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Grenelle de l’éducation : « Une réforme nécessaire mais périlleuse des concours enseignant »
TRIBUNE
Asma Benhenda
Chercheuse en économie à l’University College London, Centre for Education Policy and Equalising Opportunities, auteure de « Tous des Bons Profs. Un choix de société » (Fayard - Septembre 2020)
La chercheuse en économie Asma Benhenda note que les concours d’enseignant souffrent « de nombreux dysfonctionnements qui minent de façon durable la profession », mais estime « délétère » de les décaler en master 2 comme le prévoit la réforme actuelle.
Tribune. Lors du lancement du Grenelle de l’éducation au mois d’octobre 2020, Jean-Michel Blanquer [le ministre de l’éducation] a affiché comme principe de remettre les enseignants « au centre de la société ». Un paradoxe structurant de la société française est la dissonance entre le rôle de facto central des enseignants dans la construction personnelle de leurs élèves, et les moyens mis à leur disposition pour mener à bien cette mission essentielle.
Cette question des moyens est sous-jacente aux problématiques, abordées lors des ateliers du Grenelle, de reconnaissance et de revalorisation de la profession, de l’attractivité de celle-ci, de la formation des enseignants, mais aussi du concours.
Hémorragie
L’organisation actuelle des concours de recrutement des enseignants, qu’une réforme du ministère est en train de faire évoluer, est un des symptômes les plus aigus de ce paradoxe. Ces examens souffrent de nombreux dysfonctionnements qui minent de façon durable la profession enseignante. Chaque année, de nombreux postes aux concours ne sont pas pourvus, faute de candidats ayant des résultats suffisants pour passer la barre d’admission. Dans les disciplines scientifiques comme les mathématiques, certaines années, jusqu’à un tiers des postes ouverts à l’agrégation et un quart de ceux au capes ne sont pas pourvus. Et l’hémorragie ne s’arrête pas là : le phénomène de démission des stagiaires et des néotitulaires, s’il reste pour le moment très modéré, croît continûment depuis plus d’une décennie.
Au-delà de ce manque d’attractivité se pose la question de l’efficacité du concours à remplir sa mission première : sélectionner les candidats en fonction de leur potentiel à être de bons enseignants. Les résultats d’un travail de recherche mené dans le cadre de ma thèse de doctorat à l’Ecole d’économie de Paris mettent en évidence les limites de ces concours à identifier les candidats qui ont le plus d’impact sur les trajectoires de leurs élèves. Ces résultats suggèrent, par exemple, que le fait d’être « agrégé » plutôt que « certifié » ne permet pas aux enseignants d’avoir un effet significativement plus positif sur les résultats de leurs élèves. Ils indiquent aussi que, parmi les admis, une meilleure performance aux épreuves écrites ou orales ne bénéficie pas nécessairement ensuite aux élèves en classe.
Un dosage délicat
Face à ces anomalies, il est temps de repenser ces concours. Réformer les concours enseignant est un exercice périlleux d’équilibriste et il n’y a pas de recette miracle. La recherche en sciences sociales est unanime sur le fait qu’il est très difficile d’identifier a priori un bon enseignant avant de le voir en situation, sur le terrain. Ces travaux insistent sur le fait qu’enseigner est une tâche très complexe, multidimensionnelle, où s’entremêlent connaissances disciplinaires et savoir-faire pédagogique.
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Extrait de lemonde.fr du 05.01.21
Tribune. Lancé par Jean-Michel Blanquer pour calmer le mécontentement croissant des enseignants depuis le début du quinquennat, le Grenelle de l’éducation a le mérite de reconnaître comme injustifiable la dévalorisation qui frappe les enseignants sur le plan financier.
La comparaison internationale,qui sert si souvent à pointer, à l’encontre des enseignants français, retard ou résistance au changement, établit en l’occurrence que le retard et la résistance proviennent plutôt de l’Etat employeur. Depuis trois ans, notamment, le gouvernement a bloqué le point d’indice servant à calculer leurs traitements, ce qui plombe un peu plus leur déclassement par rapport à leurs homologues étrangers. L’avenir dira si la promesse d’une distribution très sélective de primes, accompagnée d’un renforcement de l’emprise hiérarchique par le truchement d’un nouveau référentiel de métier, suffira à régler la question et si les enseignants accepteront le « deal ».
Mais ni les salaires ni les conditions de travail, si perturbées par le confinement et l’enseignement à distance, ne suffisent à expliquer le malaise enseignant qui fait régulièrement la « une » des médias lors des événements dramatiques. Il est plus ancien et plus profond puisqu’il touche, osons le dire, à la perception des finalités du système éducatif.
Quand les professionnels de l’école ne comprennent plus ce que leur institution leur commande de faire, c’est le cœur de leur métier qui bat la breloque, leur raison d’être qui est mise en cause. Quand le sommet de l’institution prétend en outre leur dicter de nouvelles règles de professionnalité à coups de slogans managériaux exogènes s’ajoute alors l’amertume, voire la dépression, à l’incompréhension.
Disparités entre établissements et territoires
Pour comprendre cette évolution, il faut partir du constat que la massification scolaire qui s’est déployée durant toute la seconde moitié du siècle dernier jusqu’à aujourd’hui n’a pas permis de mettre en adéquation les discours et les actes. L’ouverture du système scolaire à la grande masse des enfants de toutes conditions n’a pas fondamentalement provoqué sa réorientation vers une plus grande uniformisation de ses prestations et une redéfinition commune et consensuelle des contenus et des méthodes.
Les anciennes filières élitaires (classes préparatoires, grands lycées des centres urbains, grandes écoles, etc.) ont continué à bénéficier d’avantages concurrentiels en termes de dotations et de sélection des flux d’élèves.
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Extrait de lemonde.fr/education du 05.01.21
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