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Education prioritaire et mixité sociale à l’école (2), par Marc Bablet

27 février 2019

Education prioritaire et mixité sociale à l’école (2)

27 FÉVR. 2019 PAR MARC BABLET BLOG : LE BLOG DE MARC BABLET
Certains opposent la perspective de la mixité sociale à l’école aux politiques de compensation comme celle d’éducation prioritaire. Il nous semble que cette opposition n’est pas utile et qu’il vaut mieux envisager de combiner les deux perspectives dans l’intérêt bien compris des élèves des milieux populaires.

L’article de Choukri Ben Ayed cité dans mon billet précédent a fait l’objet dans mon propos d’un raccourci qui peut mal faire comprendre ce que je voulais dire. Il est paru peu de temps après le rapport du CNESCO qui mettait en question l’éducation prioritaire et comme il n’en rectifiait pas le propos mais interrogeait à son tour la pertinence de l’éducation prioritaire, je l’ai perçu comme un article à charge notamment du fait des propos tenus sur la notion de compensation : « Dans le cadre de la politique d’éducation prioritaire, les torts redevables à la société elle-même sont très diffus comme la précarité de l’environnement urbain, familial, culturel. Tout se passe en réalité comme s’il y avait une inversion de la charge. C’est ce que signifie la notion de compensation, en officialisant des carences (éducatives, culturelles, sociales) attribuées aux élèves ainsi qu’à leurs familles, qui expliqueraient des destins scolaires défavorables que la politique publique escompterait de corriger. ».

C’est par un raccourci bien trop rapide, et donc inexact, que je l’ai associé aux deux autres propos de Pierre Merle et de Nathalie Mons car son article n’évoque pas la question de la mixité sociale. En outre, Choukri Ben Ayed a travaillé de longue date sur cette question de la mixité sociale et a pu montrer depuis longtemps qu’il fallait prendre garde à ce que cette piste de réduction des ségrégations et donc d’amélioration des réussites des enfants de milieux populaires ne fasse pas écran à des problématiques plus souterraines. On peut notamment citer son ouvrage de 2015 « La mixité sociale à l’école, tensions, enjeux et perspectives ». Je rejoins aussi tout à fait son propos sur l’éducation prioritaire quand il indique que cette politique n’est pas suffisamment soutenue dans la durée ni avec assez de volontarisme pour qu’on puisse espérer de grands effets.

Difficile de mesurer la mixité sociale

Tant dans le champ de l’urbanisme et du logement (on pourra particulièrement regarder le très intéressant rapport établi par l’ OMIS, observatoire de la mixité sociale créé par l’association Habitat et Humanisme) que dans celui de l’éducation (on pourra trouver de très bonnes références sur le site de CANOPE) nombreux sont les spécialistes qui semblent d’accord sur la difficulté de définir la mixité sociale et en conséquence également de la mesurer en fonction des unités de référence prises en compte. Si l’on pense à la tradition de l’immeuble haussmannien à Paris tel qu’il est décrit dans Pot Bouille de Zola avec ses deux mondes qui s’y côtoient et se croisent mais dans deux escaliers distincts, on aurait alors pu dire que le quartier présentait la mixité sociale, mais au sein de l’immeuble la ségrégation est forte. Une étude de Patrick Simon de l’INED pointe aussi très bien cette difficulté de la définition et de la mesure de la mixité sociale. Aussi un premier problème pour aborder la question est il de bien dire de quoi l’on parle. Le travail que nous avons conduit sur la carte de l’éducation prioritaire nous a permis de toucher du doigt des situations très diverses sur le terrain. Le travail conduit par le CGET (Commissariat général à l’égalité des territoires, organe administratif du ministère de la ville) pour établir la carte des QPV (quartiers prioritaires de la ville) également. La confrontation des deux nous a amenés à voir que selon le sujet dont on parle, on n’a pas forcément besoin de la même définition de la mixité sociale et il n’est pas anormal que les points de vue ne convergent pas nécessairement. On y reviendra en comparant deux exemples à peu près comparables (Nîmes et Carcassonne) qui montreront qu’il peut y avoir des convergences et des divergences dans ces définitions en fonction des objets de travail respectifs.

