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"L’ascenseur social a toujours été en panne", Paul Pasquali, Le Monde diplomatique, novembre 2021

28 octobre 2021

Du mythe de la méritocratie à l’exaltation des premiers de cordée
L’ascenseur a toujours été en panne

par Paul Pasquali

Souvent centrés sur la clôture sociale dont s’entourent les élites, les débats sur la méritocratie comportent un angle mort : le sort du tiers de la population le moins diplômé. Contrairement aux années 1960, où le rapport de forces salarial était plus favorable aux ouvriers, il est devenu presque impossible de se projeter sereinement dans l’avenir sans titre scolaire. Une des sources de la colère sociale ?

Rares sont les formules qui résistent au temps. Forgée durant la campagne présidentielle de 1995 par le dirigeant libéral Alain Madelin, la « panne de l’ascenseur social » a traversé sans encombre les décennies. « L’ascenseur social fonctionne moins bien aujourd’hui qu’il y a cinquante ans », déclarait le président de la République française Emmanuel Macron en déplacement à Nantes pour annoncer la refonte de l’École nationale d’administration (ENA).

Dans sa formulation initiale, l’« ascenseur social en panne » ne désignait ni l’entre-soi des élites ni la fermeture sociale des grandes écoles. Par ces mots, M. Madelin dénonçait les obstacles à la liberté d’entreprendre, liés d’après lui aux pesanteurs bureaucratiques et à l’« égalitarisme » de la gauche. Issu d’une famille modeste (père ouvrier, mère dactylographe), le futur président de Démocratie libérale et ex-membre dans les années 1960 du groupuscule d’extrême droite Occident rêvait d’une France de self-made-men et de capitaines d’industrie suivant le modèle de croissance adopté par les États-Unis. Il réactivait ainsi le thème de la « société bloquée », porté un quart de siècle plus tôt par le sociologue Michel Crozier — très libéral, lui aussi.

La métaphore de l’ascenseur connaît un sort d’abord moins favorable que celle de la « fracture sociale », soufflée au candidat Jacques Chirac par le démographe Emmanuel Todd, en 1994. C’est sous la gauche plurielle (1997-2002) qu’elle devient un lieu commun désignant plus directement l’incapacité du système scolaire à lutter contre les inégalités sociales et, de plus en plus, l’étroitesse du recrutement des grandes écoles. Pour les socialistes, il s’agissait de reconnaître l’ampleur de problèmes tels que la reproduction sociale et l’endogamie des élites, résumés par la métaphore sans utiliser les gros mots de « classes sociales » et de « domination ». C’est d’ailleurs M. Claude Allègre, alors ministre de l’éducation nationale, qui lança en 1998 la première mesure d’ouverture sociale en créant des bourses de mérite pour (...)

Extrait de monde-diplomatique.fr de novembre 2021

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