste. On n’était pas tous nuls pourtant. » L’aîné, aujourd’hui en fac, a bataillé pour passer en seconde générale.

Ladji, lui, a lâché en troisième. « A la maison, c’était l’école avant toute chose. Moi, j’étais pas un sale gosse, mais j’étais partisan du moindre effort. Mon père rentrait à la maison vers 21 heures. Le fait que ma mère ne parle pas bien français, j’en ai peut-être profité un peu. Je lui faisais signer des trucs. » Il a passé, plus tard, un bac pro à l’Insep, mais garde une forme de regret : « On n’a pas réussi à me donner le goût de la lecture. Je sais pas si j’ai déjà lu un livre entier, un vrai livre, je veux dire. Je regrette. Je suis sûr que c’est quelque chose d’important dans la vie. A tout moment, pouvoir prendre un bouquin et lire. J’ai pas ce truc-là. »

De la banlieue, il dit : « J’y ai tout appris. On se connaît tous. Le problème, c’est qu’on reste uniquement entre nous. On va pas voir ce qui se passe au-delà de la rue. » Son territoire, ce fut d’abord la cour en bas de chez lui. Puis le quartier, le centre aéré et les terrains de foot du département. Au loin, Paris. « Quand on a eu la carte de transport, on a commencé à se dire qu’on allait monter sur Paris, parce que c’était Paris. On faisait un aller-retour et on n’achetait rien parce qu’on n’avait rien. » L’athlé¬tisme a ouvert une fenêtre. « Avec le club de Viry, je suis parti en stage en Allemagne, en Belgique. » Puis il voyage avec les équipes de France jeunes. Il se souvient de la Pologne, et des matchs espoirs contre le Portugal ou l’Espagne. « J’ai découvert le plaisir de se dépouiller pour soi. Parce que jouer au foot à côté de la cité des Tarterêts et voir le match qui s’arrêtait toutes les dix minutes à cause d’une bagarre, c’est rageant. Tu flingues ton dimanche pour rien. En athlé, je me défoulais, je cavalais. Au moins, c’était pour moi. »

A 15 ans, Doucouré passe chez Renaud Longuèvre, son entraîneur actuel, qui se creuse la tête pour arrimer le talent à la piste. Avant de se spécialiser sur les haies, Doucouré fera longtemps des épreuves combinées (champion d’Europe junior de décathlon en 2001). Un moyen de nourrir la faim. Longuèvre : « Ce qui fait rester les gamins dans un sport aussi dur, c’est le sentiment de compétence. Je me souviens d’un hiver où, cadet, il a battu dix-huit records personnels, en longueur, à la perche, etc. » Un proche : « Renaud a su le cerner, utiliser son énergie, sa combativité. Entre eux, il y a beaucoup de respect et une confiance aveugle. »

Noir, banlieusard, paré d’or : le tiercé dans l’ordre pour le grand casting de la récup politique. Mais on ne l’a pas entendu sur le « racailles-Kärcher » de Sarko. « Je me sens pas plus légitime qu’un autre à parler. En tant que sportif, je ne le suis pas, en tant que citoyen, oui, mais comme tout le monde. » Pas plus qu’on ne l’a vu soutenir Ségo. Il a décliné les approches du PS. « L’impression qu’on allait se servir de mon image sans vraiment tenir compte de ce que j’allais dire. »

Musulman pratiquant, il se sent « malien et français ». En 2005, il a dédié son titre mondial à la France et à l’Afrique. Cela lui a valu une invitation au forum de la jeunesse de Bamako, l’automne de cette année-là. Premier voyage sur les terres paternelles. Son frère, qui l’accompagnait avec leur père : « Il a été touché. Il a découvert un Mali qu’il n’imaginait pas. Un pays qui n’est pas que miséreux, où des gamins peuvent aller à la piscine. Petits, on imaginait l’Afrique des clichés, des gens avec des lances. »

En France, son titre mondial en a fait une star. En juillet, il était au mariage people de Tony Parker, « un pote ». Ils ont le même agent, pas le même train de vie. Avec l’argent gagné sur la piste depuis 2004, Ladji Doucouré a acheté un ordinateur, une voiture (une Mégane) et un appartement. Aujourd’hui, il peut aller voir son club de cœur, le Paris-SG, aux meilleures places, quand gamin il se posait sur les sièges en altitude offerts par le conseil général. Et quand il peut, il y va avec ses potes d’enfance. Aucun n’est devenu footballeur.

Ladji Doucouré en 6 dates

 28 mars 1983 : Naissance à Juvisy-sur-Orge (Essonne).

 1996 : Commence l’athlétisme.

 1999 : Champion du monde cadet du 110 m haies.

 2001 : Champion d’Europe junior de décathlon.

 Eté 2005 : Champion du monde du 110 m haies et du relais 4 x 100 m à Helsinki.

 Automne 2005 : Participe au forum de la jeunesse de Bamako (Mali).

Cédric Mathiot

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