S’agissant de l’éducation prioritaire, il nous a fallu répartir les droits à éducation prioritaire de chacune des académies, dans une limite nationale de 20% des élèves pour conserver une notion de priorité malgré les nombreuses pressions qui voudraient étendre l’éducation prioritaire, alors que la tendance est plutôt à son resserrement sur les REP+ (7%) pour vraiment faire le maximum pour des quartiers très ségrégués. Pour cela il a été décidé de partir de quatre données statistiques du niveau collège (ce n’est qu’à ce niveau que l’on dispose pour l’instant de chiffres de bonne qualité sur ces sujets) combinées entre elles (PCS défavorisées, Taux de boursiers, Taux d’élèves résidents en ZUS et taux de retard à l’entrée en sixième). Si l’on donne l’exemple de la première de ces données, elle présente l’intérêt de porter sur la situation professionnelle des parents d’élèves qui est plus prédictive de la réussite scolaire des enfants que le niveau de revenu, que le lieu d’habitation ou que le parcours scolaire. Idéalement pour mieux prédire la réussite scolaire il faudrait pouvoir aussi disposer du niveau de diplôme des parents et notamment des mères de famille dont on sait le lien fort avec la réussite scolaire des enfants. En comparaison avec les données de la politique de la ville qui n’ont déterminé les QPV qu’à partir du revenu médian, on a pu observer des décalages de priorités importants liés à l’usage de données différentes mais aussi à divers phénomènes sociaux localisés.

Mais on peut en proposer des approches utiles au travail local

Sur la base de cette expérience, confrontée aux points de vue des recteurs et des inspecteurs d’académie, il me semble que l’on peut approcher la question de la mixité sociale comme le miroir de la ségrégation avec des données disponibles et faciles à comprendre : En effet, si l’on s’en tient à l’analyse en quatre catégories des professions et catégories sociales de la DEPP, on peut percevoir la question de la mixité sociale en regardant notamment comment se côtoient ou non les enfants de milieux sociaux différents que l’on peut percevoir avec les deux classes : Très favorisés ( enfants de chefs d’entreprise de dix salariés ou plus, cadres et professions intellectuelles supérieures, instituteurs, professeurs des écoles) et Défavorisés (ouvriers, retraités ouvriers et employés, inactifs soit chômeurs n’ayant jamais travaillé, personnes sans activité professionnelle). Et voir comment ces deux catégories se répartissent inégalement dans les établissements. On peut s’appuyer sur les données fournies par la DEPP dans les Repères et références statistiques de 2018 pour montrer où se situent les problèmes. Si l’on veut aller plus loin dans l’analyse des situations de territoires précis, tout un chacun pourra s’approprier l’excellent outil mis à notre disposition par le système d’information géographique de la ville qui permet d’analyser la situation de chaque territoire au niveau des IRIS (unité de territoire d’environ 2000 habitants déterminée par l’ INSEE). On proposera des exemples d’utilisation des données du SIG de la ville qui combine des tableaux statistiques et une cartographie particulièrement performante.

Rappelons qu’il ne faut surtout pas déterminer l’éducation prioritaire en fonction d’indicateurs de niveaux scolaires car l’on risquerait de sortir d’éducation prioritaire les écoles et collèges qui obtiennent de bons résultats avec des populations défavorisées. Ce serait très improductif car leur réussite dépend aussi de leur appartenance à l’éducation prioritaire. Il faut donc privilégier dans l’analyse des indicateurs sociaux.

Le prochain billet rentrera dans les données disponibles à trois niveaux scolaires : collège, lycée et école pour mettre en évidence ce qu’une analyse rapide peut permettre de dire sur cette question qui est encore à approfondir. Il sera proposé dans trois semaines.

Extrait de blogs.mediapart.fr du 27.02.19 : Education prioritaire et mixité sociale à l’école (2)

 

Le blog de Marc Bablet

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